Les dirigeants de l’entreprise française semblaient déterminés à tout faire pour empêcher le démarrage de la cimenterie du milliardaire nigérian à Pout, et n’avaient lésiné sur aucune procédure. Or, voilà que brusquement, ils décident sans crier gare, de retirer leur plainte à Abidjan et à Paris.
Le groupe Vicat, maison-mère de la cimenterie Sococim de Rufisque, a décidé de retirer la procédure qu’il avait enclenchée contre le gouvernement du Sénégal et contre la nouvelle cimenterie Dangote. Le groupe Vicat avait porté plainte contre le gouvernement à la Chambre d’arbitrage de Paris, ainsi qu’à la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Uemoa, à Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Les différents protagonistes ne savent pas ce qui explique le retrait de la plainte de l’entreprise française. Ni le ministère de l’Industrie et des mines ni non plus, curieusement, la direction de la Sococim, ne savent pourquoi la maison-mère de la Sococim a décidé de faire machine arrière. Néanmoins, les sources officielles ainsi que les avocats de la partie plaignante confirment avoir reçu notification du retrait de la plainte de Vicat.
Pendant longtemps, on avait cru que la société française ne reculerait pas dans sa volonté de faire bloquer l’entrée en service de l’usine concurrente installée à Pout, à une cinquantaine de kilomètres de Dakar. On ne sait pas si les Français ont obtenu une quelconque contrepartie ou assurance, qui justifierait leur recul dans ce dossier, d’autant plus que la cimenterie de Dangote semble toute proche d’entamer son fonctionnement.
On se rappelle que la convention liant Dangote à l’Etat du Sénégal, avait été perçue par les concurrents déjà installés, comme une distorsion de la concurrence équitable qui devrait animer la démarche de l’Etat. Dans un article publié par l’Agence France Presse et reprise sur le site de jeuneafrique.com le 20 mars dernier, le président du Conseil d’administration de la Sococim, M. Boubacar Camara, affirmait : «C’est la première fois dans l’histoire du Sénégal qu’on voit s’implanter une usine en violant autant de règles.» M. Camara commentait, dans le même article, «une cimenterie, c’est dangereux, il faut des permis, des autorisations préalables, il faut également procéder à une étude d’impact environnemental. Cela n’a pas été fait». Il a de même expliqué que le choix de Dangote, de produire son électricité à partir d’une centrale à charbon, allait le pousser à puiser 4 500 m3 d’eau dans la nappe phréatique, dans une zone connue pour sa vocation horticole, et surtout, dans un pays sahélien comme le Sénégal.
Boubacar Camara, dans le même article, expliquait la plainte de son entreprise, par une volonté de courir «contre la montre», car «dès que la production aura commencé, ce sera beaucoup plus difficile d’intervenir. Vu les conditions dans lesquelles il a installé son usine, Dangote peut arriver et fixer les prix qu’il veut».
On sait que la Sococim comme les Ciments du Sahel (Cds), ont fortement investi dans la remise à niveau de leurs outils de production, de façon à augmenter leurs capacités. Ce qui leur permet de déclarer aujourd’hui qu’à elles deux, les deux installations produisent plus que ne peut absorber le marché national. C’est dire que l’arrivée d’une nouvelle production risque de fausser leurs calculs. Or, fait remarquer une personne bien au fait des enjeux du secteur, «les deux entreprises ont pris des engagements vis-à-vis de nouveaux partenaires et de leurs bailleurs, sur la base d’un certain niveau de production, et d’un retour sur investissement étalé sur une période donnée. Un concurrent à qui l’Etat aura accordé des avantages indus, pourrait très facilement venir casser le marché et mettre les deux entreprises dans des difficultés que ceux qui ont accordé les autorisations ne semblent pas avoir bien mesuré». Ce discours a été conforté par la conviction affichée depuis un certain temps par les cimentiers, qui déclarent que le prix du ciment au Sénégal est le plus abordable de toute la sous-région ouest-africaine. Ce qui fait d’ailleurs que plusieurs de leurs employés n’ont jamais compris le besoin des pouvoirs publics de faciliter l’installation d’un autre concurrent, surtout en lui accordant autant d’avantages, dont beaucoup étaient à la limite de l’illégalité. Sur ce dernier point, des fonctionnaires des mines ont nuancé que Dangote a fini petit à petit, par se mettre aux normes, aussi bien concernant les risques environnementaux que ses relations avec les populations voisines de l’usine.
Néanmoins, l’atmosphère dans le secteur était devenue telle que l’on a vu Dangote s’épancher dans la presse locale à coup de pages de publicité, pour s’en prendre nommément à l’attitude de la Sococim. Ce qui fait que l’annonce du retrait de la plainte de Vicat en est d’autant plus curieuse, pour dire le moins.