Alors que l’arbitrage sénégalais continue de briller à la Can 2021, Samba Oumar Fall, journaliste-écrivain au journal Le Soleil, nous plonge dans l’univers de Malang Diédhiou (48 ans), arbitre retraité depuis 2018 et considéré comme l’un des meilleurs sifflets sénégalais.
Votre dernier ouvrage raconte la trajectoire d’un arbitre international sénégalais. Pourquoi avoir choisi de raconter son parcours dans un livre plutôt que dans un portrait au journal « Le Soleil » ?
En tant que journaliste au service sport du quotidien « Le Soleil », j’avais fait le pari d’écrire au moins dans ce domaine. Au départ, j’avais opté pour l’équipe nationale, mais à l’arrivée, j’ai jeté mon dévolu sur l’arbitrage, parce que je me suis rendu compte que l’arbitrage est le parent pauvre de la littérature alors que les arbitres sénégalais font de l’excellent travail au niveau international et méritent qu’on leur rende hommage. Partant de là, j’ai été séduit par la trajectoire de Malang Diédhiou après avoir brossé son portrait intitulé « Le Graal arbitral ». Ce papier a d’ailleurs été repris par beaucoup de sites. C’est ainsi qu’est venue l’idée d’écrire le livre «Malang Diédhiou, l’étoile venue de Badiana*» (Editions Salamata) pour l’offrir en modèle aux jeunes. Parce que son parcours est, à tout point de vue, exceptionnel.
Le Sénégal compte plusieurs figures arbitrales dont Badara Mamaya Sène, qui a eu des postes de responsabilité au niveau de la CAF. Pensez-vous que Malang Diédhiou jouit du même prestige ?
On ne peut pas parler de l’arbitrage sénégalais et même africain sans évoquer Badara « Mamaya » Sène qui a été le mentor de Malang Diédhiou. « Mamaya » a marqué le microcosme de l’arbitrage. Son nom se conjugue avec cette corporation. Il est entré dans l’histoire en devenant le premier arbitre sénégalais à officier une finale de Can ; celle de 1992, au Sénégal, entre la Côte d’Ivoire et le Ghana. Son engagement et sa détermination lui ont valu d’être membre de la Commission des arbitres de la Fifa de 2002 à 2017. Sous le magistère du Camerounais Issa Hayatou, il a été aussi vice-président de la Commission des arbitres de la Caf, entre 2002 et 2017. Il a permis à beaucoup d’arbitres d’éclore, de se distinguer sur la scène internationale. Il s’est toujours battu pour que le Sénégal puisse disposer d’une relève à même de hisser le drapeau national très haut. « Mamaya » est toujours intervenu dans le choix des hommes. Malang Diédhiou, à l’image de nombreux de ses pairs, est passé entre ses mains en 2008. Et il a eu une carrière bien remplie, devenant ainsi une sommité de l’arbitrage grâce à ses performances. Quand il a pris sa retraite, il a endossé le costume d’instructeur de la Fifa et de la Caf, avant de prendre en charge les destinées de l’arbitrage sénégalais, auprès de la Fédération. Il ne fait aucun doute qu’il jouit d’un grand prestige, même si ce n’est pas le même.
Quelle appréciation portez-vous sur la carrière arbitrale de Malang Diédhiou ?
C’est une carrière exceptionnelle à tout point de vue. Malang Diédhiou s’est laissé tenter par l’expérience et a connu un destin international à partir de 2008. Une belle récompense de sa détermination, de son travail, de son talent, de sa soif de progresser, mais aussi de ses sacrifices familiaux et professionnels. Il a accumulé une grande expérience et l’exigence de la performance et l’envie de progresser l’ont poussé à maintenir le cap. En 2018, lors de la Coupe du monde qui s’est déroulée en Russie, il a été la plus grande satisfaction africaine grâce à ses qualités au sifflet, sa maîtrise des lois du jeu, sa fermeté et sa capacité à gérer une énorme pression. Son parcours force le respect. Il est le premier Sénégalais à devenir arbitre international sans avoir été fédéral. Avec ses prédispositions, il a été promu international alors qu’il était arbitre de Ligue. Il a gravi les échelons à une vitesse remarquable et a officié à toutes les grandes compétitions : Coupe du monde U17 et U20, Coupe des Confédérations, Coupe du monde des clubs, Jeux olympiques, Coupe du monde senior, Coupe d’Afrique des Nations, Championnat d’Afrique des Nations. À force de détermination et de persévérance, il s’est imposé comme une figure incontournable de l’arbitrage et a montré la voie à de nombreux arbitres dont le rêve est de devenir des internationaux.
Comment analysez-vous le niveau de Malang Diédhiou comparativement à ses successeurs aujourd’hui à la CAN 2021 au Cameroun ?
Chaque arbitre, chacun, à sa manière, a écrit de belles pages dans l’histoire de cette corporation. Badara « Mamaya » Sène a dirigé la finale de la Can 92, au Sénégal. Badara Diatta a été au sifflet de la finale de la Can 2012, entre la Zambie et la Côte d’Ivoire. Youssou Ndiaye en 1974 et 1978 et Falla Ndoye en 2002 ont officié à la Coupe du monde. D’autres grands noms comme Falla Ndoye, Mamadou Ndoye, Idrissa Seck, Amadou François Guèye « Francky », Pape Moussa Ndiaye, Fatou Gaye et autres ont aussi porté haut le flambeau de l’arbitrage sénégalais.
