C’est un tableau très peu reluisant que décrit le rapport 2020/2021 de l’organisation de la société civile sur la situation des Droits humains dans le monde et au Sénégal, en particulier.
Les Droits et libertés sont quotidiennement bafoués au Sénégal. Il ne s’agit pas, cette fois-ci, d’un refrain de manifestants de partisans de l’opposition politique ou de membres de la société civile, c’est un constat de plus effectué par Amnesty International, dans son rapport annuel 2020/2021 sur la situation des Droits humains dans le monde. Sur la partie consacrée au Sénégal, beaucoup de manquements ont été reprochés aux autorités gouvernantes allant des restrictions dans la liberté d’expression et de réunion à la non reconnaissance des Droits des LGBTI.
Sur cette dernière catégorie de membres de la société, l’organisation de la société civile dénonce encore la répression que l’arsenal juridique sénégalais réserve aux lesbiennes, gays, personnes bisexuelles, transgenres ou intersexués. Amnesty International regrette un Code pénal, dans lequel les relations sexuelles entre personnes du même sexe sont passibles d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement. Même si cela n’est que rarement appliqué. En octobre 2020, relate le rapport, 25 hommes et adolescents ont été arrêtés lors d’une fête privée à Dakar. Inculpés d’« actes contre nature ». Seuls les adultes ont été condamnés entre six et trois mois de prison ferme.
Le rapport fustige surtout des militants LGBTI qui font « l’objet de campagnes de diffamation et de menaces de mort ». Présent en conférence de presse, lors de la présentation du document, le Directeur exécutif de Amnesty International/Section Sénégal a invité l’Etat à assumer ses responsabilités dans la protection des présumés homosexuels. Selon Seydi Gassama, « la Constitution du Sénégal protège tous les Sénégalais, protège le droit à la vie de tous les citoyens sénégalais. Même l’Etat ne peut pas prendre la vie de quelqu’un. La Constitution protège tous les Sénégalais contre la torture et les traitements cruels inhumains et dégradants. Tous les Sénégalais sont protégés et cette protection n’exclut aucune catégorie de personne ».
Seydi Gassama : l’Etat doit prendre ses responsabilités pour la protection des LGBTI
Seydi Gassama nie tout agenda de son organisation afin de pousser le Sénégal à légaliser l’homosexualité. « C’est d’ailleurs une campagne qui serait vaine et sans succès. Il faut arrêter la surenchère, la démagogie. Nous n’avons pas de campagne spécifique pour demander la légalisation de l’homosexualité. Tous les citoyens sont légalement protégés. Donc, ce qui se passe, ce sont des intrusions graves dans la vie », fustige le Directeur exécutif d’Amnesty International/Section Sénégal.
Comme partout ailleurs, les mesures de prévention contre la pandémie de coronavirus ont rythmé la vie des Sénégalais durant la majeure partie de l’année. Dès le mois de mars, l’arrivée du virus mortel au pays a amené les autorités à décréter l’état d’urgence assorti d’un couvre-feu. Ces restrictions seront maintenues jusqu’au mois de juin.
Sur le plan sanitaire, cela a permis de contenir l’épidémie avec moins de 40 000 cas détectés sur plus d’une année de présence du virus, pour un millier de décès. Malgré les efforts fournis par gouvernement dans la construction d’infrastructures sanitaires, le rapport regrette qu’en juin, « le Syndicat autonome des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes du Sénégal (SAMES) ait menacé d’appeler à une grève pour dénoncer le manque d’équipements de protection individuelle et d’autres ressources nécessaires à la gestion de la pandémie de COVID-19 ; (et que) des médecins travaillant en première ligne ont également menacé de cesser le travail pour protester contre leurs salaires impayés et leurs mauvaises conditions de travail ».
Bavures policières
C’est au plan des libertés individuelles et collectives de même que sur la répression par forces de l’ordre de manifestations que le plus de griefs ont été reprochés aux autorités sénégalaises. Le 12 mars dernier, Human Rights Watch dénonçait, après des entretiens menés avec huit activistes, manifestants et journalistes, et d’après les reportages des médias et les rapports de groupes nationaux et internationaux de défense des droits humains, que les forces de sécurité sénégalaises ont lancé des gaz lacrymogènes, ont dans certains cas tiré à balles réelles pour disperser les manifestants et ont arrêté au moins 100 personnes. De nombreux manifestants ont répondu par des jets de pierres sur les forces de sécurité, par des pillages et en brûlant des pneus, des voitures et d’autres biens. Cet épisode relate les évènements qui ont secoué le pays du 3 au 8 mars 2021, avec l’affaire Adji Sarr, Ousmane Sonko.
