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Montée de l’extrémisme religieux au Sénégal : le salafisme a-t-il bon dos ?
Publié le lundi 20 septembre 2021  |  dakaractu.com
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© Autre presse par DR
Les Djihadistes de Boko Haram ont multiplié leurs attaques
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Le Salafisme est un courant religieux de l'Islam sunnite, revendiquant un retour aux pratiques en vigueur à l'époque du prophète Mohamed et de ses premiers disciples connus comme les « pieux ancêtres » et la « rééducation morale » de la communauté musulmane. Les défenseurs et acteurs du courant Salafiste ont une manière particulière de voir la croyance des autres. Des critiques acerbes, sans détours et qui n’hésitent pas à attaquer les musulmans d’obédience soufi. Dans la tête de beaucoup de citoyens, une perception assez négative et extrémiste est mise en avant et leurs comportements vis-à-vis des soufi et des religieux du pays sont parfois tendus et acerbes. Réellement, qu’est-ce que le salafisme ? Quelles sont ses pratiques ? Comment est-il arrivé au Sénégal ? Quelles relations entretiennent-elles avec les confréries et autres courants islamistes ? Le salafisme pousse-t-il au jihadisme ? Dakaractu va, dans cet article, tenter d'apporter des réponses.
Imam à la mosquée du Point-E, Ahmed Makhtar Kanté fait savoir d’emblée que le salafisme est un mot fourre-tout où finalement chacun met ce qu’il veut y mettre. Mais pour lui, il faut revenir aux fondamentaux. Il avance que les Salafistes sont les pères de l’Islam qui ont été éduqués par le prophète, lui-même, qui ont vécu durant la révélation du Coran et sont considérés comme des modèles.

« Jusqu’au XXe siècle, en effet, être salafiste-notons la différence entre salafiste (salafi) et salafisme (al-salafiya)-signifie uniquement l’appartenance à une théologie dogmatique (kalam) hanbalite, caractérisée par « son effort, degré de fidéisme et son rejet du rationalisme », contextualise un article de lesclesdumoyenorien.com consacré au salafisme. La même source indique que la « filiation d’Ibn Hanbal vis-à-vis du salafisme littéraliste est toutefois problématique car les acteurs se revendiquant de cette mouvance, ont alternativement transformé, revendiqué et désavoué l’héritage hanbalite ».

À partir de là, le théologien Ibn Taymiyya (1263 -1328) réoriente le littéralisme hanbalite vers une doctrine de purification de la foi, poursuit lesclesdumoyenorien.com visité à Dakaractu. Il restaure l’unicité divine qu’on appelle le tawhid et s’érige contre les innovations (bida’). Un peu plus tard, Ibn Abdel Wahhab (1703 -1792) fait la symbiose entre le littéralisme de Ibn Hanbal et le puritanisme d’Ahmed Ibn Taymiyya.

« Il fait de la lutte contre le chiisme et le shirk (associanisme) une priorité et proclame, avec l’amir Muhamad Ibn Saoud, un jihad d’unification territoriale et d’homogénéisation doctrinale », étudie le site spécialisé dans l’actualité du moyen orient. Mais Muhammad Nasir al-Din al-Albani, un cheikh syrien d’origine albanaise spécialiste des « hadiths » du prophète Mohamed, vulgarise le salafisme en le détachant du patriarcat wahhabite.

L’arrivée du Salafisme au Sénégal

Si nous nous référons à une contribution postée sur Dakaractu le 7 mai 2013 par le chercheur Mouhamadou Mansour Dia, « le Salafisme a été introduit au Sénégal à la fin des années 1940 par Cheikh Touré qui a créé, quelques années plus tard, le 12 octobre 1953, l’Union Culturelle Musulmane ; mais, c’est Mamadou Ba qui l’a vulgarisé dans ce pays, par la création en 1956, du Mouvement Al-Fallah pour la culture et l’éducation islamique "As-Salafiya" au Sénégal ».

« Le Mouvement de la Jamâhatou Ibâdou ar-Rahmâne, fondée le 8 Janvier 1979 à Thiès, et l’Amicale des Elèves et Étudiants Musulmans de Dakar ont beaucoup contribué à son expansion au Sénégal », développe l’auteur.

Relation heurtée avec le soufisme

Dans sa réflexion intitulée « Le péril djihadiste à l’épreuve de l’Islam sénégalais », l’observatoire africain du religieux remonte aux années 30 pour fixer les premières manifestations de la mouvance non confrérique au Sénégal autour d’un « regroupement nommé Brigade de la Fraternité musulmane ».

