Le gouvernement de transition au Mali a appliqué la réciprocité aux pays de la CEDEAO en fermant ses frontières avec les Etats de l’union, après les sanctions prononcées contre Bamako. Dans l’application de ces mesures, les Maliens, pour ne pas dire tous les Ouest-Africains, vont y perdre.
Les coups pleuvent de partout. Entre le gouvernement de transition installé par la junte au pouvoir et les instances dirigeantes de la sous-région, on ne se fait plus de cadeau. Aux mesures asphyxiantes prises dimanche par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), les militaires ont apporté la réplique, hier.
L’équipe du colonel Assimi Goïta a, en effet, annoncé la fermeture des frontières terrestres et aériennes du Mali aux États de la CEDEAO, tout en exigeant le retour de ses ambassadeurs en poste dans les pays voisins.
Par un communiqué lu à la télévision nationale par le ministre de l'Administration territoriale et porte-parole du gouvernement, "le Mali condamne fermement ces sanctions illégales et illégitimes. Ces mesures contrastent avec les efforts déployés par le gouvernement et sa volonté d'engager le dialogue pour parvenir à un compromis avec la CEDEAO sur le calendrier des élections au Mali". Le colonel Abdoulaye Maïga ajoute : "Le gouvernement du Mali regrette que des organisations sous-régionales ouest-africaines se fassent instrumentaliser par des puissances extrarégionales aux desseins inavoués", sans les nommer.
Fermeture réciproque de frontières
Lors d’un sommet extraordinaire à Accra, au Ghana, les chefs d’Etat de la CEDEAO ont pris, dimanche, une batterie de mesures économiques et diplomatiques vigoureuses à l'encontre du Mali, pour sanctionner l'intention de la junte de se maintenir au pouvoir encore pendant plusieurs années. Ces mesures sont la conséquence, notamment, de la promesse non tenue des colonels d'organiser, le 27 février prochain des élections présidentielle et législatives qui auraient ramené des civils à la tête du pays.
Les chefs d’Etat ouest-africains ont décidé de geler les avoirs maliens au sein de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), de fermer les frontières entre le Mali et les États membres de l'organisation, mais aussi de suspendre les transactions avec Bamako, à l'exception des produits médicaux et des produits de première nécessité. La CEDEAO a également décidé de retirer les ambassadeurs de tous les pays membres du Mali ainsi que d'autres sanctions concernant l'aide financière. Les sanctions financières, prises quelques heures avant le sommet de la CEDEAO ont été entérinées par les chefs d’Etat. Les pays membres de l’union vont rappeler leurs ambassadeurs au Mali, théâtre de deux coups d'État militaires depuis 2020 et en proie à une profonde crise sécuritaire.
Ces sanctions à effet immédiat seront toutefois levées progressivement, lorsque les autorités maliennes présenteront un calendrier "acceptable" et que des progrès satisfaisants seront observés dans sa mise en œuvre, informent les chefs d’Etat ouest-africains.
Bamako s’inquiète pour les Maliens
A Bamako, les inquiétudes portent sur les populations, face à ces sanctions qui vont étouffer le pays. Dans la presse, l’on s’en désole terriblement. Maliweb s’alarme même : "Ces sanctions auront sûrement pour conséquence de priver le Mali d’approvisionnement en divers produits de consommation. Ce qui va entraîner une hausse sensible des prix sur les marchés.’’
En effet, le gel des avoirs maliens à la BCEAO va mener à des "difficultés insurmontables à payer les fonctionnaires". Sans compter les blocages sur les levées de fonds sur les marchés financiers. Le manque de carburant va engendrer l’arrêt des transports et, par ricochet, du dynamisme des activités économiques. Comme le peuple s’est insurgé contre le dernier président élu par les urnes, Ibrahima Boubacar Keïta, les chefs d’Etat de la CEDEAO espèrent créer les mêmes conditions en amenant les Maliens à dégager la junte, pour permettre à leur économie de respirer à nouveau.
Des sanctions qui divisent
Au Sénégal, cette nouvelle donne au Mali divise des membres de la société civile. Sur les réseaux sociaux, le directeur régional du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies Bakary Samb, approuve des sanctions qui ‘’étaient un mal nécessaire, après quatre sommets en vain. Soutenir les Maliens, ce n'est pas les condamner à vivre sous des juntes successives. Le populisme doit cesser pour une analyse froide. La sous-région a plus besoin de stabilité que de surenchères nationalistes’’. Au même moment, le fondateur du think tank Afrikajom Center, Alioune Tine, estime que ‘’le moment n’est plus à la surenchère et à l’exacerbation inutile du conflit, mais à la poursuite du dialogue pour une sortie de crise urgente. Ce moment est le véritable temps diplomatique. Le fil du dialogue doit être maintenu et la flexibilité prévaloir pour une levée des sanctions’’.
Les lourdes sanctions prononcées par la CEDEAO contre le Mali pourraient également impacter le Sénégal. En effet, les deux pays entretiennent des relations économiques très soutenues, Dakar offrant l’accès à une façade maritime à Bamako pour son approvisionnement dans le monde. Selon les chiffres de la BCEAO publiés en janvier 2021, les exportations du Mali vers le Sénégal ont atteint une valeur de 102 milliards de F CFA en 2020. Sur la même période, Bamako a importé depuis Dakar des produits pour un montant estimé à plus de 580 milliards F CFA. Ce qui correspond à une balance commerciale excédentaire, au profit du Sénégal, de 478 milliards F CFA.
Ndongo Samba Sylla : ‘’Les exportations sénégalaises vers le Mali sont supérieures à celles vers tous les pays de l’UE réunis’’
Suffisant pour amener l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla à s’indigner sur les réseaux sociaux : ‘’Comme destination à l’exportation, le Mali, tout seul (474 milliards F CFA en 2020), est plus important pour le Sénégal que tous les pays de l’Union européenne réunis (264 milliards ; France = 44 milliards). En acceptant les sanctions de la CEDEAO contre le Mali, le Sénégal se tire une balle au ventre.’’
En octobre 2020, les chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO avaient déjà levé des sanctions économiques contre le Mali, instaurées depuis le renversement du président Ibrahima Boubacar Keïta le 18 août 2020 par les hommes du colonel Assaimi Goïta. Malgré la mise en place d’un comité national de transition dont la tête a été confiée à Bah N'Daw, le colonel Goïta avait fait arrêter le président de la transition ainsi que le Premier ministre, neuf mois après leur installation dans ce qui s’apparente à un second coup de force, avant d’être désigné président de la transition. Il s’était également engagé à organiser des élections ce 27 février 2022, afin de rendre le pouvoir aux civils. A moins de deux mois de la déchéance, les autorités maliennes ont notifié à la CEDEAO qu'elles sont dans l'incapacité d'organiser des élections présidentielle et législatives, tout en proposant une transition pouvant aller jusqu'à cinq ans.