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Fatou Bensouda, procureure générale de la CPI: “Je ne considère pas le procès Gbagbo comme un échec“
Publié le mercredi 26 mai 2021  |  Enquête Plus
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© AFP par DR
Fatou Bensouda, procureure de la Cour pénale internationale (CPI)
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La Procureure générale à la Cour pénale internationale (CPI) termine son mandat, le 16 juin prochain. Tout n’a pas été facile pour Fatou Bensouda. Elle a mené de grands dossiers qui l’ont souvent placée sous les projecteurs. Il a été beaucoup mis en avant ses enquêtes. Faisant dire à certains à certains que la CPI n’est là que pour juger des Africains. Ce qu’elle conteste, preuve à l’appui. Elle a été sanctionnée par l’ancien Président américain Donald Trump, quand elle a décidé d’ouvrir une enquête en Afghanistan. Cela n’a pas fléchi sa détermination. Elle a continué, malgré tout et revient ici, sur cette période, sur le rapport des justiciables à la CPI, sur ses grandes difficultés, lors d’enquêtes menées. Elle part, mais ne sais pas, ou ne veut pas encore dire, où elle va. Entretien.

Comment jugez-vous votre bilan comme Procureure générale ?

J’avais un mandat de 9 ans qui tire à sa fin. J’ai pris fonction en 2012. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Sécuriser les témoins était l’un des plus gros défis. Pour le Kenya (ndlr, procès contre six Kenyans pour divers délits dont crimes contre l’humanité et violence), par exemple, les gens ont pu savoir où se trouvaient les témoins. Ils ont pu les détourner contre la Cour. On a dû abandonner les poursuites contre le Président kenyan Uhuru Kenyatta. Les juges ont trouvé, par ailleurs, qu’il y a des interférences dans l’enquête, que les témoins ont été influencés et l’Etat n’a pas coopéré. Ainsi, ils ont trouvé qu’il serait difficile de juger un dossier dans ces conditions. La coopération est importante dans notre travail. La division de la coopération de la CPI est comme notre ministère des Affaires étrangères. C’est eux qui balisent le chemin, cherchent les contacts, noue des partenariats. Ils sont les premiers à aller sur le terrain pour identifier nos interlocuteurs, qu’ils soient témoins ou autorités. On n’a pas de pouvoir de coercition dans les Etats, d’où les négociations menées par la division Coopération, avant qu’on arrive dans un pays. Quand on arrive dans un pays, on avise les autorités, à moins que cela confidentiel. Le travail est difficile. Il faut du courage, de la détermination et de l’intelligence.

Considérez-vous le procès contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé comme un échec ?

Dans ce dossier, je ne faisais que mon travail. Je n’y ai aucun intérêt personnel. Je n’ai rien contre Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé. J’étais procureure à la CPI, quand la Cour a été saisie. C’est à moi que revenais d’enquêter. Et je l’ai fait. J’avoue qu’on a eu des difficultés, en présentant nos preuves. C’est pourquoi d’ailleurs certains des juges n’ont pas été convaincus. Il y avait cinq juges. Les trois n’ont pas été convaincus. Les deux autres pensaient que j’avais raison. J’ai décidé de faire appel, non pas pour m’acharner contre Laurent Gbagbo et Blé Goudé, mais pour suivre la procédure. N’étant pas d’accord avec la décision des juges, il était normal que je fasse appel. La procédure était légale. Tous mes arguments reposaient sur des textes juridiques. Et si je ne réagissais pas, il y aurait une jurisprudence Laurent Gbagbo. En appel, il y avait 5 juges expérimentés. Le procès en appel a duré plus d’un an. En appel également, deux juges pensaient que j’avais raison et les trois autres le contraire. Je ne pouvais que respecter leur décision. J’avais épuisé toutes les voies de recours et je ne faisais, une fois encore, que mon travail. Je ne considère pas que ce soit un échec. Je n’ai pas de regret.

