Je m’incline devant les lois et institutions, renouvelant mon engagement à servir et à mourir pour le Sénégal si besoin il y a. Ce pays nous a tous donné, ce que nous avons de plus précieux. Alors lorsque son histoire nous interpelle, se taire devient un pêché.
L’éléphant, boubou et le peuple
Il était une fois, un petit éléphant, si petit, si mince, si chétif, si faible, que lorsqu’on se projetait sur le devenir de la jungle, personne n’imaginait mentionner son nom. Si l’on savait de quoi demain sera fait, alors chacun prendrait ses dispositions à ne poser aujourd’hui aucun acte allant dans le sens de stigmatiser quelqu’un à cause de sa faiblesse. Je me rappelle de cette phrase que j’ai entendue dans un documentaire sur Joseph Staline. A la mort de Vladimir Ilitch Oulianov, LENINE, un des chefs du soviet suprême avait déclaré que « Staline est la plus éminente médiocrité du PCUS » donc il n’est point successeur potentiel du grand Lénine. On a laissé du temps au temps et le temps a jugé.
Ce même temps passe.
Le petit éléphant si fragile qu’il fut, reçut un coup du sort de l’histoire. Investi des pleins pouvoirs par le monde de la forêt, le grand LION, maître incontesté de la jungle et de la savane, se sentant au bord du précipice et de la fin de son règne, décida de procéder à la dévolution de la destinée de tous à son petit prince. Le petit prince, ce dernier, peu aimé des gens de la forêt et de la savane car ayant fait ses prouesses loin d’ici, dans le royaume d’au-delà de la mer. Le Roi LION remettait alors en cause le grand pacte sociale, tout le fondement de ce pourquoi des générations de martyrs ont sillonné de bout en bout la forêt et la savane, l’arrosant et la fertilisant de leur sang si pur. Le petit éléphant, le chétif, était couché sur la route royale, celle qui menait à la grande marre où le petit prince fils du Roi LION devrait s’abreuver avant d’accéder à son Trône.
Le Roi LION, oui le grand ROI, considérant que la présence et la prise de position du maigre petit éléphant sur la Voie royale n’est pas gratuite, décida d’employer tous les moyens à sa disposition pour faire déguerpir le petit bout d’éléphant. Bâillonné, maltraité, opprimé, calomnié, ridiculisé, le petit éléphant qui n’a que ses larmes pour pleurer se rendit auprès du peuple de la forêt et de la savane pour trouver refuge et soutien. Lui qui était quasiment le fils adoptif du Roi LION se voit rejeté et maudit par son père spirituel, le Roi. Dès lors, la compassion envers Niaaye, le petit et chétif éléphant devient la chose la mieux partagée. Son apitoiement auprès des peuples de la forêt lui a valu une certaine ascension si fulgurante que lorsque le ROI LION fut déchu, le peuple se tourna vers le petit éléphant.
Lui qui au moins par preuve d’amour de la « juste» avait osé se mettre à travers le chemin du petit prince, le fils légitime du Roi LION. Alors comme Staline, le petit, maigre et chétif éléphant est passé entre les mailles du filet, à la surprise de ses détracteurs, il devint Roi à son tour. Il portait l’espoir de toute la communauté des peuples de la forêt et de la savane. Le pouvoir rend vraiment fou. Mais a-t-il oublié Paul Valery « La faiblesse de la force c’est de ne croire qu’à la force ». C’est dommage Homme fort n’a point d’oreilles.
Le petit éléphant est-il devenu un dictateur ? Ou bien a-t-il cette prétention ? Engraissé, entretenu, protégé, par la somme des efforts des peuples de la forêt et de la savane, le vrai Peuple. Le peuple des travailleurs des vaillants guerriers, des descendants des martyrs dont le sang continue à inonder les berges des esprits fertiles du peuple, se trouve marginalisé. Le désormais géant éléphant, investi des pleins pouvoirs, se ligua avec boubou golo, maître des arbres, de la ruse et faiseur de grimaces. Boubou et ses semblables ont pris importance à-tel point que, à chaque fois que la tension monte dans la forêt, le roi éléphant, comme la Lune dans certaines périodes de syzygies, s’éclipse, laissant toute la latitude à boubou de faire et de défaire, de faire-faire.
