Le lauréat du Prix Ramanujan 2022 pour les jeunes mathématiciens des pays en développement, grâce à des travaux consistants sur la combinaison de la géométrie et des équations aux dérivées partielles, dénonce le saccage d’universités publiques du Sénégal durant les émeutes consécutives à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse ».
Au moment où l’université Gaston Berger de Saint-Louis (Nord) s’engage dans la rénovation de sa bibliothèque grâce à une collecte de fonds internationale, nous sommes confrontés à la triste réalité de l’attaque violente dont l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ouest) vient d’être victime.
Une partie de cette institution, comprenant des facultés, les environs de la bibliothèque centrale et des archives, a été réduite en cendres. Nous sommes profondément attristés par ces actes, de même que par les pertes humaines et nous les condamnons avec fermeté. Nous exigeons que la lumière soit faite sur toutes les dérives de ces récents événements.
Protester est un droit et les manifestations sont une forme de voix citoyenne importante pour exprimer des préoccupations et des revendications. Cependant, il est essentiel de les mener de manière pacifique et respectueuse des droits des autres. La destruction de biens publics ou privés ne fait que nuire à notre communauté, à notre héritage et à l’avenir de la nation.
L’université est un temple du savoir, c’est un melting-pot, un lieu de brassage de connaissances, de culture et de religion, de production et de diffusion du savoir. C’est un lieu de partage et d’échange. Elle est un endroit pour s’élever et grandir, pour se connecter à égale dignité avec le reste du monde. Un endroit où on apprend à servir sa communauté et à se servir. Elle a un passé et un futur. Elle a un nom, elle incarne l’immortalité. Elle gouverne, elle juge, elle s’oppose, elle revendique. C’est un village interplanétaire, c’est un monde, c’est une vie. L’université possède une âme.
Une bibliothèque universitaire est bien plus qu’un simple bâtiment fait de briques et de ciment, rempli de livres. C’est un symbole de savoir, de découverte et de progrès. Elle abrite une vaste collection de ressources, allant des livres imprimés aux revues académiques, aux journaux, aux archives historiques et aux bases de données électroniques. C’est un lieu où les étudiants, les chercheurs et les membres de la communauté peuvent accéder à une mine d’informations précieuses et variées.
Les archives, quant à elles, sont les gardiennes de notre histoire. Elles contiennent des documents originaux et des enregistrements précieux qui documentent notre passé, nos réalisations et nos défis. Elles sont essentielles pour la recherche académique, la préservation de notre patrimoine culturel et la construction d’une compréhension plus profonde de notre société.
Il est donc de notre devoir impérieux de préserver nos universités contre toute forme d’agression, qu’elle soit interne ou externe, afin de préserver l’essence et la singularité qui animent ces institutions. Les ressources financières peuvent contribuer à la restauration des biens matériels, mais elles ne peuvent en aucun cas restaurer l’âme qui imprègne ces lieux et leur confère leur véritable valeur et signification.
L’histoire a retenu qu’au cours du siège de Leningrad par l’armée allemande (septembre 1941 – janvier 1944), des étudiants et des membres du personnel de l’Institut National des Plantes Industrielles, rebaptisé aujourd’hui en l’honneur du célèbre généticien russe Nikolaï Vavilov, ont fait le choix de mourir de faim plutôt que de consommer ne serait-ce qu’une graine d’arachide parmi les multitudes de semences provenant d’Afrique, d’Amérique et d’Europe qui étaient archivées dans la banque de graines de l’institut. Ils ont ainsi sauvé l’âme de cet institut au prix de leur vie.
L’histoire retiendra les manifestations tragiques du 1er juin 2023 où des Sénégalais ont commis un acte irréparable en incendiant des facultés, les environs de la bibliothèque centrale et des archives de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar renfermant des dossiers administratifs, des mémoires de maîtrise, de DEA et de Master, des thèses de doctorat, des revues et contributions académiques, fruits du travail de plusieurs générations d’étudiants. Qu’avons-nous fait ?
Mohamed Moustapha Fall
Président de l’Institut Africain des Sciences Mathématiques (AIMS)