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Traitement médiatique de l’affaire Sonko vs Adji Sarr: Les médias à l’épreuve de l’éthique journalistique
Publié le mardi 23 mars 2021  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par MC
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La presse sénégalaise joue un rôle crucial, dans le dossier judiciaire opposant Ousmane Sonko à Adji Sarr. Certains médias ont même payé un lourd tribut. Un mois après le déclenchement de cette affaire, ‘’EnQuête’’ s’intéresse à quelques rebondissements qui nécessitent une étude plus approfondie.

C’est en temps de crise que la neutralité, un principe fondamental de la pratique journalistique, est mise à rude épreuve. Cet idéal que recherche (normalement) chaque journaliste s’avère, aux heures de conflit, une tâche ardue. L’affaire de mœurs, qui a rapidement viré dans le champ politique, opposant le député Ousmane Sonko et Adji Sarr, en est l’illustration parfaite.

Si le dossier soulève la question de l’impartialité de la justice et des violences policières, entre autres problématiques, il faut aussi s’interroger sur la posture et le rôle de la presse sénégalaise dans cette affaire qui n’a pas encore connu son épilogue. A-t-elle veillé au respect du droit à l’information juste, vraie et plurielle du public ? Son rôle d’alerte et de participation à la manifestation de la vérité a-t-il été effectif dans le traitement médiatique de cette affaire ? Est-elle exempt de reproches ?

Évidemment, on peut s’attendre à autant de réponses que d’entreprises de presse ou de journalistes. Alors, bien loin de prétendre, à travers ces lignes, apporter de façon exhaustive des éléments de réponse, certains faits mériteraient que l’on s’y attarde. Le plus récent n’est autre que l’interview de l’accusatrice diffusée mercredi dernier, qui s’inscrit dans le cadre de l’information plurielle. Surtout que depuis le déclenchement de l’affaire, l’intéressée ne s’était prononcée dans aucun média.

Toutefois, dans la pratique, certains manquements prêtent à confusion. ‘’Adji Sarr est une ‘bonne cliente médiatique’, comme on le dit dans notre jargon, mais je ne comprends pas pourquoi l’interview ne s’est pas faite à visage découvert. Elle ne se cache pas, les journalistes aussi ne devraient pas se cacher. En le faisant, ils ouvrent la voie à toutes les interprétations. On peut interviewer quelqu’un qui se cache pour des raisons bien déterminées, mais le journaliste a l’obligation de s’assumer. Son rôle étant de participer à trouver des réponses à beaucoup d’interrogations. Hélas ! Après avoir suivi la sortie d’Adji Sarr, il y a tellement de questions qui restent sans réponse. Elles n’ont même pas été posées’’. Cette analyse de forme du journaliste spécialisé en politique, Mame Ngor Ngom, mérite réflexion.

Serait-ce par mesure de sécurité (vu les événements récents) que le ou les médias présents sur place, ce jour-là, n’ont daigné apparaître à l’écran ? Ou y at-il d’autres raisons inconnues ? ‘’Les intervieweurs n’étaient pas visibles, leurs questions à peine audibles, les relances aussi quasi inexistantes. Comme s’il y avait une volonté de ménager une femme manifestement dépassée par les événements’’, ajoute l’homme de média.

Abondant dans le même sens sur Pressafrik, Mountaga Cissé, spécialiste des technologies de l’information et de la communication, relève, pour sa part, ‘’un manque d’honnêteté’’ de la part des journalistes. ‘’Ce que j’ai constaté, c’est qu’on a enregistré l’interview et s’en est suivi un montage. Et à partir du montage, on a supprimé des éléments. Le faux raccord était flagrant. On voyait carrément des parties qui sautent, au moment de la diffusion. On peut décrocher un entretien et avoir l’exclusivité, mais au moment de faire face à l’interlocuteur, il faut vraiment faire son travail dans les règles, sans chercher à plaire. Ils ne peuvent pas annoncer un direct, alors qu’en réalité, c’est faux’’, soutient-il.

La question de l’éthique journalistique, selon lui, se pose tant que l’entretien n’est pas diffusé dans son intégralité.

Liberté oui, mais dans la responsabilité

Ce cas d’école, en plus des multiples agressions dont sont victimes certains médias, sont deux raisons plus que valables pour démarrer une étude plus approfondie du traitement médiatique de ce dossier. Pendant un moins au moins, nombreux sont ces reporters qui, au risque de rentrer blessés, ont montré au monde ce qui se passait sur les différents lieux de manifestation. Un représentant de l’Etat a même ordonné qu’on les ‘’gaze’’ en plein exercice de leur métier. Sur le net, dans les radios, sur les plateaux de télévision et dans les colonnes des journaux, il y avait suffisamment à boire et à manger.

Le vendredi 5 février 2021, le quotidien ‘’Les Echos’’ était sûrement loin de s’imaginer les retombées qui ont suivi la révélation à l’opinion publique de cette affaire de mœurs. L’annonce a fait l’effet d’une bombe qui a abouti au saccage de ses locaux. Ensuite, la liste des médias visés par ‘’les casseurs’’ s’est allongée. Rien ne justifie ces atteintes graves à la liberté de la presse. En tant que courroie de transmission, la presse sénégalaise réclame liberté et protection. Cependant, une liberté responsable, indispensable à la préservation de la paix, même en temps de crise.