D’aucuns pensent que la CPI est un tribunal pour Africains…

J’ai souvent défendu le contraire, dans beaucoup de mes discours. Les Africains ont été les premiers à réclamer la mise en place de la CPI. Si aujourd’hui cette Cour a pu commencer un travail, c’est grâce à l’Afrique qui la sollicite. Je rends hommage à ce continent pour ce leadership. La Cour pénale ne fait pas de fixation sur l’Afrique. J’ai listé tous les pays ayant requis l’expertise de la CPI. Et tous ceux qui ont fait appel à nous en avaient le droit. Ils ont ratifié le statut de Rome. Ils ont le droit de faire appel à la CPI. Mais, il faut rappeler que la responsabilité première d’un jugement revient aux Etats membres. Les Etats ne font appel à nous que s’ils ne peuvent pas eux-mêmes régler leurs problèmes. C’est ce qu’ont fait l’Ouganda, la République centrafricaine, le Congo, le Mali, les Comores et la Côte d’Ivoire.

Il faut que les gens comprennent que ce sont ces Etats qui ont fait appel à nous. Il faut préciser également que s’ils n’avaient pas fait appel à nous, nous aurions pu nous autosaisir. Je considère que ceux qui véhiculaient l’idée selon laquelle cette Cour est pour les Africains faisaient juste de la propagande. Elle est née au moment où on menait des enquêtes contre El Béchir et au Kenya. Il y avait beaucoup de propagande contre la Cour. Il faisait dans la désinformation. Il y a plus de 120 pays membres de la Cour pénale et les pays d’Afrique sont les plus nombreux (sic). On mène des enquêtes hors de l’Afrique, mais personne n’en fait état. On mène des enquêtes en Colombie, au Venezuela, au Bengladesh, en Palestine, en Ukraine. Tous ces pays ne se trouvent pas en Afrique, mais nul n’en parle. On est obligé de toujours justifier notre présence en Afrique, à cause de ce mauvais procès contre la CPI.

Comment avez-vous vécu les sanctions de l’administration Trump contre vous ?

Cela ne nous a pas empêchés, mon équipe et moi, de faire notre travail. Les sanctions étaient dures. On m’avait retiré mon visa. Ce qui n’était pas tellement grave, tant que j’arrivais à faire correctement mon travail. J’avoue quand même que ces sanctions ont eu un certain impact sur notre travail, surtout au plan opérationnel. Personnellement, on avait annulé ma carte de crédit et pris d’autres sanctions en mon encontre. Ce qui a eu certaines conséquences fâcheuses. On avait également sanctionné des membres de mon équipe. Aujourd’hui, l’administration Biden a décidé de lever ces sanctions. Ils ont trouvé qu’il était insensé de s’en prendre à la Procureure générale de la CPI qui ne fait, en fait, que son travail. Quand je remettais mon rapport d’enquête sur la Libye, il y a quelques jours, le représentant des USA a expliqué, une fois encore, pourquoi il n’était pas pertinent de sanctionner une équipe de la CPI. Aussi, ils sont en train de voir comment travailler à nouveau avec la CPI. Je leur ai dit que nous également étions contents de la nouvelle position adoptée par les USA. Nous ne pouvons travailler avec les Etats que, dans un respect mutuel et entretenir des dialogues constructifs. Il ne sert à rien à de menacer ou de vouloir sanctionner cette institution qu’est la CPI.

N’est-ce pas des réactions comme celles de Trump qui confortent l’idée selon laquelle la CPI n’est là que pour les Africains ?

Les gens doivent comprendre qu’un pays, aussi fort soit-il, ne peut nous empêcher de faire notre travail. Donald Trump et son administration ne voulaient pas que j’enquête en Afghanistan, parce qu’il y avait la CIA et d’autres forces américaines. Ils ne voulaient pas également que je touche à la Palestine, parce qu’Israël est leur allié. Ils n’ont pas pu m’empêcher, malgré leurs sanctions, de mener à bout ma mission sur ces deux dossiers. Pour moi, il n’est plus opportun de penser que la CPI ne s’en prend qu’aux pays africains, parce qu’ils ne sont pas assez forts pour sévir contre l’institution. On a assez démontré, à travers nos actions, que tel n’est pas le cas.