Il est à reconnaître qu’à son début, le Salafisme ne posait réellement pas de problème au Sénégal puisque ses représentants, Cheikh Touré particulièrement, avaient de bonnes relations avec les représentants des confréries et étaient conciliants.

Le Sénégal compte quatre puissantes confréries soufi, à savoir la Tidjaniya, la Mouridiya, la Khadiriya et la Lahiniya. « L’Islam est dit confrérique du fait de la puissance des ordres confrériques qui rassemblent une part importante des musulmans du pays », rappelle la réflexion de l’Observatoire africain du religieux titrée «le Péril djihadiste à l’épreuve de l’Islam sénégalais. » Mais leur pratique de l’Islam enveloppé dans un mysticisme leur vaut des critiques des réformistes.

Selon Mouhamadou Mansour Dia, Cheikh Touré ne faisait que recourir à sa plume pour dénoncer, à travers ses écrits, les dérives dans les pratiques des Musulmans non conformes à l’Islam et l’attitude de l’État face à l’Islam. Sauf que dans la mouvance salafiste naissante, le ton utilisé par Touré ne convainc pas tout le monde. Des radicaux ne tarderont pas à se démarquer de l’Union culturelle musulmane vers les années 70 pour créer un courant répondant à leur idéologie. N’ayant pas réussi à se hisser sur le plan politique, la mouvance salafiste se distingue par contre, selon l’observatoire africain du religieux, dans les années 80 par un activisme très important, livrant bataille contre « la planification familiale et les pratiques populaires de l’Islam ». L’arrivée dans les années 90 de prêcheurs du mouvement Tabligh et de ce que l’observatoire africain du religieux appelle les « néo-fondamentalistes wahhabites », donne un nouveau souffle aux réformistes, même si ces nouveaux arrivants ont préféré progresser de manière détachée.

Une offensive est ainsi mise en branle pour occuper le terrain. Dans les mosquées, écoles et université, les prêches sont multipliés pour remettre les « égarés » sur le chemin de l’Islam des débuts. Beaucoup de sénégalais découvrent l’appellation « Ibadou » donnée à tous les salafistes quoique le courant ne soit pas si homogène que ça. Mais avaient déjà germé au sein des confréries, des mouvements prenant en compte le besoin pour les jeunes de s’émanciper en gardant leur foi soufi. On veut parler du Dahiratoul Moustarchidina wal Moustarchidaty (DMWM) dirigé par Serigne Moustapha Sy et de Izbu Tarqiya dont Serigne Atou Diagne est le leader.

Le premier mouvement cité est né au sein de la Tarikha Tidiane, précisément la branche de Tivaouane tandis que Izbu Tarqiya a vu le jour à l’Université de Dakar vers la fin des années 70 sous le nom de « Dahira des étudiants mourides ». Déployés dans les établissements scolaires au même titre que les salafistes, ils ont joué le rôle de répondant à ce courant nouveau qui a tout de même fait une percée dans la société sénégalaise.

Ce qui n’empêche pas le Dr Mouhamadou Mansour Dia d’inviter les chercheurs à prendre conscience de la percée du salafisme et son « omniprésence » au Sénégal. « Ils sont dans les villes, dans les villages, dans les quartiers, dans les entreprises, dans les écoles et les Instituts, dans les Universités, bref dans toutes les structures sociales sénégalaises », tente-t-il de conscientiser. Au sujet de leur méthode d’expansion, il découvre le « financement de la construction de mosquées pour ensuite imposer un imam qui va répandre leur idéologie à travers ses prêches… La manière de prier dans les mosquées de Dakar (le Khabd) et les « Aamiin » psalmodiés à haute voix témoignent de l’efficacité des méthodes des salafistes », relève le chercheur qui voit dans l’attitude des salafistes de l’imposture que les soufi doivent dénoncer avec méthode.

Il faut cependant savoir que les relations entre les soufi et les salafistes n’ont pas toujours été heurtées. Chercheur à l’Institut Fondamental d’Afrique noire et auteur, Seydi Djamil Niane fait savoir que ces rapports ont été au début policés. « La preuve quand Al Fallah a été créé, il n’y a pas un choc violent entre les salafistes et les confréries. Le contexte coïncidait avec la décolonisation. En fait, ce qui intéressait la plupart des musulmans, c’était la lutte contre l’impérialisme européen, la lutte pour l’arabisation », tempère le jeune chercheur.

Mais ces rapports vont se dégrader à mesure que l’emprise du colon s’étiole sur les territoires africains. Cette adversité va franchir un nouveau pas vers les années 2000. Dans une école de formation, un étudiant « ibadou » arrache la photo d’un guide religieux soufi et passe à côté d’un lynchage. Il a été sauvé par l’intervention du représentant de ce marabout qui fut le khalife général de l’une des grandes confréries du pays. Depuis, les rapports se sont détériorés.