‘’Il faut que la liberté de la presse soit respectée, que la diversité d’opinion soit de mise et que les journalistes puissent faire leur travail en toute liberté, selon leur conscience et l’éthique qui gouvernent leur profession’’, insiste le secrétaire général de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho). Condamnant ces attaques, injures et menaces à l’encontre de certains journalistes, Sadikh Niass rappelle que l’homme de média a le droit de traiter l’information, de donner son opinion quel que soit le média auquel il appartient, ‘’pourvu qu’il respecte le code d’éthique et de déontologie de la pratique journalistique’’.

Le journaliste politique Mame Gor Ngom disait, le 9 mars dernier, sur sa page Facebook : ‘’Certains d’entre nous peuvent ne pas être totalement neutres, mais l’essentiel est d’être honnête et mettre la patrie au-dessus de tout.’’ Une assertion qui ne tombe pas du ciel, vu la perception actuelle qu’ont les Sénégalais de leur presse. Certains contenus médiatiques n’ont-ils pas servi à orienter le débat public ?

Une pratique journalistique en mutation

Au-delà de l’indignation face aux atteintes à la liberté de la presse, peut-être qu’on devrait passer à une introspection collective. Les événements récents ont, en tout cas, permis à beaucoup de catégoriser le secteur en trois groupes : les pro-Sonko, les pro-pouvoir et ceux qui arrivent tant bien que mal à se rapprocher de cet idéal de neutralité. ‘’Cette crise a montré qu’il y a une crise de la pratique journalistique. C’est comme si cet événement met à nu tout ce qui se disait dans les rédactions, mais n’était pas étalé dans l’espace public. Et quand il y a eu les attaques, les gens se sont tournés vers d’autres médias et ont été manipulés. Certains journalistes ont eu peur de traiter certains sujets, peut-être qu’il y a eu un terrorisme intellectuel. En tout cas, j’ai eu des informations qui confirment cela. Le problème se pose à l’intérieur même de la profession. Il y a une crise du traitement médiatique qui a été mise à nu par ce feuilleton‘’, analyse pour ‘’EnQuête’’ un spécialiste des sciences de la communication.

Friands des ruptures, les journalistes ont, de son point de vue, fait de cette affaire un feuilleton. Un état de fait également lié aux différents acteurs concernés. ‘’Ce dossier, ajoute-t-il, est apparu comme du pain béni pour la presse. Pendant tout un mois, on nous a cantonnés sur cette affaire. Donc, il y a également une crise de contenu médiatique. Il n’y a pas eu un traitement homogène. Je pense que certains médias en ont profité pour avoir plus d’audience, faire du buzz et du populisme, à un moment donné’’.

‘’Une partie de la presse a voulu imposer une ligne éditoriale...’’

Selon l’expert, les contenus écrits et audiovisuels laissaient nettement paraître des partis pris. ‘’Quand vous lisez un article, écoutez la radio ou suivez la télévision, vous le sentez nettement. C’est le cas, par exemple, des ‘Lundis de Madiambal’. Sen Tv et Walf TV ont eu un traitement quelque peu similaire, en faveur de l’une des parties. Ce qui a beaucoup plus marqué, c’est le sensationnel noté dans la presse en ligne. L’instantanéité a fait qu’à un moment donné, il n’y a pas eu un traitement professionnel. Certains sont restés dans le professionnalisme, mais d’autres traitements laissaient à désirer’’, poursuit notre interlocuteur.

L’autre fait saillant qu’il relève concerne la crise interprofessionnelle qui a éclaté. Certains en ont profité pour jeter en pâture certains de leurs collègues. En fait, une partie de la presse a voulu imposer une ligne éditoriale aux autres médias. Les cas d’agressions du Groupe futurs médias et du journal ‘’le Soleil’’ sont liés à des chaînes de télévision. Sur des plateaux de télé, des journalistes ont tenu des propos mettant leurs collègues dans une mauvaise posture face au public. Par ailleurs, le dossier Ousmane Sonko vs Adji Sarr aura permis à la presse écrite d’avoir des traitements ou des rubriques ponctuels, comme c’est le cas dans le journal ‘’le Quotidien’’, souligne-t-il.

La logique commerciale n’a pas échappé à son analyse : ‘’Cette affaire a permis à certains médias de mieux vendre. En somme, il urge de faire une étude sur ce traitement médiatique.’’

L’autre urgence sera, estime-t-il, de sérieusement entamer la réflexion sur le métier de journaliste et d’avoir des textes qui promeuvent une certaine gouvernance des médias. Pour le spécialiste, ‘’la liberté d’expression n’exclut pas qu’il y ait une bonne gouvernance. J’entends par gouvernance la régulation des médias. Cette crise a montré que les organes de régulation sont dépassés et les textes sont en déphasage avec ce qui passe en ce moment dans la presse en ligne. Le Sénégal gagnerait également à dérouler une éducation aux médias. Les Sénégalais doivent être éduqués aux médias, pour comprendre comment ce milieu fonctionne’’.

Au lendemain du 21e anniversaire de la première alternance politique au Sénégal, la presse sénégalaise peut être fière de ses acquis. Toutefois, son rôle de veille, d’alerte et de participation à la manifestation de la vérité vire, dans bien des cas, à la manipulation. Le traitement du dossier judiciaire actuel, cristallisant l’attention de l’opinion internationale, est une bonne occasion de poser le débat de l’éthique journalistique.
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