Parlant de ce rapport sur l’enquête menée en Libye, quelles ont été vos plus grandes difficultés ?

Ce qui se passe en Libye est très grave. C’est le Conseil de sécurité de l’ONU qui nous avait saisis pour qu’on ouvre une enquête. Depuis, nous avons délivré plusieurs mandats d’arrêt, mais ils n’ont pas été exécutés. Le dernier en date est celui contre Al Warfali (ndlr, Mahmoud Al-Warfali, commandant des forces spéciales Al-Saiqa, affilées aux forces de l'armée nationale libyenne dirigée par Khalifa Haftar). Il tuait des gens et filmait les scènes. J’ai mené une enquête sur ses agissements. On nous a dit qu’il est décédé. J’ai demandé des preuves à la Libye. Il y avait un autre mandat contre Al Touhami (ndlr, Al Touhami Haled, ex chef de sécurité de Khadafi). Quand on a su qu’il était en Egypte, on a écrit au Gouvernement égyptien pour qu’il nous le livre et cela n’a pas été fait. On nous dit également qu’il est mort. Il est important que les Etats exécutent les mandats d’arrêt qu’on leur envoie. Ils privent de justice les victimes, du moins devant la CPI. J’ai dit au Conseil de sécurité qu’il devait nous aider à faire exécuter ces mandats d’arrêt.

Un dossier est ouvert sur Israël, grâce à votre détermination, mais vous partez. Sachant qu’il y a eu des pressions venant des USA et que le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, vous a violemment critiquée, ne craignez-vous pas que l’enquête n’aboutisse pas ?

Je reste optimiste quant à l’aboutissement de cette enquête. Quand j’étais procureure générale, ma seule préoccupation était de faire mon travail et de le faire correctement. J’avais prêté serment et juré de m’acquitter d’un certain nombre de tâches. Je me suis attelé à cela. Je pense m’être donnée du mieux que je pouvais. Ils ne voulaient pas que j’ouvre une enquête sur les actions d’Israël en Palestine, mais, je suis arrivée à le faire. J’ai pu démontrer avec des textes réglementaires, rien que le droit, qu’il fallait ouvrir une enquête. Je m’en vais aujourd’hui et laisse le dossier à d’autres. Il n’y a que la Cour qui est permanente. Comme on dit, les hommes passent, mais l’institution demeure. J’ai terminé ma mission, je m’en vais avec l’espoir que mon successeur aura la même détermination que celle m’ayant permis de convaincre les autorités d’ouvrir cette enquête. Je ne doute pas qu’il mènera cette enquête à bout. C’est un travail qui doit se faire.

Vous reconnaissez que le dossier est quand même complexe et compliqué. Le mener à terme peut être très difficile ?

Je ne doute pas qu’on puisse le faire. La Cour a été saisie en 2015 par la Palestine. On y travaille depuis. On cherchait des preuves et arguments pour démontrer que la CPI est habilitée à mener le dossier. C’est en mars dernier que les juges de la CPI se sont décidés. Certains trouvent lent le travail de CPI. Mais, ils doivent se rappeler que le travail de Cour n’est pas facile. J’ai été Procureure en Gambie, j’y ai travaillé pendant un moment.

Si je compare mon travail d’alors à celui fait à la CPI, je me rends compte qu’en Gambie je ne faisais pas grand-chose. Quand on est Procureur d’un Etat, on ne fait que commander et donner des ordres. On fait tout pour nous. A la CPI, ce n’est pas pareil. A la CPI, il y a tout une chaine à respecter, avant d’agir. Des fois, pour des raisons politiques, il y a des choses qu’on ne peut même pas faire. Ce qui rend beaucoup plus difficile notre travail. Dans ces cas, on établit un dialogue, en essayant de les convaincre et d’avoir ce qu’on veut.

Que vous inspire ce qui s’est passé ces derniers jours à la mosquée Al Aqsa ?