Le temps à nouveau, témoin d’hier, d’aujourd’hui et de demain, le seul éternel dans tout cela surgit encore. Pris dans un sommeil profond, l’éléphant se mit à rêver, un rêve qui le plonge dans l’avenir de son royaume. Dans ce long périple au royaume de Morphée, il vit un jour sombre, si sombre qu’il décida comme à l’accoutumée de partir loin et laissa encore une fois le sale boulot à boubou et ses semblables. Conscient que nul ne peut plus régner sur le peuple de la forêt et de la savane deux fois cinq pluies, il décida de liquider tous les animaux « royables ». Et aux boubous golos encore de faire le sale boulot. La vérité est-elle que boubou le singe est un pyromane, belliqueux et ne serait-ce que pour faire plaisir à l’éléphant, le roi, il est prêt à mettre la forêt et la savane en feu.
Dans ce bourbier, cette situation si confuse qu’il est devenu difficile de faire des recoupements pour comprendre les véritables raisons des agissements des uns et des autres, les écureuils, les lapins, et les oiseaux se déclarèrent neutres. Ce n’est pas mon problème disait chacun d’eux.
Alors boubou déclencha le feu, la forêt et la savane brûlèrent. Tout est en feu. Le roi éléphant vit les grands arbres sur lesquels il pâturait partir en feu. Boubou et ses acolytes n’ont plus d’arbres où grimper. Les neutres, écureuils, lapins et oiseaux, chacun pleure ce qu’il a perdu se rendant compte que son inertie a provoqué l’entêtement du roi éléphant, parti loin du feu et de ses larbins. Le sentiment de neutralité n’a permis aux petits animaux de s’épargner les affres du feu déclenché par boubou le pyromane, sur ordre de niaaye le petit chétif éléphant devenu roi.
De la rupture du contrat social
« La République du Sénégal garantit à tous les citoyens les libertés individuelles fondamentales, les droits économiques et sociaux ainsi que les droits collectifs. Ces libertés et droits sont notamment : Les libertés civiles et politiques : liberté d’opinion, liberté d’expression, liberté de la presse, liberté d’association, liberté de réunion, liberté de déplacement, liberté de manifestation, les libertés culturelles, les libertés religieuses, les libertés philosophiques, les libertés syndicales, la liberté d’entreprendre, le droit à l’éducation, le droit de savoir lire et écrire, le droit de propriété, le droit au travail, le droit à la santé, le droit à un environnement sain, le droit à l’information plurielle, (…) ». Article 8 de la Constitution du Sénégal.
La garantie de ces libertés fondamentales constitue un acquis, obtenu de haute lutte. Depuis des temps immémoriaux, de braves gens se sont battus pour le maintien de l’harmonie, pour la défense de l’honneur et de la destinée des peuples de ce qui finalement deviendra ce pays, la REPUBLIQUE DU SENEGAL. Le sentiment, l’obligation et le devoir de résistance, les peuples du Sénégal en ont toujours fait usage pour protéger le territoire ou les territoires sénégalais.
Au lendemain des indépendances, les sénégalais, par la force de l’histoire, ont affirmé leur volonté de vivre ensemble, de constituer une Nation dans laquelle la fusion des particularités socioculturelles, ethniques, religieuses, idéologiques, … devrait constituer le ciment de la cohésion sociale. Pour ce puisse avoir, le bannissement de tout acte visant à saper les piliers de ce multiculturalisme constitue une condition sine qua non au maintien de la fraternité, de la cordialité et à l’acceptation de la différence. Mais la communauté des intentions de vivre ensemble ne peut garantir la stabilité que lorsque celle-ci trouve comme soubassement, une convention, un contrat liant les uns et les autres, les gouvernants et les gouvernés, chaque homme à son prochain.
La Constitution de la République constitue donc cette convention, la base du contrat qui nous lie, nous indique notre code de conduite et garantie l’équilibre social depuis l’accession à l’indépendance. Ce contrat constitue donc la sommation des droits de tous, chacun ayant fait don de soi, abandon de ses droits naturels, au profit du désir de vivre ensemble, ce qui ne constitue point une soumission totale et aveuglée mais un acte qui offre plus de liberté et plus de garantie pour soi-même. En faisant don de soi au nom de tous, en s’aliénant totalement au nom de la société, celle-ci nous rend en retour toute notre liberté, donne un sens à notre existence commune. Jean Jacques Rousseau l’explique clairement « chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a ».
