« Le livre constitue une victoire des hommes sur le temps et sur l’espace. Le livre peut être transmis des anciennes aux nouvelles générations. C’est un combat de gagner sur le temps destructeur […] En définitive, le livre est un instrument efficace pour lutter contre la mort. Les écrivains continuaient à vivre parmi les vivants ».
Amady Aly Dieng, « Don de ma bibliothèque personnelle à l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar », CODESRIA, Bulletin n°1 & 2, 2007, p.42.
Amady Aly Dieng est décédé le 13 mai 2015 à Dakar à l’âge de 83 ans. Né le 22 février 1932 à Tivaouane, au Sénégal, il fut un ancien fonctionnaire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Dans ses Mémoires d’un étudiant africain, il rappelle : « Je suis né le 22 février 1932 à Tivaoune, la septième gare du chemin de fer Dakar-Saint Louis (DSL) construit en 1885. » (Volume 1, De l’école régionale de Diourbel à l’université de Paris, p. 3). Docteur ès sciences économiques, il a enseigné à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il a été parmi les dirigeants de l’Association générale des Étudiants de Dakar (AGED), créée en 1950 et devenue en 1956 l’Union Générale des Etudiants d’Afrique occidentale (UGEAO). Il fut aussi Président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) pendant deux ans (en 1961 et en 1962).
Amady Aly Dieng est auteur de plusieurs ouvrages sur des thématiques diverses (philosophie, sociologie, économie, histoire, etc.) Il avait une vaste culture scientifique et littéraire. Il était un ami des livres. Son rapport étroit avec le savoir n’est plus à démontrer. Dans le bulletin CODESRIA n°1 & 2, 2007, p. 41, il écrivait : « Dans ma vie militante estudiantine, j’ai appris à accorder beaucoup d’importance à la fréquentation et à la lecture des livres qui pouvaient nous aider à retrouver les véritables chemins susceptibles de mener nos pays à l’indépendance et à l’unité. Ces livres, à beaucoup d’égards, nous fournissaient les munitions qui nous permettaient de détruire le système colonial. Ils étaient les « armes miraculeuses », pour parler comme Césaire, dont ma génération avait besoin pour vaincre nos oppresseurs. »
Le doyen Amady Aly Dieng était un grand intellectuel. Il n’avait pas peur de la solitude et de la singularité. Car pour lui, un intellectuel doit être singulier. Il doit aimer la marginalité et l’individualité pour produire. Ce qui ne va pas de pair avec la culture sénégalaise : « …en Afrique, rappelle-t-il, la société est franchement anti-intellectuelle, car elle est hostile à l’expression de l’individualité. Les Africains sont soumis aux pesanteurs sociales comme les multiples cérémonies familiales, coutumières ou religieuses. (CODESRIA n°1 & 2, 2007, p. 42).
Amady Aly Dieng ne pavanait pas dans les couloirs des universités quoiqu’il ait installé son quartier général sur le campus universitaire de l’UCAD de Dakar, sa seconde demeure. Pour Amady Aly Dieng, l’importance du savoir met en relief la centralité du livre et de la lecture dans une société où la tradition de l’oralité domine encore. Il ne lisait pas en diagonale. Il abordait les livres avec rigueur et entrait dans les textes avec profondeur. Pour lui, « La lecture littérale des textes écrits qui est très pratiquée dans les sociétés africaines est stérile. Elle est prisonnière des textes, trop fidèle à la lettre des textes. Cette excessive fidélité au texte est une source d’infécondité. » (CODESRIA n°1 & 2, 2007, p.43).
En 2007, il a fait don de 1500 livres de sa bibliothèque personnelle à la Bibliothèque Universitaire de Dakar. C’est exceptionnel et symbolique comme geste vis-à-vis de la postérité. À ce propos, il disait : « J’ai choisi de faire don de ma bibliothèque personnelle aux jeunes générations parce que je veux contribuer à ma manière à l’ancrage ici d’une tradition universitaire qui veut que les professeurs dans tous les pays développés lèguent leurs ouvrages à leur mort à des bibliothèques ou à des institutions de recherches. » (CODESRIA n°1 & 2, 2007, p. 41). À l’ère d’une civilisation marquée par l’écran, le livre demeure toujours encore un moyen non négligeable pour la formation de l’esprit et la transformation sociale.
Avant de mourir, le doyen Amady Aly Dieng se désolait de la situation de désintéressement de notre peuple vis-à-vis du savoir, du livre et de la lecture au détriment des activités festives : « Les livres sont aujourd’hui lacérés, déchirés, passés à la lame de rasoir ou volés. Les criminels culturels se multiplient sans qu’on puisse les aligner devant des poteaux d’exécution. » (CODESRIA n°1 & 2, 2007, p.43). Il termine son texte en rappelant « Qu’en Côte d’Ivoire, les fonctionnaires et employés ne bénéficient pas d’avance Tabaski mais d’avance scolarité. C’est une chose qui doit nous faire réfléchir. Car au Sénégal on privilégie les activités festives. On privilégie le tube digestif au détriment des activités de l’esprit. » (CODESRIA n°1 & 2, 2007, p.43).
Le 13 mai 2016, lors du premier anniversaire de son décès, la salle de conférence de la maison d’édition L’Harmattan-Sénégal fut baptisée du nom d’Amady Aly Dieng ; une manière d’immortaliser et de rendre hommage à la mémoire de cet éternel étudiant africain.