Après trois rencontres pour procéder à des négociations en vue d’apporter une solution à l’impasse que traverse l’école sénégalaise, depuis le mois de novembre, les représentants des syndicats et le gouvernement sont encore loin de trouver un terrain d’entente.
Les espoirs placés dans la nouvelle rencontre entre les représentants des syndicats d’enseignants et le gouvernement, samedi dernier, ont encore été déçus. La troisième session de négociation, après plus d’une dizaine de semaines sans déroulement normal des cours dans l’enseignement moyen secondaire, s’est soldée par un échec. Juste après la rencontre, le G7 a annoncé un nouveau plan d’action pour cette semaine. Lundi, le syndicat demande à ses enseignants d’observer une présence passive avec port de brassards rouges ; un débrayage à 9h, le mardi, suivi d’une assemblée générale départementale à Saint-Louis, Diourbel et Mbour ; et une grève totale mercredi et jeudi. Ceci, en maintenant un boycott des commissions d’examen de CEAP/CAP, des cellules d’animation pédagogique et de toutes formes d’évaluations.
Cette troisième rencontre depuis le 3 février a enfin permis au gouvernement de faire des propositions de sortie de crise. Les premières ont été infructueuses en raison des attentes des syndicalistes non-satisfaites par la tutelle, à travers des accords signés en 2014 puis revisités en 2018. Alors qu’il était convenu de se retrouver dans un délai de 15 jours au maximum pour continuer les discussions, le gouvernement a dû faire face au 8ème plan d’action, décrété 24 heures après la rencontre en début du mois. Les autorités ont ainsi convoqué une nouvelle réunion, le jeudi 10 février, dans un premier temps, avant de le repousser au samedi dernier.
Entre autres revendications, les enseignant déplorent ‘’le rythme lent des rappels d’intégration, de validation et d’avancement’’, de même que le non-respect par l’Etat du principe de ‘’restauration de l’équité dans le système de rémunération en octroyant de nouvelles indemnités ou en procédant à un relèvement du niveau pour certains corps de l’administration publique’’.
Des propositions pour un impact budgétaire de 69 milliards
Ce samedi, le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, a proposé, une amélioration du régime indemnitaire des enseignants. Cela devrait se faire à travers sept mesures : l’augmentation de l’indemnité d’enseignement de 60 % de la solde indiciaire ; l’augmentation de 100 % de la prime scolaire ; le relèvement de 100 % de l’indemnité de recherche documentaire et de surcharge horaire ; l’augmentation de l’indemnité de contrôle et d’encadrement de 100 %; l’augmentation de 5 % du point d’indice ; l’institution d’une indemnité d’administration scolaire et la défiscalisation de l’indemnité de logement. Toutes ces mesures auront un impact budgétaire de 69 milliards de FCFA.
Abdoulaye Daouda Diallo a annoncé cette proposition, non sans rappeler les efforts fournis par le gouvernement, depuis les accords de 2014. Au total, soutient le ministre des Finances et du Budget, l’impact budgétaire des accords conclus avec les syndicats d’enseignants correspond à 471,9 milliards FCFA. Sur la période 2015-2018, un montant de 171,9 milliards F CFA a été consacré aux accords signés le 17 février 2014, ‘’ayant concerné principalement la mise en solde d’enseignants, le paiement de rappels (avancement, validation, intégration et primes et indemnités), le traitement de projets d’actes à travers des guichets uniques et l’octroi d’indemnités’’. De 2019 à maintenant, le gouvernement a consenti à dépenser 303 milliards F cfa, pour la mise en pratique ‘’des accords signés le 30 avril 2018 et portant principalement sur l’augmentation substantielle de l’indemnité de logement de 60 000 F cfa à 100 000 F cfa, les rappels et la mise en solde des maîtres contractuels.’’
Les parents d’élèves exigent la reprise des cours
Ce discours n’a toutefois pas suffi pour convaincre les syndicalistes de retourner dans les salles de classe. Ces derniers ont jugé insuffisante la proposition faite par le gouvernement, tout en réclamant des actes concrets. Si une nouvelle rencontre entre les acteurs doit se tenir cette semaine, le porte-parole des syndicats, Hamidou Diédhiou, a soutenu que la situation que traverse l’école sénégalaise est la faute d’un gouvernement qui n’a pas tenu les promesses qu’elle a faites aux enseignants et que les propositions de l’Etat sont encore loin des demandes des syndicalistes.
Pour le président de l’Union des parents d’élèves et étudiants du Sénégal (UNAPEES), cette situation n’a que trop duré. Abdoulaye Fané, qui s’est exprimé samedi, lors d’un rassemblement de la coordination de l’UNAPEES de la région de Dakar, a exigé la reprise immédiate des enseignements et apprentissages dans le respect strict du droit des enfants à une éducation de qualité (voir ailleurs).
Paralysée depuis plus de deux mois, l’école sénégalaise vit une de ses pires crises avec une série de débrayages et de grèves totales entamée par les syndicats du moyen et du secondaire.
CRISE SCOLAIRE
Les parents d’élèves exigent la reprise immédiate des cours
L’Union nationale des parents d’élèves et d’étudiants du Sénégal (Unapees) a tenu, ce samedi, un rassemblement à la Place de la Nation (ex-Obélisque), pour exiger la reprise immédiate des enseignements/apprentissages.