Ainsi, l’harmonie est-elle garantie que chacun parmi les contractants, jouit des mêmes droits que tous, que chacun des contractants peut nourrir les mêmes prétentions, les mêmes ambitions que tous. Chacun ne pouvant faire ou défaire des lois, à partir d’une initiative personnelle et au nom de tous, obligation est de choisir parmi les contractants, entre ceux qui nourrissent la prétention et remplissent les conditions établies dans le dit contrat, qui sera le dépositaire de cette convention. Dans cette compétition, la seule légitimité découlera, de la décision des contractants, le peuple, qui seul est souverain. Car, l’élu, aussi légitime qu’il serait, aussi fort qu’il puisse être, n’a de légitimité et de force que parce que les contractants à travers les clauses du contrat lui ont donné force et légitimité. Tout acte allant dans le sens de saper les modalités du contrat dans le seul intérêt de servir le prince au détriment du peuple, est en soi une rupture du contrat social.
Monsieur le président !
C’est de cette volonté de tous, ou de la majorité des contractants que vous tirez votre légitimité, ne l’oubliez point. Si l’écrasante majorité de la population sénégalaise, la jeunesse en particulier avait décidé au crépuscule de la première alternance, de se tourner vers Vous, c’est parce qu’elle était à la recherche d’un refuge, d’une solution. Oui, un refuse dans ces circonstances ténébreuses, ou le désir de se maintenir à la tête du pays avait poussé le régime sur place à l’époque dans une sorte de folie, une avidité déconcertante du bien commun, à la limite de l’ignominie. Une solution pour sortir définitivement de ce terrain boueux, où souffle une brise de liberté, asséchant le sol de la dépendance maquillée et laissant entrevoir au bout de ce ravin, un avenir heureux. Cet espoir, c’est entre vos mains que le peuple l’avait placé. Vous, le fils du Sénégal postcolonial, celui-là qui a fait toutes ses classes dans les temples éducatifs, élémentaires, moyens, secondaires et universitaires sénégalais.
Mais, Monsieur, qu’avez-vous fait de cet espoir placé en vous ?
Nous vous avions porté au pouvoir pour que vous puissiez nous permettre de réaliser deux rêves : primo, inscrire pour de bon le pays dans la voie de l’émergence et du développement secundo consolider et renforcer les acquis démocratiques. La question n’est pas ici de faire le bilan économique qui est d’ailleurs peu reluisant. La question fondamentale est : qu’avez-vous fait de notre démocratie ? La démocratie sénégalaise qui était sur une pente ascendante, magnifiée en Afrique et dans le monde, enviée et citée en exemple par nos voisins du continent, celle-là a bien glissé, perdant son équilibre pour s’effondrer dans le gouffre, aujourd’hui décriée, ironisée et moquée. D’ailleurs lorsque vous déclariez que « je réduirai l’opposition à sa plus simple expression », vous aviez décliné votre véritable intention, votre ambition pour ce pays. Aveuglés et sourds, nous l’étions, divertis par nos problèmes économiques qui avaient englouti nos pensées et nos cœurs.
Aujourd’hui l’évidence est que cette affaire 3 S « Sweet-Sarr-Sonko » n’est qu’un écran de fumée, un tremplin, un point de passage pour arriver à établir un régime de terreur, une dictature et certainement pour se maintenir peut-être pour de bon au pouvoir. Sachez-le comme je le précisais dans un article avec des collègues, la dictature est comme une phrase ; aussi longue qu’elle puisse paraître, elle se terminera toujours par un point. Et dans certaines circonstances, si le contenu de la phrase est inaudible, l’assistance vous coupe la parole et ne vous laisse guère arriver à la ponctuation.
Avez-vous oublié le vénérable juge Kéba Mbaye : « Que ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir et en abusent, ou qui se sont enrichis en foulant aux pieds les règles d’éthique se le disent bien ; ils n’inspirent aucun respect aux autres Sénégalais. Or le respect de ses concitoyens est le bien le plus précieux du monde. C’est le seul qu’il faut désirer, qu’il faut rechercher. C’est le seul qui est admiré. »
De l’obligation de résister
Un peuple ne peut être opprimé, elle s’opprime. Un peuple ne peut être aliéné, il s’aliène. Un peuple ne peut être avili, il s’avilie. « La folie du pouvoir se nourrit de la résignation de ceux qui en subissent les affres » Charles Teddy. Si un homme et ses auxiliaires, investis de pouvoir dont la légitimité ne découle que de la volonté populaire puisse prétendre être le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga, c’est parce que le peuple, le seul souverain à décider d’abdiquer, d’abandonner ce qui lui appartient pour se taire dans la passiveté, la complicité silencieuse. L’obligation de résister face à l’oppression est un droit naturel et constitutionnel. Le droit à la résistance est garanti par la constitution conformément à la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article 2. Aux regards de actes posées dans le cadre de la gouvernance politique au Sénégal depuis quelques années rend légitime le recourt à ce droit constitutionnel.
