C’est l’espoir de toute une famille ou localité qui s’effondre, lorsque le migrant est rapatrié dans son pays d’origine. Le retour au pays d'origine en Afrique est toujours perçu comme désespoir pour certains, car le membre de la famille qui part en migration est perçu comme la personne qui va sortir sa famille de la pauvreté. Ce qui fait que la plupart des migrants de retour font face à de nombreuses difficultés liées à la problématique de leur insertion psycho-sociale dans la société.
Le retour perçu comme les conséquences d’un échec
Le retour est perçu comme étant la conséquence d’un échec à l’étranger car les bénéfices que les migrants attendaient de la migration n’ont pas été atteints. Mais pour la théorie de la nouvelle économie de la migration de travail, la migration est une des stratégies que les ménages adoptent pour diversifier les sources de revenus dans un contexte caractérisé par la défaillance des marchés (accès au crédit, aux assurances). Selon cette théorie, les migrants sont dès le départ dans l’optique de retourner dans leur pays d’origine lorsqu’ils auront réalisé à l’étranger un objectif bien précis : celui d’acquérir les ressources nécessaires pour surmonter les imperfections des marchés, ce qui leur permettra d’améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille. Il est considéré que les migrants qui retournent dans le pays d’origine sont ceux qui ont acquis assez de capital financier et humain pour pouvoir y réaliser leurs projets. Ces deux théories ne tiennent pas compte du fait que les motivations initiales et les stratégies des migrants peuvent évoluer pendant leur séjour à l’étranger. Si certains migrants rentrent comme ils le prévoyaient au départ, d’autres préfèrent finalement rester à l’étranger, car les liens avec leur communauté d’origine se sont atténués, parce qu’ils ont acquis une certaine autonomie, que des événements d’ordre personnel ou professionnel sont survenus dans leur vie, ou en raison d’un changement de contexte dans leur pays d’origine ou de destination. Ceci dit, le retour est souvent remis à plus tard, les migrants étant confrontés aux pressions familiales et à la difficulté d’investir leur épargne dans des projets personnels au Sénégal (Hernandez-Carretero, 2012). Cependant, les données de l’enquête Push Pull, réalisée en 1997 auprès de Sénégalais en Italie et en Espagne, révèlent que seuls 38 % d’entre eux avaient l’intention de retourner au Sénégal, 31 % entendaient rester en Europe et les autres étaient indécis. Ce qui fait que le retour précoce du migrant est souvent perçu comme un échec par la société sénégalaise.
« Les gens me disaient que tu es parti et pour revenir les mains vides »
Le rapatriement de jeunes tentant l’aventure est devenu très récurrent et fréquent. C’est le cas d’Alassane Ly natif de la capitale du Sénégal orientale, Tambacounda. Ce jeune diplômé de l’école Sénégalaise, sa licence en poche, il a voulu poursuivre ses études au pays chérifien. Malheureusement l’aventure a tourné au vinaigre. C’est le moment décidé pour lui de rentrer au pays. Très désemparé et désappointé par l’échec de son aventure il a remarqué un certain mépris de la part de la famille et du voisinage.
« Au retour, c’est seulement ma mère qui avait accepté de me porter sous ses ailes. J’étais hors de moi, toujours enfermé dans la maison. J’ai vécu dans cette condition durant trois mois parce que je n’en revenais pas », s’est confié Alassane Ly qui s’active depuis un moment dans un projet de l’OIM pour mieux sensibiliser les jeunes sur les risques encourus.
Même si sa famille et plus particulièrement sa mère l’avait accepté et soutenu dans ces rudes épreuves qu’il traversait, Alassane Ly ne pouvait pas résister des jugements des voisins et autres membres de la société qui le voyaient comme une personne égarée pour avoir été rapatrié au pays. « Ma famille ne me jugeait pas par contre les autres de par leurs regards, ils me disaient que tu es parti et revenu les mains vides. C’est une déception familiale. Les amis ne comprenaient pas pourquoi je n’ai pas pu traverser la méditerranée pour rejoindre l’Espagne. J’ai pu garder le calme. Mais parfois, je culpabilisais au début à cause de cet échec », regrette le migrant de retour.
« Ma famille n’était pas du tout heureuse de mon retour »
Si Alassane Ly a pu bénéficier du soutien de sa famille surtout sa mère, ça n’a pas été le cas pour Biagui Diallo. Ce jeune originaire de la région de Tambacounda, lui aussi a traversé ses rudes épreuves communes à tous les rapatriés d’Europe dans leurs terres d’origine en Afrique. Ce migrant de retour au pays fait partie de la vague des rapatriés au Sénégal en 2018 qui ont souffert de la problématique de l’insertion sociale des migrants de retour au pays. « Ma famille n’était pas du tout heureuse de mon retour. Quand je suis arrivé à Dakar, j’ai appelé ma maman pour l’informer. Elle a pleuré et je l’ai consolé. Mes amis m’appelaient de gauche à droite ainsi que les proches parents. Au départ ce fût difficile. Au village c’était vraiment compliqué pour moi et la déception se lisait sur les visages des riverains. Certains m’en voulaient même s’ils ne me le disaient mais je faisais la remarque. Quand j’étais seul, je ressentais un sentiment de chagrin très profond. Ça me faisait mal. Mais je me suis battu à fond pour m’en sortir. Mais, malgré tout, je me suis ressaisi parce que je me disais que ce n’était pas la fin du monde », se souvient encore Biagui Diallo. Cependant, malgré la vindicte sociale et psychologique que nos deux interlocuteurs ont vécu durant des semaines dans leur villages respectifs, ils ont pu redresser la tête et regarder les riverains pour pouvoir affronter la vie. « C’est ma mère qui m’a convaincu de redresser la tête pour sortir dehors. J’ai commencé à aller dans son magasin pour l’aider à vendre ses articles. Ce fût une manière de vider mon esprit plein de chagrin. C’est comme cela que j’ai pu revenir et avoir la force mentale d’affronter la réalité des choses. J’ai eu à avoir un stage de quatre dans un multiservice qui a permis d’avoir quelques ressources financières. C’est par la suite que j’ai postulé dans la demande de l’OIM qui cherchait des volontaires pour le projet Migrant comme Messager. C’est ce projet vraiment qui a définitivement facilité mon insertion car toutes les conditions y sont réunies pour nous mettre à l’aise » s’est réjoui Alassane.
L’absence de données pour les migrants de retour, source de difficultés.
La migration de retour constitue une variable mal connue, du fait de l’absence de données adéquates. Globalement, il n’existe pas de système d’enregistrement centralisé des migrants de retour permettant de déterminer leur nombre exact et leur profil sociodémographique et économique, qui pourrait servir de base de données pour le suivi, l’accompagnement et la création de projet de réinsertion. Dans son rapport « Migration au Sénégal : profil national 2018 », l'OIM révèle avoir organisé le retour assisté de 3.023 migrants sénégalais en provenance de la Libye en 2017. Même si des efforts sont en train d’être réalisés pour la mise en place des politiques et programmes de réinsertion des migrants de retour, force est de constater que l’intégration psycho-sociale des migrants reste un véritable problème. Mais le rapport parcouru recommandé pour une meilleure connaissance des flux de migration de retour, de développer un système d’enregistrement systématique des migrants de retour permettant de déterminer leur nombre exact et leur profil démographique et socio-économique, qui servira de base de données pour le suivi, l’accompagnement et la création de projet de réinsertion.
Cet article a été écrit avec le soutien d’Article 19 et l’UNESCO, dans le cadre du projet « Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication », financé par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS), via le « Fonds Afrique » du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale (MAECI) ».