En 2018, Malang Diédhiou s’est aussi retrouvé à diriger un huitième de finale de Coupe du monde en Russie. C’était une première dans l’histoire de l’arbitrage sénégalais. Il a su s’imposer avec autorité et n’a eu de cesse de gravir les marches menant au sommet de l’arbitrage national, continental et mondial. Il ne fait aucun doute que Malang Diédhiou, vu son parcours, a réussi à marcher sur les pas de ses illustres prédécesseurs. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, il est un ambassadeur apprécié et respecté du football, de l’arbitrage sénégalais, africain et mondial. Son nom demeure, pour des générations, comme un exemple, aussi bien pour sa compétence que pour son intégrité, son courage et son esprit ouvert et impartial.
Le trio sénégalais à la CAN 2021, Maguette Ndiaye en particulier, est apprécié par plusieurs observateurs. Est-il sur les traces de Malang Diédhiou ?
Le Sénégal a bien joué sa partition au niveau de l’arbitrage lors de cette Can. Que ce soit Maguette Ndiaye, Issa Sy ou encore Djibril Camara et El Hadj Malick Samba, ils ont tous été irréprochables. Ce n’est guère une surprise, car l’arbitrage sénégalais fait référence en Afrique.
Les prestations de Maguette Ndiaye ont vraisemblablement été bonnes. Je peux dire, sans risque de me tromper, qu’il est sur les traces de Malang Diédhiou avec qui il a évolué pendant quelques années dans l’élite africaine. Le destin de Maguette Ndiaye est lié à celui de Malang Diédhiou depuis des années. De 2014 à 2018, il a été son arbitre de réserve pour tous les matches que l’enfant de Badiana a dirigés. Il gravit les échelons pour atteindre l’élite. Aujourd’hui, il fait partie du club des arbitres africains officiant au plus haut niveau. Une dizaine d’années a déjà défilé entre sa toute première expérience sifflet en bouche et son arrivée parmi l’élite de l’arbitrage. L’exigence de la performance a poussé Maguette Ndiaye à maintenir le cap pour garder sa place dans le panorama du football mondial. Il figure d’ailleurs parmi les six officiels africains sélectionnés pour la Coupe du monde Qatar 2022. Ce choix est la preuve que l’arbitrage sénégalais se porte bien.
Cependant, l’arbitrage lors de cette CAN 2021 est souvent critiqué par les acteurs. Donnez-vous raison à ceux qui disent que l’arbitrage africain à un problème de niveau ?
Les critiques dans l’arbitrage ne sont pas seulement spécifiques à la Can. Dans toutes les grandes compétitions internationales, et même les plus grands championnats de football, l’arbitrage a souvent été au cœur de controverses. La Can « Cameroun 2021 » n’y a pas dérogé. Il est vrai que l’arbitre est le maître du jeu, le garant des lois du jeu, et cette posture lui impose de faire preuve de lucidité, de clairvoyance et de maîtrise. Mais dès fois, il y a des paramètres que l’arbitre ne maîtrise pas. La preuve, lors de la rencontre opposant le Mali à la Tunisie comptant pour le premier match du groupe F, l’arbitre zambien, Janny Sikazwe, qui a à son actif plus de 20 ans d’expérience, a multiplié les bourdes. Il a sifflé la fin du match à la 85e minute avant de récidiver pour mettre un terme définitif à la rencontre après 89 minutes et 45 secondes. Il a par la suite expliqué qu’il n’était plus lui-même et cela peut se comprendre. Parce qu’un arbitre a beau améliorer ses performances, être le meilleur, il n’est jamais à l’abri d’une erreur. Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent jamais. Depuis le début de cette Can, des arbitres ont été vilipendés à chaque match, critiqués, traînés dans la boue pour avoir commis des erreurs d’appréciation. Et la VAR n’est pas étranger à cette situation. Mais c’est cela le football ; tant que l’enjeu prime, les arbitres seront toujours responsables des contreperformances des mauvais perdants.
Est-ce que les arbitres se sont appropriés du livre ?
Cet ouvrage, le premier dédié à l’arbitrage au Sénégal, doit être un livre de chevet pour tout arbitre qui veut réussir dans le milieu. Parce que Malang Diédhiou est un modèle, un exemple à travers son parcours exceptionnel, pas seulement dans l’arbitrage, mais aussi dans la douane sénégalaise. Les arbitres sénégalais et ceux qui ont une vocation pour devenir arbitre doivent donc s’approprier du livre qui est plein d’enseignements. Malheureusement, ce n’est pas encore le grand rush. Pour l’instant, les non-arbitres sont de loin plus intéressés par l’ouvrage qui les éclaire sur le fonctionnement et les vertus de l’arbitrage et leur apprend des choses qu’ils ignoraient dans ce domaine. Mais j’espère que dans les prochains jours, la donne va s’inverser et que chaque arbitre et élève-arbitre se procurera le livre.
*Badiana est un village de la région de Ziguinchor, au sud du Sénégal, en Casamance.