Le déclic

En 2012, le pire est évité. Un prêcheur ibadou installé à Diourbel, dans le cœur du fief du mouridisme, heurte la sensibilité des disciples mourides. Membre du mouvement Al Fallah, Imam Abdou Karim Ndour a tenu des propos que des mourides ont considérés comme un blasphème et ont attaqué sa maison où se trouvait en même temps sa mosquée. Cet évènement radicalise les « ibadous ». Ils sont nombreux à converger vers la ville de Diourbel pour secourir l’un des leurs. Les choses finissent par se calmer après une médiation portée par les religieux des deux bords. Mais dans l’esprit des salafistes naîtra une idée. Celle de comités pour défendre leurs « cheikhs » en cas d’attaque des soufis ou des chiites.

Pour les salafistes, aussi bien les tarikhas que le chiisme sont à dénoncer. Sous la houlette de Makhtar Diokhané, de Moussa Mbaye et de Moustapha Diop, de jeunes sunnites adhèrent à l’initiative de mettre en place la riposte. Se tiendront ensuite plusieurs réunions dans différentes régions du Sénégal pour arrimer les positions et trouver un consensus sur la stratégie. Mais ces rencontres qui se tenaient au su de certains « Cheikhs » vont déboucher sur l’engagement djihadistes de la majorité des salafistes qui y ont participé. Les uns ont rejoint la Libye alors que les autres ont préféré émigrer au Nigeria, auprès de Boko Haram qui venait de faire allégeance à l’Etat islamique. Mais les deux groupes avaient un lien : Moustapha Diop. Après son bac obtenu à Al Fallah de Colobane, Moustapha Diop s’est envolé pour l’Arabie saoudite.

Au pays de Muhammad Ibn Abdal Wahhab, il est accepté à l’Université de Médine où il s’inscrit au département Hadith. C’est au royaume wahhabite que celui qui est aussi connu sous le nom de Mamadou Lamine Diop embrasse l’Islam radical au contact d’un cheikh saoudien actuellement en prison pour ses positions radicales contre les autorités royales. Déjà dans ce pays, Moustapha Diop qui a toujours revendiqué son appartenance à la mouvance salafiste met en place une stratégie bien pensée en finançant les activités du nommé Makhtar Diokhané, lui aussi salafiste. Il lui envoie une belle somme de 64 000 euros en coupure de 500 euros. L’argent est réceptionné au Sénégal par Diokhané qui quitte pour l’occasion la Mauritanie où il était établi dans le cadre de sa profession d’enseignant.

Plus tard, Moustapha Diop se retrouve à la tête de la colonie sénégalaise de l’État Islamique en Libye. Pour sa part, Matar Diokhané trouve par le biais de Diop un contrat d’enseignement dans les territoires de Boko Haram, dans le nord-est du Nigeria. Pour ces jeunes, on ne peut dissocier le salafisme du jihad tel que le prônent l’État Islamique et Al Qaida, même si les stratégies diffèrent. Créé en 87 par Oussama Ben Laden, Al Qaida a toujours prôné un jihad élitiste alors que l’État islamique qui a été « instauré » par Abou Bakr al Baghdadi milite pour le jihad populaire.

Parmi les dizaines de sénégalais qui sont tombés dans les bras de ce salafisme djihadiste, certains arguent avoir déjà consulté un ou des cheikhs avant de prendre une décision. C’est par exemple le cas de Sadio Gassama. Étudiant en médecine au moment de son engagement au sein de l’Etat islamique, il confiait à un média sénégalais avoir consulté au moins quelques cheikhs salafistes. Les uns lui ont déconseillé de partir alors que d’autres, non. À la quête de « sens » comme le répète le fondateur de Timbuktu Institute, le Dr Bakary Sambe, ces jeunes ont été encouragés par des écrits qu’ils ont soit trouvés chez eux ou ailleurs pour ne pas dire sur…Internet.

Jihad numérique

Attachant une importance capitale à la communication, une organisation comme l’État Islamique a submergé la toile pour véhiculer son message. Lorsqu’ils ne sont pas sur le front, les « combattants » participent à la propagande. C’est ainsi qu’en 2015 plusieurs sénégalais se sont fait remarquer sur les réseaux sociaux. Converti à l’Islam, Abdourahmane Mendy qui se faisait appeler Aboul Amin al – Senegali ou tantôt Abou Chou’aib a valsé entre pages pour distiller la cause djihadiste à ses compatriotes. Seulement, la pilule avait du mal à passer auprès de certains salafistes qu’on peut qualifier de quiétistes. Nous nous souvenons avoir assisté à des échanges épiques sur Facebook entre salafistes pro-jihad et anti-jihad.