Le rapport d’Amnesty International qui scrute une période précédent ces heurts dénonce un recours, à chaque fois, excessif à la force par la police. Il évoque, en janvier 2020, un homme décédé en garde-à-vue dans la ville de Fatick après avoir été, semble-t-il, battu par la police. D’autres bavures policières ont été relevées : « En mai, les gendarmes ont utilisé du gaz lacrymogène lors d’une conférence de presse tenue par des jeunes de Cap Skirring pour dénoncer le manque d’eau potable dans leur ville. Au moins deux participants, un homme et une femme, ont été grièvement blessés. En juin, quatre personnes qui manifestaient contre la démolition en 2013 de leurs logements, situés à Gadaye dans la banlieue de Dakar, la capitale, ont été blessées, lorsque la police a dispersé leur rassemblement avec violence ».
L’arrestation musclée en juin 2020 de Assane Diouf, alors qu’il faisait un live sur les réseaux sociaux pour critiquer le gouvernement a été pris comme un des multiples entraves à la liberté d’expression. L’homme avait déjà été arrêté et condamné à 2 ans de prison dont 9 mois ferme pour injures publiques par le biais d’un système informatique, diffusion de fausses nouvelles et outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions.
Une presse non épargnée
En 2020, les manquements à la liberté d’expression n’ont pas épargné la presse. En août, retient le rapport d’Amnesty International, « des membres de Dahiratoul Moustarchidine wal Moustarchidati ont mis à sac les locaux du journal Les Échos après la publication d’un article avançant que le chef de cette organisation religieuse avait contracté le COVID-19. Six suspects ont été arrêtés. En septembre, Adja Ndiaye, une journaliste de Dakaractu, a été agressée verbalement et physiquement par des policiers à Dakar, alors qu’elle effectuait un reportage. Elle a été blessée au cou et au dos, et sa caméra a été endommagée ».
Les autres manquements reprochés au Sénégal portent sur le non-respect du Droit des enfants talibés. Sur cette question, signale le document, le projet de loi visant à réglementer les écoles coraniques n’a toujours pas été approuvé par le Parlement. En même temps, les sévices ont continué sur ces enfants vulnérables. Les conflits fonciers et les exactions perpétrées par des groupes armés en Casamance constituent les autres points sur lesquels les gouvernants sont appelés à faire plus.
Toutefois, tout n’a pas été mauvais dans ce rapport. « Le Code pénal a été modifié de façon à alourdir les peines encourues par les auteurs d’atteintes sexuelles sur des enfants et de viol », apprécie Amnesty International.
Covid-19 et restriction des libertés en 2020
Amnesty International alerte sur les abus de pouvoir
L’année 2020 restera celle de la pandémie de coronavirus, avec ses conséquences sanitaires, économiques et sociales. De cette situation, fortement aggravée par les politiques d’austérité, a résulté une pression exercée par des dirigeants politiques adeptes de la diabolisation et de l’exclusion. Face à sa situation exceptionnelle, les réponses des gouvernants n’ont que rarement été à la hauteur des défis à relever. Dans son rapport annuel 2020/2021 sur la situation des Droits humains dans le monde publié hier, Amnesty International constate une pandémie qui « a mis à nu les conséquences dévastatrices de l’abus de pouvoir, sur les plans aussi bien structurel qu’historique. La crise de la Covid-19 ne définit peut-être pas qui nous sommes, mais elle a certainement mis en évidence ce que nous ne devons pas être. »
Pour s’en convaincre, l’organisation internationale qui milite pour un monde dans lequel les dirigeants et dirigeantes tiennent leurs promesses, respectent le droit international et sont tenus de rendre des comptes regrette qu’au moment où paraît ce rapport, « les pays les plus riches ont mis en place un quasi-monopole sur l’approvisionnement mondial en vaccins, laissant les pays les plus démunis se débattre avec les pires conséquences de la crise en matière de santé et de droits humains, et donc affronter les perturbations économiques et sociales les plus durables ».
L’organisation appelle les autorités à agir sans attendre afin d’accélérer la production et la distribution de vaccins pour toutes et tous. Ceci, en s’assurant que les entreprises pharmaceutiques partagent leurs innovations et leurs technologies dans le cadre de licences ouvertes et non exclusives, ainsi que d’initiatives telles que le Groupement d’accès aux technologies contre la COVID-19 (C- TAP) de l’OMS.
Pour la Secrétaire générale d’Amnesty International, la meilleure manière de trouver un chemin vers une reprise durable et résiliente, est de faire preuve d’innovation, de créativité et d’imagination, « et donc que nos libertés ne soient plus bridées, mais respectées, défendues et protégées ». Aussi, retient Agnès Callamard, « La gouvernance mondiale ne pourra être adaptée aux objectifs planétaires qu’elle doit servir qu’à la seule condition de reconnaître l’importance de la société civile et de la respecter partout dans le monde, et d’être profondément déterminée à systématiquement dialoguer avec elle ».