Dans cette résistance face à la tentative d’avilissement du peuple sénégalais, j’invoque Hô Chi Minh qui, dans son combat contre l’impérialiste français avait développé la stratégie du combat entre l’éléphant et le tigre. L’éléphant incarne la puissance, la force avec sa taille imposante mais n’a pas la vélocité, les reflexes et les astuces du tigre. Ainsi, le tigre tapis dans sa jungle allait coup après coup harcelait l’éléphant figé qui, peu à peu se viderait de son sang et mourrait d’épuisement. Le feu d’un incendie aussi incandescent puisse-t-il être, se réduirait à néant face à une pluie qui même faible au départ, s’inscrirait dans la durée.
La peur est le seul frein à l’expression de la volonté populaire. Ni les brimades de l’autorité publique, ni les ténèbres de la prison, rien de tout ce que le prince peut brandir pour se maintenir, rien ne peut arrêter longtemps les forces de la liberté et du refus de l’oppression. Si la tête de Dieri Dior Ndella a fini sur un piquet, le 9 avril 1904, c’est pour deux raisons. D’abord, l’ancrage aux valeurs traditionnelles ceddo : au sens de l’honneur, de l’amitié et de la responsabilité chez nos ancêtres vaillants et ensuite la traitrise de certains qui comme Kanar Fall, soucieux de ses intérêts propres, et voulant obtenir les faveurs du colonisateur s’était retourné contre son frère de sang et de patrie. Soyons tous pour le Sénégal des Sarithie Dieye, prêt à aller jusqu’au sacrifice ultime au nom de la patrie et non des Kanar Fall.
Aux forces de l’ordre et à l’armée, votre pacte, votre engagement et votre serment n’ont pas été adressés à un homme mais plutôt au peuple sénégalais. Comment justifierez-vous devant Dieu, en tant que croyant, le fait d’avoir choisi de servir un homme de manière aveuglée contre le peuple dont vous faites partie, un homme dont le caractère temporaire, court et périssable de son règne ne fait point débat. Où est Samba Laobé Fall ? Avait-il écouté et compris le message que lui avait transmis le vénérable Cheikh Ahmadou Bamba ? « Sache que le pouvoir que tu détiens actuellement en ce monde ne t’est parvenu qu’après avoir été soustrait des mains d’autres rois comme toi qui t’ont précédé. Et qu’un jour viendra où ce même pouvoir te sera repris des mains pour être cédé à d’autres rois qui te succéderont ».
Comment justifierez-vous le fait de tirer sur ce peuple constitué de vos frères, vos amis, vos sœurs, vos cousins, vos pères, vos mères, votre famille au sens large du terme, pour des personnes pour lesquelles une majeur partie de vous n’accorderez pas suffrage une fois dans les urnes dans le cadre de la compétition électorale ? Votre mission est de protéger, d’encadrer, de discuter, de dialoguer, de sécuriser, notre patrimoine commun le Sénégal et les sénégalais.
Je termine par dire que lorsque notre pacte social est menacé, lorsque les droits les plus élémentaires et les plus fondamentaux sont bafoués, lorsque le peuple est pris en otage par une oligarchie égocentrique et cupide, lorsque le clientélisme dénature la quintessence du discours des boucliers sociaux, lorsque le mensonge fait des rois, lorsque l’honneur devient un péché, lorsque l’ambition devient un délit, lorsque la divergence d’opinion motive les arrestations, la prise de responsabilité devient une obligation, une nécessité, une recommandation divine.
Que ceux qui ont leurs voix se servent de leurs voix, que ceux qui ont leurs plumes se servent de leurs plumes, que chacun développe sa stratègie mais que tout le monde combatte l’injustice pour le rétablissement de l’Etat de droit et de la vérité.
Je rappelle que ni Sall, ni Sonko, ni Seck, aucun homme politique ne sortira vainqueur ou perdant de cette lutte historique, le seul qui a à perdre ou à gagner c’est le peuple sénégalais. Alors que tous se liguent pour le triomphe du peuple.
Vive le Sénégal, vive la patrie, vive la Terre des martyrs. A toi nous faisons serment de combattre jusqu’au bout même au prix de ce nous avons de plus cher, nos vies.
El Hadji Diaga Diouf, professeur d’histoire au lycée de Toucar, académie de Fatick.