« Les quiétistes sont aujourd’hui en guerre ouverte contre les djihadistes qu’ils accusent de vouloir excommunier tous les musulmans, à tel point qu’ils intègrent dans la définition de leur salafisme le rejet des idées des groupes comme Al Qaïda ou l’Etat islamique », clarifie Dr Mohamed Ali Adraoui qui note « davantage une différence de nature que de degré malgré les constructions religieuses communes ».

Interviewé par Dakaractu, un imam salafiste et quiétiste affirme avoir été contacté par un jeune aspirant djihadiste pour conseil. Mais il a réussi à le dissuader d’emprunter cette voie. Il lui recommande de faire son jihad autrement, c’est-à-dire de réussir ses études et de soigner les personnes qui ont besoin de recouvrer la santé.

Une histoire similaire a été racontée par Imam Alioune Ndao au tribunal de Dakar. Comparaissant pour terrorisme présumé, cette figure du salafisme soutient avoir déconseillé à son disciple Saliou Ndiaye, dit Baye Zale avec qui il a été jugé dans le dossier de terrorisme le plus retentissant que le Sénégal n’a jamais connu auparavant, à partir de l'Afghanistan. À partir de ce pays, le palestinien Abdallah Azzam a démocratisé le « jihad ». « Le jihad afghan, largement encouragé par le royaume saoudien, marquait le début de l’autonomisation du wahhabisme vis-à-vis de la tutelle d’une part et de la diffusion du salafisme d’Al-Albani et de ses pairs d’autre part. La mobilisation djihadiste suscitée par Abdallah Azzam via le bureau des services (Maktab al Khadamat), en mettant en contact wahhabites, djihadistes, Frères musulmans et salafistes, favorise l’émergence d’une nouvelle idéologie hybride qui fusionne l’approche littérale et traditionniste des salafistes avec l’injonction révolutionnaire du jihad », constatent Les Clés du Moyen Orient.

Cet intérêt de quelques salafistes sénégalais pour l’hégire et la lutte armée pose aujourd’hui le débat sur la nécessité pour les cheikhs de les orienter. Amir du mouvement Fallah, Imam Ousmane Galadio Ka assure que le jihad est régi par des règles. « C’est l’imam qui établit les règles et qui se charge de les contrôler. Personne n’a le droit de tuer une personne de manière libre. S’il le fait, c’est de son propre gré », recadre le chef salafiste. Si ces conditions ne sont pas remplies, on est en présence de ce qu’on peut appeler de la rébellion (Mouharib).

Imam Alassane Cissé de l’Ucad reconnait l’existence du jihad dans l’Islam. Cependant, il précise qu’il doit respecter des normes. Pour lui, le problème de la compréhension du jihad par certains musulmans repose sur l’interprétation du Coran qui, lu littéralement semble favorable au jihad qui peut se faire à tout moment et sous n’importe quelle bannière. À cela s’est greffée la machine de manipulation du groupe État Islamique à travers les réseaux sociaux. Il faut donc croire que c’est un groupuscule qui est tenté par la guerre sainte même si certaines associations ne sont pas contre la « résistance ».

Après la prise de Kaboul par les Taliban, deux associations sénégalaises d’idéologie salafiste ont signé une lettre de félicitation en même temps que 24 autres d’autres pays musulmans. Dans ce message, le Rassemblement islamique du Sénégal (RIS) ainsi que la Ligue des Imams et prédicateurs du Sénégal (LIPS) considèrent la victoire des taliban comme une preuve de la capacité des peuples islamiques à se libérer de la domination, de l’occupation et de la dépendance des forces coloniales ». Contacté par Dakaractu, le président du RIS assume cette position mais précise que son association ne fait pas l’apologie de la violence ou du jihad. Au Sénégal, l’apologie du terrorisme est un crime punie d’un an à 5 ans et d’une amende de 100 000 à 1 million. Une peine qui a failli s’abattre sur deux étudiants qui n’ont rien à voir avec la mouvance salafiste. Dernièrement, un enseignant a été appréhendé par la section de recherche à Barkédji, dans le département de Linguère pour ses liens troubles avec un groupe extrémiste chiite irakien. Ce qui semble indiquer que la lutte contre le terrorisme ne doit pas se faire en stigmatisant une communauté. Les groupes terroristes sont toujours en embuscade pour accueillir les frustrés. C’est la rhétorique des peuples islamiques opprimés utilisée à fond par les organisations djihadistes qui a influencé et décidé des musulmans à sauter le pas.
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