Avec des scandales répétitifs qui ne cessent d’alerter les chancelleries étrangères, particulièrement européennes, le Sénégal risque gros, avec cette énième affaire de trafic présumé de passeports diplomatiques, quelques mois seulement après l’effectivité des dernières réformes sanctionnée par la mise en place de nouveaux passeports.
Les titres de voyage sénégalais ne pèsent pas lourd sur la scène internationale. Ils sont nombreux, les VIP sénégalais, qui préfèrent voyager avec des passeports européens ou américains, pour ne pas avoir à subir certaines suspicions et autres tracasseries au niveau des différentes frontières du monde. Censé permettre une mobilité plus fluide, le passeport diplomatique sénégalais ne vaut plus grand-chose, dans nombre de pays.
Dans le classement 2021 du Henley Passport Index qui, il faut le signaler, ne fait pas de spécification sur la nature du passeport, il est indiqué que le Sénégal est à la 92e place des passeports les plus puissants. Le passeport délivré par le ‘’Pays de la teranga’’ ne permettrait de se rendre que dans 56 pays, dans le monde sans visa, derrière des pays comme la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Burkina Faso, la Mauritanie, le Bénin, la Sierra Leone, le Ghana, le Cap-Vert et même la Gambie dont le passeport permet de voyager dans 68 pays sans visa. Et les passeports diplomatiques ne sont pas en reste.
Autrefois très prisés, ces titres ont perdu, depuis longtemps, de leur superbe. Ils sont d’ailleurs nombreux, les VIP, à préférer voyager avec leurs passeports européens ou américains. En juillet 2018, l’Italie, irritée par le bordel qui règne dans la délivrance de ces types de titres spéciaux, avait enclenché une procédure au niveau des instances de l’Union européenne pour demander que les titulaires de tels documents de voyage sénégalais soient soumis à l’obligation de demander un visa. Même la France, partenaire privilégié du Sénégal, avait béni cet acte souhaité au niveau de beaucoup de frontières européennes. C’est grâce au véto de l’Espagne que la procédure n’avait finalement pas abouti.
Dans la foulée de ce cafouillage, avec sa réélection survenue en 2019, le président de la République n’avait pas manqué de prendre des engagements fermes pour mettre de l’ordre dans ce grand désordre des passeports diplomatiques. Des mesures draconiennes avaient été annoncées et des tentatives de mise en œuvre déployées. Dans ce cadre, le 13 avril déjà, ‘’EnQuête’’ écrivait : ‘’Après son remaniement qui a carrément chamboulé l’attelage de son gouvernement, avec plusieurs entrées et sorties, son projet audacieux de suppression de la primature, l’on nous signale que le président Sall est aussi résolument décidé à mettre de l’ordre dans la délivrance des passeports officiels sénégalais.’’
Les engagements du président de la République
Plus tard, au mois de mai, Macky Sall avait fait enclencher une vaste opération pour traquer 200 passeports diplomatiques, afin de les retirer du circuit. ‘’Son récent coup de gueule concernant la prolifération de ce document de voyage officiel, n’est peut-être pas gratuit. Il nous revient, en effet, que la Division des investigations criminelles (Dic) va devoir encore faire étalage de ses compétences, pour jeter un rayon de lumière sur la confection de plus 200 passeports diplomatiques par le ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur (MAESE). Le nouvel entrant, Amadou Ba, n’aura pas à s’en faire, puisque cette enquête va concerner la gestion de son prédécesseur à ce poste, Me Sidiki Kaba’’, écrivait toujours le journal.
Cette affaire était d’autant plus intrigante que ces documents, d’après des sources, avaient été fabriqués et délivrés à beaucoup de non ayants droit, durant la phase transitoire entre la réélection de Macky Sall et la constitution du nouveau gouvernement le 7 avril dernier. La suite, c’est mystère et boule de gomme. Qu’est-il advenu de cette enquête à l’époque confiée à la Dic ? On ne le saura peut-être jamais. Finalement, le gouvernement avait décidé de changer les passeports pour refondre totalement le système. Malgré cette volonté affichée, malgré l’effectivité des nouveaux passeports, le bazar règne toujours dans le système. Le dernier scandale en date étant celui auquel sont associés des députés du peuple, en fonction au moins depuis la 12e législature, en 2012.