BABACAR SY SEYE
Les parents d’élèves entrent résolument dans la danse. Ils exigent la reprise immédiate des enseignements/apprentissages dans le respect strict du droit des enfants à l’éducation de qualité. Face à la situation scolaire, actuellement marquée par des débrayages et des grèves d’enseignants et d’élèves, ils ont organisé un rassemblement, ce samedi, à la place de la Nation, pour faire part de leur crainte. ‘’Nous manifestons notre profonde amertume, notre inquiétude et notre regret de voir la situation du système éducatif se détériorer, de jour en jour’’, a déclaré le président de l’Union nationale des parents d’élèves et étudiants du Sénégal (Unapees), Abdoulaye Fané. Qui souligne que le droit à l’éducation doit être garanti à tous les Sénégalais et que ce droit doit être garanti par l’Etat du Sénégal, conformément aux dispositions de l’article 9 al 10 de la Constitution.
‘’Considérant les menaces graves d’une année blanche ou invalidée qui pèse sur l’année scolaire 2021-2022 ; considérant les conséquences que de telles éventualités peuvent avoir sur l’avenir de nos enfants, sur la crédibilité de l’école sénégalaise et sur l’économie du pays ; nous appelons le gouvernement et les enseignants à engager un dialogue franc, responsable et constructif en vue d’un accord qui apaisera durablement l’espace scolaire’’, a-t-il soutenu devant protestataires. Qui ont brandit des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : ‘’Halte aux violations répétées des droits des enfants à l’éducation’’ ; ‘’Un Etat sans école, sans éducation, sans enseignants (3 E) est un corps sans âme’’.
Et tandis que des écriteaux estimaient que ‘’les enfants des hauts fonctionnaires doivent étudier dans nos écoles publiques’’, d’autres se demandaient : ‘’que penser d’un cuisinier qui refuse de consommer ce qu’il prépare pour d’autres ?’’.
De plus, constatant les limites des mécanismes de règlement des conflits, les parents d’élèves demandent aux partis en conflit de les admettre aux réunions sectorielles.
Le message lancé aux enseignants
Le rassemblement de ce samedi était également une occasion d’inviter les syndicats d’enseignants à surseoir aux grèves intermittentes. Abdoulaye Fané et Cie appellent ces derniers à un sursaut de dépassement en faisant preuve de patriotisme et d’un sens élevé de devoir. En effet, dans leurs revendications, ces syndicats exigent de l’Etat la correction du système de rémunération et le respect du protocole d’accord du 30 avril 2018. ‘’Les magistrats, inspecteurs des impôts, combien sont-ils par rapport aux enseignants ? Donc, il faut se poser la question : Est-ce que l’Etat peut supporter ça ? C’est près de 150 milliards par mois. Il faut être réaliste. Nous, à notre époque, on se souciait de nos enfants : pas plus de deux jours de grève, et après on cherche d’autres formes de lutte. Mais nous avons un Etat faible qui ne réagit jamais. A l’époque, Senghor nous avait renvoyés. Il y avait plus de 3 000 enseignants. C’est nous qui cotisons pour ces enseignants-là’’, fulmine un enseignant à la retraite.
Non sans souligner qu’il y a des règles que les enseignants aussi ne respectent pas. ‘’Le ‘’xar-maat’’ (cumul de fonctions) est interdit par les textes. Mais, tout le temps, les enseignants le font. Il est interdit de dispenser des cours payants dans les locaux de l’école publique, les enseignants le font. Donc, il faut qu’on se dise la vérité’’, a-t-il poursuivi, invitant ainsi ses ‘’collègues’’ à se remettre en question. Quant aux élèves, Unapees leur demande de mettre fin à leurs grèves, ‘’car ils demeurent les principaux perdants de ce déficit de temps d’apprentissage’’. Il y avait, au cours de cette mobilisation, des élèves venus notamment du lycée Lymodak et de CEM Ouakam.
CNEPT : ‘’Nous ne devons pas créer des conditions de déliquescence du système éducatif’’
Secrétaire général de la Coalition Nationale de l'éducation pour tous du Sénégal (CNEPT), Thierno Abass Diallo n’a pas manqué de venir apporter son soutien aux parents d'élèves. Ainsi, par rapport à l’organisation du rassemblement, il estime que c’est l’effort de construction d’un système viable, durable, d’éducation et d’enseignement qui soit capable de satisfaire les exigences en matière de développement. ‘’Ce pays a besoin de stabilité en la matière et il nous faut effectivement des efforts conjugués de tous les acteurs, des parents d’élèves, surtout, parce qu’ils sont d’une prépondérance et d’une importance sans nul pareil. Ce changement de paradigme pourrait demain nous être d’une très grande utilité. Les parents doivent s’investir. Et ce que l’Unapees a fait aujourd’hui, c’est une excellente chose’’, a-t-il magnifié.
Ainsi, il veut que les parents d’élèves soient beaucoup plus exigeants, plus regardants, et plus impliqués pour que l’Etat en arrive à ‘’prendre conscience’’ de l’exigence des élèves et des syndicats d'enseignants, à la mesure du possible. ‘’L’Etat doit faire de l’éducation une sur-priorité, considérer que c’est le secteur le plus important’’. Militant de l’école qui agit avec ses camarades de la CNEPT au niveau local, mais aussi, au niveau international où ils partagent des expériences réussies çà et là, M. Diallo souhaite que le Sénégal reste un pays phare en la matière.
‘’Le Sénégal a toujours été un parangon parfait en matière d’éducation et de formation. Nous ne devons pas créer des conditions de déliquescence de ce système qui a généré des produits forts respectés à travers le monde. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons vivement, qu’à l’issue de la rencontre entre le gouvernement et les syndicats, qu’on tourne la page qui n’a que trop duré’’, a-t-il sollicité.