On a tous vu ce qui s’y est passé. J’ai fait une déclaration pour rassurer les gens et leur dire que nous suivons ce qui s’y passe. J’ai dit aux acteurs qui sont actuellement sur le terrain que la CPI y menait des enquêtes.

Il est vrai que vous avez été Procureure en Gambie, mais vous y avez également été ministre de la Justice sous l’ère Jammeh. Aujourd’hui, seriez-vous prête à contribuer au retour de l’ex Président en Gambie?

Pour le moment, ce n’est pas dans mes compétences. Je suis Procureure. Je me limite, pour l’instant, à mener des enquêtes. Je ne connais que la justice. Mener des négociations de paix n’est pas de mon ressort. C’est le travail d’autres et j’ai eu à travailler avec eux en tant que Procureure. Pour autant, ce n’est pas mon travail.

Votre mission à la CPI est terminée. Pensez-vous rentrer en Gambie ?

Je viens de la Gambie qui reste mon pays. Je peux toujours y retourner, si je peux contribuer, d’une manière ou d’une autre, au développement de ce pays. C’est l’un de mes souhaits et je ne cesse de penser à comment je peux aider mon pays. Je prie pour terminer d’abord mon mandat à la CPI. Quand ce sera fait, je réfléchirai à quoi faire et où aller.

Peut-on s’attendre à ce que vous présentiez à la prochaine présidentielle gambienne ?

(Elle rit) Dieu seul sait.

Certains trouvent que l’un des défis de votre remplaçant est de rétablir la confiance entre le public et la CPI. Trouvez-vous que l’image de cette institution s’est autant écornée ?

Non ! Au contraire, pour moi, la CPI n’a jamais été au niveau où elle se situe aujourd’hui. Les gens savent que la CPI est là et pour eux. On comprend parfaitement qu’il puisse y avoir des critiques. C’est tout à fait normal. Moi, pour moi ces critiques sont plus politiques qu’autre chose. D’autres critiquent la CPI juste parce que notre travail va à l’encontre de leurs intérêts. Quand on enquête sur des choses, il y a des gens que cela agrée, d’autres pas. Ces derniers mènent souvent des campagnes de dénigrement contre l’institution. Alors, même si on écoute les critiques, il faut s’intéresser aussi à ce que fait la CPI. Cela permettrait à chacun de se faire sa propre opinion. Nul ne peut nier qu’on a réussi de grandes choses.

La CPI en est où sur les dossiers ouverts sur des actes de terrorisme dans le Sahel ?

C’est très grave ce qui s’y passe. Mon équipe et moi avons travaillons sur le sujet et réalisé de belles performances. J’ai ouvert un dossier concernant le Mali et celui accusé d’avoir détruit les Mausolées à Tombouctou (ndlr Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud dit Al Hassan). Il a été condamné pour divers délits. Il n’y a pas longtemps, une enquête a été ouverte au Nigéria. On s’intéresse à ce qui se passe au Nigéria. On va se pencher sur les actes de Boko Haram et des Forces de défense. Les enquêtes prennent du temps. Mais la détermination est là. On espère que le nouveau Procureur mènera à bout cette enquête.

A la CPI, il y a une alternative, soit on vous saisit, soit vous vous autosaisissez. Pensez-vous que face au péril des migrants, la Cour pourrait s’autosaisir ?

Ici, vous parlez du ‘’Barça wala Barsax’’. Notre bureau y travaille, depuis trois ans. L’enquête donne des résultats probants. On a compris qu’on ne pouvait pas prendre en charge seule cette question. Nous avons mis à contribution les pays impliqués de près ou de loin à cette affaire. Je ne pouvais continuer à me taire en voyant ce qui se passait dans le monde. On a évalué les aspects juridiques et on s’est rendu compter que la CPI pouvait travailler sur la question. On en a fait une priorité. On a des résultats dont on peut parler, pour le moment. Mais, il était inimaginable qu’on reste sans rien faire. On a décidé d’enquêter.
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