Au mois de décembre dernier, répondant aux préoccupations des parlementaires, la ministre Aissata Tall Sall soulignait que les passeports diplomatiques ne peuvent pas être donnés n’importe comment, car étant des documents qui caractérisent l’identité et la notoriété du pays qui le délivre. Selon elle, le nouveau passeport doit être ‘’fiabilisé et crédibilisé’’, notamment par ses titulaires. Tout en essayant de rassurer les parlementaires sur la disposition de ses services à diligenter leurs requêtes, elle faisait savoir que son département prendra des dispositions pour assurer la délivrance des notes verbales aux parlementaires qui en feront la demande.
Il faut rappeler que les déclarations d’intention du pouvoir actuel quant à sa volonté de laver les écuries d’Augias de cette nébuleuse, ne datent ni de maintenant ni de 2019. Dès son élection en 2012, le président de la République avait juré de retirer les titres à tous les non ayants droit. Mais près de 10 ans plus tard, le problème empire et met en scène de hautes personnalités du régime et de la République, en l’occurrence des députés. Pour ce qui est de leurs complices, c’est encore l’omerta. D’autant plus que la justice, très prompte à mettre en prison des opposants politiques, n’a toujours pas mis en branle la procédure de levée de l’immunité des mis en cause, indispensable pour les poursuivre.
Ce qui n’a pas été assez dit, c’est que les personnes épinglées sont loin d’être des députés quelconques dans l’Assemblée. Selon certaines sources, l’un d’eux a, durant toute la législature actuelle, été au poste très stratégique de vice-président de la Commission des affaires étrangères présidée par Pape B. Bigué Ndiaye, après avoir occupé les mêmes fonctions sous Pape Sagna Mbaye et Abdoul Mbow. Pire, il serait même le président du groupe France-Sénégal à l’Assemblée nationale. Ce qui le met en pole position et justifierait davantage le bienfondé de l’intérêt de la France pour ce nième scandale.
Ce que dit la législation sénégalaise
Sur le site du gouvernement, les passeports diplomatiques et de service sont définis comme des titres de voyage permettant à leur titulaire ‘’de jouir à l’étranger de privilèges exceptionnels inhérents à leur statut juridique ou de mesures de courtoisie internationale attachées à leur rang’’. Ils sont tous les deux délivrés par le ministère des Affaires étrangères pour un an et peuvent être prorogés, selon le site du gouvernement. Toutefois, les deux titres obéissent à des règles différentes sur certains aspects, notamment les potentiels bénéficiaires.
En effet, le passeport diplomatique est réservé, entre autres, aux membres du gouvernement, aux membres des institutions comme l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental, les diplomates (conseillers des affaires étrangères et chanceliers), les hauts magistrats, ainsi que les fonctionnaires sénégalais en service dans les organisations internationales.
Quant au passeport de service, c’est pour ‘’les hauts fonctionnaires de l'Etat : gouverneurs, préfets, directeurs de service, chefs de service du ministère des Affaires étrangères et, dans des conditions particulières, certains agents de l'Etat’’.
Pour ce qui est des passeports diplomatiques, il faut, pour en bénéficier, déposer les documents suivants : ‘’Une demande manuscrite adressée au ministre des Affaires étrangères, une carte nationale d'identité en cours de validité, des photos d'identité numériques prises sur place, un formulaire retiré au ministère des Affaires étrangères et dûment rempli.’’
Pour ce qui est du passeport de service, la demande doit être écrite par le supérieur hiérarchique. Une procédure souvent foulée aux pieds par les autorités qui accordent le sésame à tout-va.