L’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) publiait, hier, son ‘’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) au Sénégal’’. Selon ce document, les chiffres encore inquiétants de la pauvreté tendaient à s’améliorer. C’était avant l’arrivée de la pandémie.
Le Sénégal est un pays pauvre, mais connaissait des points d’amélioration avant la pandémie de coronavirus. Ce constat résulte des travaux de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) qui publiait, hier, son rapport final sur l’’’Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages (EHCVM) au Sénégal’’. Un document qui retrace les conditions de vie d’un échantillon de 7 156 ménages entre 2011 et la période 2018-2019, et qui a abouti à la conclusion suivante : ‘’Le taux de pauvreté monétaire est estimé à 37,8 % en 2018-2019, soit une baisse du niveau de pauvreté de cinq points par rapport à 2011 (42,8 %) à l’issue des travaux de raccordement. Malgré cette baisse du taux de pauvreté, le nombre de pauvres a augmenté au Sénégal (5 832 008 en 2011, contre 6 032 379 en 2018).’’
Sur l’initiative de la Commission de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), cette enquête, financée par la Banque mondiale (BM), ambitionne de renforcer les capacités des Etats membres de l’union dans la conception, la mise en œuvre, le traitement et l'analyse des données d’enquêtes pour l'évaluation de la pauvreté. Ses résultats montrent qu’au Sénégal, le niveau de pauvreté diffère selon le milieu de résidence. A Dakar, le taux de pauvreté est de 8,7 %. Mais dans les zones rurales, la pauvreté concerne plus d’un Sénégalais sur deux (53,6 %).
Le document indique qu’en matière d’effectifs, le nombre de pauvres a augmenté de 200 048 individus, entre 2011 et 2018-2019 au Sénégal, soit de 3,4 % en valeur relative contre une augmentation de 25,1 % de la population. À l’exception du milieu urbain de Dakar où le nombre de pauvres a baissé de 139 330, l’effectif des pauvres a augmenté dans les deux autres strates du pays, soit respectivement de 327 620 individus dans les autres zones urbaines et de 11 758 individus en milieu rural.
Des pauvres en hausse, malgré un pouvoir de consommation amélioré
Des chiffres encore plus inquiétants concernent l’extrême pauvreté qui est une situation où le revenu (ou consommation) total du ménage n’arrive pas à satisfaire ses besoins nutritionnels de base. De manière globale, elle est notable chez 6,8 Sénégalais sur 100 et ce taux monte à 10,4 % chez les personnes vivant dans les zones reculées. A l’instar de la pauvreté monétaire, l’extrême pauvreté s’est réduite de 5,4 points de pourcentage au niveau national, entre 2011 et 2018-2019.
‘’Le niveau de baisse est plus important en milieu rural (-8 points), ce qui explique la diminution de la contribution du milieu rural à l’extrême pauvreté de 4,7 points et de l’effectif de la population vivant sous l’extrême pauvreté de 541 877. En milieu urbain de Dakar, l’extrême pauvreté a baissé de 1,8 point de même que sa contribution de 0,4 points. En conséquence, l’effectif des individus vivant sous l’extrême pauvreté a diminué de 55 671 à Dakar urbain’’, assure l’ANSD.
Au niveau de la puissance financière, le Sénégalais dépense en moyenne 507 352 F CFA dans l’année. Cette somme peut monter jusqu’à 821 150 pour un habitant de Dakar. Dans les autres villes, cette dépense moyenne est estimée à 520 822 F CFA. Toutefois, elle peut baisser jusqu’à atteindre 369 988 dans les zones rurales.
Lorsqu’on entre dans les détails, dans la capitale sénégalaise, les plus pauvres dépensent 228 342 F CFA dans l’année, contre 1 223 253 pour les plus fortunés. Dans les zones rurales, ces chiffres tombent à 197 163 pour les premiers cités et à 884 473 F CFA pour les nantis. Il faut savoir que dans cette enquête, le seuil de pauvreté annuel a été placé à 333 440 F CFA. Les Sénégalais qui dépensent 186 869 F CFA ou moins sont considérés comme ceux qui vivent dans l'extrême pauvreté.
Si vous dépensez 333 440 F CFA ou moins par année, vous êtes comptabilisés parmi les pauvres
D’un point de vue journalier, un individu, en milieu rural, dépense en moyenne 1 014 F CFA par jour pour l’ensemble de ses besoins de consommation, aussi bien alimentaire que non-alimentaire. Ce montant est de 1 818 F CFA en milieu urbain, soit près du double (1,8 fois) de celui des individus vivant en milieu rural.
