Cela ressemblerait presque à une offensive concertée. Barthélémy Dias et Ousmane Sonko, principaux leaders de la coalition Yewwi Askan Wi, ont décidé d’aller en guerre contre ce qu’ils appellent tantôt une “partie de la presse”, tantôt une “certaine presse”. Le maire de Dakar n’a pas apprécié le traitement médiatique, tendancieux à ses yeux, du pitoyable spectacle offert par les députés, notamment de l’opposition, lors de l’installation de la 14ème législature, le 12 septembre dernier. Son collègue de Ziguinchor, de son côté, a une dent contre une “partie de la presse”, depuis le déclenchement de l’affaire Adji Sarr- à ce propos, Sonko a involontairement affiché sa peur des questions embarrassantes téléguidées, d’après lui, par les patrons de presse, d’où sans doute sa prédilection pour le monologue-
Après Macky Sall et la France, les journalistes sont ses cibles privilégiées. Il les attaque, tout en prenant le soin de les éviter soigneusement dans le cadre d’un échange contradictoire, sauf lundi dernier où il a mis au défi des confrères de lui poser des questions. L’impression qu’il dégage, in fine, est celle d’un homme qui a très peu d’estime pour les journalistes, qu’il considère comme des moutons de Panurge, des marionnettes, manipulées par “certains” de leurs patrons à la solde, eux-mêmes, du chef de l’État.
Sonko et Barth ont le droit de critiquer la presse. Les journalistes ne sont pas un corps à part. D’autant plus que, nous journalistes avons une grande part de responsabilité dans ces attaques que nous subissons. Nous sommes pris à notre propre piège. Dias a dit une chose essentielle lors son passage sur la TFM : la presse était “avec” l’opposition durant la fin de la présidence d’Abdoulaye Wade. Barth voit, ainsi, la presse comme un compagnon de lutte qui a fait défection, d’où l’impression sincère qu’il donne de se sentir trahi, maintenant que la presse, à ses yeux, n’en fait pas assez pour combattre Macky Sall.
Voilà le cœur du problème : la presse a, durant des décennies, porté au pinacle l’opposition, quel qu’il soit, et s’est même enorgueillie d’avoir été le fer de lance des deux alternances démocratiques du Sénégal. L’actuelle opposition réclame maintenant que l’alliance sacrée se reconstitue, que la presse contribue activement à une troisième alternance. Et qu’elle ferme les yeux sur ses dérives et ses tristes pantalonnades, comme lors de la déplorable journée du 12 septembre.
Cette injonction, disons même ce chantage, est inacceptable. Ce n’est pas le rôle de la presse d’être le compagnon de route de l’opposition, ni du pouvoir, par ailleurs. Deux phrases de Charles Péguy résument à mes yeux l’essence du journalisme. « Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste », dit-il. “Il faut toujours dire ce que l’on voit ; surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit”, renchérit-il. Ce que l’on a vu et entendu de certains députés de l’opposition n’était pas glorieux, le 12 septembre. Qu’ils souffrent que la presse le dise !