L’exposition sur "Les pasteurs peuls" et "La chambre des années 50" du plasticien sénégalais Serigne Ndiaye dit "Seriñ", comptant pour la partie "Off" de la 11e Biennale de l’art africain contemporain (Dak’art, 8 mai-9 juin), invite à cultiver la mémoire de la tradition, par un retour rafraîchissant sur les vertus d’un processus de socialisation original, sur lequel se fonde toute la force et l’authenticité des références de l’homme sengalensis.
Cette exposition qui se tient dans les jardins de la mairie de Dakar, met en scène - selon une démarche intimiste - l’espace familial typique du Sénégal d’avant les indépendances, un laboratoire s’il en est de logiques sociales qui définissaient et différenciaient tout à la fois les hommes des femmes, pour que la vie en commun soit possible.
L’artiste reproduit quasiment à l’identique un espace de vie traditionnel où chambres et divers objets de récupération, dont certains remontent à plus de 50 ans, donnent toute la mesure des implications symboliques des concepts ‘’diom soudou’’ et ‘’diom gallé’’, consacrés par la culture peule pour mieux mette en exergue le pouvoir véritable de la femme, consacré par l’apparence des responsabilités imputées au père de famille.
Murs tapissés de peintures, photographies et lithographies diverses, la qualité de la vaisselle, de divers objets de décoration conservés par l’artiste depuis une trentaine d’années, donnent tout leur sens à une démarche proche d’une ethnographie consacrée à la bourgeoisie sénégalaise de l'époque.
Par ce moyen, Serigne Ndiaye réussit une véritable économie de la culture, consistant à transformer l’univers peul pour en faire le symbole du meilleur des traditions sénégalaises, toutes ethnies confondues.
L’aristocratie peulh est devenue le sujet favori de ce professeur d’arts, praticien et théoricien, à la fois, de la peinture sous-verre, dont les œuvres, également exposées dans le même cadre, expriment toute la fascination de l’artiste pour un paradoxe intriguant dans la culture peule, écartelée entre l’importance accordée à la richesse du port vestimentaire, fascinant à devenir extravagant, et la frugalité de l’alimentation.
Un mode de vie très esthétisant, riche en même temps d’une grande spiritualité, une éducation soulignée par une correction de tous les instants, un sens élevé de la famille et de la dignité, toutes choses que souligne l’esprit de l’exposition de l’artiste.
La même quête artistique conduit Serigne Ndiaye à mettre en exergue le prestige et le poids de la garde-robe, par lesquels la femme pèse et se pèse, une manière de marquer toute la place de la gent féminine et toute son importance dans la société, qui lui a par exemple réservé tout un rôle dans l’éducation de la progéniture, en dépit des préjugés et des lieux communs. Il n’en demeure pas moins que dans cet esprit, la femme s’impose aussi en modèle de tenue et de retenue, incarnation de la pudeur et de la vertu de la société traditionnelle.
Une illustration de cette période a été donnée à voir au cours du vernissage de l’exposition, au cours duquel des mannequins habillés par la styliste Mame Faguèye ont été conviées à poser. Habillées selon le style de ces années-là, elles ont amené les curieux à renouer avec l’élégance et le raffinement de ces années-là, par leur allure majestueuse, la délicatesse de leurs gestes, dans leurs boubous et pagnes d’époque et leurs coiffures traditionnelles dont la richesse se trouve mise en exergue par leurs tatouages.
Une pédagogie de l’humanité de la société traditionnelle qui a touché et bouleversé. Un ouvrier venu livrer du bois pour les travaux d’installation de l’exposition a failli verser des larmes en se rappelant la chambre de sa mère, rapporte Serigne Guèye. Un autre s’est tout simplement déchaussé avant d’entrer dans la chambre exposée, parce que c’était comme cela du temps de sa grand-mère.
Contre toutes les perceptions trompeuses, liées à une époque où les femmes étaient très portées sur les bibelots, entre autres objets d'ostentation, cette période correspond à celle du savoir-vivre, du quand parler et comment parler et de l’art de l’écoute.
Il faut répéter que les femmes ont à avoir avec la transmission de ces valeurs, autant que les hommes dont la place est également déterminée par le lien entre l’influence de la caste maraboutique et la montée de la bourgeoisie sénégalaise.
Seigne Ndiaye n’omet pas cette perspective, suggérée dans cette exposition par le grand nombre de photos en noir et blanc, de dignitaires tidianes de la branche de la famille de El Hadj Malick Sy de Tivaouane.
Toute la part personnelle d’un artiste qui a d’abord étudié au "daara" (école coranique) de Khalifa Ababacar Sy, à Tivaouane, puis est allé à l'école publique où il a décroché le baccalauréat avant de suivre une formation à l’Ecole nationale des Beaux-arts de Dakar dont il est diplômé de la section "Arts plastiques".
Il ne s’agit pourtant pas de nostalgie, mais de prendre le parti de la culture devant la montée de l’insignifiance, caractéristique de ces paysages anodins et impersonnels qui font partie des prêts-à-penser d’une modernité mal comprise et peu assimilée.
Au contraire, dans ce monde traditionnel mis en scène, chaque objet exposé est à la place idoine pour qu’il puisse trouver plein sens, tout son sens, qui était moins dans les mots que dans les signes et silences, voire les nuances et les non-dits.