Les conclusions de l’enquête de l’ANSD relèvent que l’insécurité alimentaire menace également beaucoup de Sénégalais vivant hors des villes. L’indice de prévalence de l'insécurité alimentaire (sévère et modérée) a été calculé à 53,4 % chez les personnes vivant dans ces conditions et à 43,5 % au niveau national.
En ce qui concerne le niveau de pauvreté par région, il ressort de l’analyse que les régions de Sédhiou (65,7 %), de Kédougou (61,9 %), de Tambacounda (61,9 %), de Kolda (56,6 %), de Kaffrine (53,0 %) et de Ziguinchor (51,1 %) sont les plus touchées.
Ces chiffres sont compréhensibles face au constat qu’un Sénégalais sur deux n’a pas d’occupation fixe. En effet, le taux d'occupation ou taux d'emploi strict (%) est de 58 % à Dakar. Il baisse selon qu’on s’éloigne des zones urbaines. Cela se répercute sur le taux de chômage élargi qui a été calculé à 11,6 %. Une analyse plus poussée de la situation de dépendance économique, révèle qu’au niveau national, un actif occupé a en moyenne à sa charge 2,3 personnes non-occupées. Cette situation est plus accentuée en milieu rural (2,6) et dans les autres milieux urbains (2,5) qu’à Dakar urbain (1,7). Une analyse comparée des niveaux des ratios de dépendance économique et démographique fait ressortir un faible niveau d’occupation de la population en âge de travailler, qui se traduit par des niveaux plus importants du ratio de dépendance économique.
Les hommes gagnent 124 454 F CFA par mois, contre 86 480 F CFA pour les femmes
Pour ceux qui parviennent à trouver un travail salarié, les résultats de l’enquête montrent qu’en 2018-2019, un salarié gagne en moyenne 112 423 F CFA par mois. L’analyse de la structure globale des salaires met également en évidence l'existence d’écarts de rémunération entre les différentes catégories de travailleurs. En effet, les hommes gagnent en moyenne par mois 124 454 F CFA, contre 86 480 F CFA pour les femmes, soit une différence absolue de 37 974 F CFA.
Un salarié du quintile des plus pauvres gagne en moyenne 45 933 F CFA par mois soit 1,8 fois moins qu’un salarié du quatrième quintile de niveau de vie et 3,6 fois moins que celui du quintile des plus riches. Ces écarts salariaux entre les groupes de quintile, ajoute l’ANSD, sont plus importants chez les hommes. Pour ces derniers, un salarié appartenant au quintile des plus riches perçoit 3,9 fois le salaire d’une personne du quintile des plus pauvres, alors que pour les femmes, cet écart est de 3,5.
La rémunération est plus élevée dans le public où les salaires mensuels sont estimés en moyenne à près de 250 000 F CFA, contre 94 140 F CFA dans les entreprises privées et 118 257 F CFA dans les entreprises associatives.
Par ailleurs, les hommes gagnent plus que les femmes, quel que soit le secteur institutionnel. Selon la catégorie socioprofessionnelle, un cadre perçoit en moyenne 348 653 F CFA par mois, soit trois fois plus qu’un ouvrier ou un employé qualifié qui gagne 1,7 fois le salaire d’un ouvrier ou d’un employé non-qualifié. Les niveaux de rémunération mensuelle les plus bas sont notés chez les manœuvres/travailleurs domestiques (49 668 F CFA) et les apprentis ou stagiaires (48 248 F CFA).
Les pauvres généralement propriétaires de leur logement
Il y a tout de même des indicateurs qui permettent de se réjouir un peu. Ils concernent l’accès des services de base. Pour l’électricité, il est de 74,3 % en moyenne atteint, même 97,4 % à Dakar et 88,7 % dans les zones urbaines. L’électrification rurale est encore en retrait, si l’on sait que seul 52,5 % des Sénégalais y ont accès. Les chiffres sont assez similaires lorsqu’on les applique à l’accès à l’eau potable, avec 78,7 % en moyenne nationale. 65,7 % de la population vivant dans les zones reculées y ont accès, contre 97,0 % dans la capitale.
Une consolation pour les pauvres. Les résultats de l’enquête montrent par ailleurs que cette catégorie est généralement propriétaire de leur logement. En effet, plus de la moitié des ménages pauvres (54,2 %) sont propriétaires sans titre et 30,3 % disposent d’un logement avec titre de propriété. Dans le groupe des non-pauvres, on retrouve, par contre, un peu plus de locataires (22,4 %) même s’ils sont aussi pour la plupart propriétaires de leur lieu d’habitation : 43,5 % de propriétaires avec titre et 23,4 % de propriétaires sans titre.
Toutefois, ces chiffres ont sûrement été affectés par la pandémie de coronavirus, survenue à partir de 2020, qui a durement touché l’économie et les ménages sénégalais.