Dans le projet de loi modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal et le projet de loi modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale, des mesures contre l’homosexualité ont été corsées. Toutefois, cela pourrait être la porte ouverte contre d’autres dérives autoritaires.
Le gouvernement du Sénégal a adopté, hier, en Conseil des ministres, le projet de loi modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal, de même que le projet de loi modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de procédure pénale. Adoptées par l’Assemblée nationale, le 28 octobre 2016, ces modifications offrent aux autorités judiciaires une marge de manœuvre beaucoup plus large pour combattre les menaces terroristes à la porte du Sénégal. Elles offrent également un éventail de possibilités pouvant mener à la restriction des libertés.
C’est, en substance, ce que dénonçait déjà, en 2016, Amnesty International. L’adoption de ces deux textes de loi permet de revenir sur les ‘’dangers’’ qui guettent la liberté d’expression ou encore l’Etat de droit au Sénégal. Elle constitue également un premier pas vers ce qui pourrait aboutir à une criminalisation de l’homosexualité.
En effet, cette question, au cœur de l’actualité, déchaîne les passions, surtout depuis le rassemblement du 23 mai dernier organisé par le collectif And Défar Jikko Yi. Ayant reçu l’approbation des chefs religieux et de la majorité des franges de la société, elle a servi de prétexte pour demander la criminalisation de l’homosexualité. Avec l’adoption des projets de loi modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale, le gouvernement semble aller dans le sens des populations, malgré les pressions des organismes internationaux.
Dans son ‘’Analyse des lois modifiant le Code pénal et le Code de procédure pénale’’ produit en 2016, Amnesty International retenait que ‘’la loi portant révision du Code pénal contient des dispositions visant à restreindre la liberté d’expression, notamment en ligne, qui pourraient être utilisées pour cibler les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), les journalistes, les lanceurs d’alerte et les défenseurs des droits humains’’.
L’organisation de la société civile dénonce l’article 431.43 du projet de loi n°22/2016 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal. En ce sens qu’elle criminalise, selon elle, ‘’la fabrication, l’affichage, l’exposition ou la distribution, par un moyen de communication électronique, de tous imprimés, tous écrits, dessins, affiches, gravures, peintures, photographies, films ou clichés, matrices ou reproductions photographiques, emblèmes, tous objets ou images contraires aux bonnes mœurs’’.
Elle continue en faisant remarquer que la notion de ‘’bonnes mœurs’’ n’est pas définie dans le Code pénal et a été utilisée au Sénégal pour restreindre la liberté d’expression et réprimer les personnes en fonction de leur orientation sexuelle ou de leur choix vestimentaire.
Amnesty International estimait également que l’article 431.61 du nouveau Code pénal, à travers la notion d’’’acte contre-nature’’, ‘’criminalise les relations sexuelles entre individus du même sexe consentants’’, car les considérant comme une forme d’’’attentats aux mœurs’’. Des crimes punis d'un à cinq ans d’emprisonnement et d'une amende de 100 000 à 1 500 000 F CFA.
C’est ainsi un véritable pied de nez qui est fait à la cause de la libéralisation de l’homosexualité dans la société sénégalaise.
Terrorisme
Les modifications du Code pénal et du Code de procédure pénale ouvrent aussi des brèches que l’organisation de la société civile estime propices à la restriction de l’Etat de droit. Surtout en ce qui concerne les notions incluses dans la lutte contre le terrorisme.
Selon elle, l’article 279-1 qui définit les ‘’actes terroristes’’ reprend principalement des infractions existantes en aggravant les peines applicables. De plus, la définition des ‘’actes terroristes’’ qu’elle offre ‘’est problématique sur plusieurs plans. En premier lieu, de nombreuses notions contenues dans cette définition sont particulièrement floues. Par exemple, en ce qui a trait à la motivation de l’’acte terroriste’, des notions telles que l’intimidation d’une population ou le trouble à l’ordre public ou au fonctionnement normal des institutions nationales sont vagues et ne sont pas définies, ce qui ne permet pas d’établir clairement dans quelles circonstances un acte déjà répréhensible deviendrait un ‘acte terroriste’. Ceci va à l’encontre du principe de légalité’’.
Plusieurs infractions en lien avec le terrorisme ont été créées et criminalisées, telles que ‘’le recrutement de personnes pour faire partie d’un groupe ou participer à la commission d’un acte terroriste’’ ; ‘’la fourniture d’armes en vue de commettre un acte terroriste’’ ; ‘’l’appui à un groupe, à un membre d’un groupe ou à toute autre personne pour sa participation à la commission d’un acte terroriste’’, etc.
Pour Amnesty International, ‘’ces infractions sont mal définies, ont un champ d’application beaucoup trop large et sont ainsi contraires au principe de légalité. Par exemple, la loi ne contient aucune définition de l’apologie du terrorisme. D’autres notions comme la notion de ‘groupe’, de ‘participation à un groupe’ ou d’’appui’ donné en vue de commettre un ‘acte terroriste’ ne sont pas clairement définies et ne permettent pas de faire un lien clair, précis et suffisamment direct entre le ‘groupe’ et l’’acte terroriste’.
Tout ceci permet à l’organisme de défense de droits humains de soutenir que ces questions de définition soulèvent des préoccupations majeures en matière de droits humains. Cela, ‘’non seulement parce qu’elles permettent d’établir que les infractions liées au terrorisme prévues par la loi ne répondent pas aux standards internationaux relatifs à des principes juridiques clés comme le principe de légalité, de certitude juridique et de responsabilité individuelle, mais également parce que ces définitions donnent aux autorités et forces de sécurité sénégalaises des pouvoirs renforcés en matière d’arrestation, de détention, de perquisition et de confiscation des biens tels que définis dans le reste de la loi’’.
Réseaux sociaux
Les modifications concernant le Code de procédure pénale ouvrent, quant à elles, des possibilités de restreindre l’accès à des sites aux ‘’contenus manifestement illicites’’, notamment pour faire cesser un ‘’trouble en ligne’’. Des concepts vagues qu’Amnesty International pense être des moyens excessifs et abusifs pour censurer et réprimer l’expression d’opinions dissidentes en ligne, y compris sur les réseaux sociaux.
Lors du Conseil des ministres du 3 février 2021, le président Macky Sall demandait au gouvernement de mettre en place un dispositif de régulation et d’encadrement spécifique aux réseaux sociaux. Au lieu d’agir dans la régulation excessive, une organisation comme AfricTivistes ‘’pense qu’il serait plus opportun d'encourager l'éducation numérique des populations, notamment à travers les structures décentralisées comme les centres de formation professionnelle et technique (CFPT) ; en plus d'intégrer dans les programmes scolaires pour les plus jeunes des modules en relation avec l’éducation numérique’’.
Les inquiétudes sur ces modifications concernent, en plus des restrictions à l’accès à un avocat, des capacités de surveillance et d’accès aux données élargies, entre autres.