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Rapport sur les programmes migratoires de l’UE au Sénégal: Plus de 200 milliards de financements sans résultats probants
Publié le samedi 23 janvier 2021  |  Enquête Plus
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© Présidence par DR
Sommet de La Valette sur les migrations à Malte
Mercredi 11 novembre 2015. Malte. Les dirigeants des pays européens et plusieurs chefs d`Etat africains sont réunis pour deux jours en sommet commun à Malte pour tenter ensemble de répondre au défi de la migration clandestine.
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Entre 2005 et 2019, le gouvernement du Sénégal a reçu des financements conséquents de l’Union européenne, pour régler la crise de l’émigration irrégulière. De nombreux programmes comme la Goana, le plan Reva et plus récemment divers projets et programmes orientés vers la dissuasion des migrations irrégulières ont englouti des milliards passés au peigne fin par une étude commanditée par la fondation Heinrich Böll Sénégal.

En pleine pandémie de coronavirus, le Sénégal a renoué, il y a quelques mois, avec les vagues de départs vers l’Espagne par des pirogues de fortune. Par centaines, des jeunes se sont engouffrés dans ces frêles embarcations pour traverser l’Atlantique à la recherche de meilleures conditions de vie en Europe. Par centaines également, ils y ont laissé la vie. Ce phénomène faisant plus de morts, en quelques jours, que la pandémie en plusieurs mois (avant la fin de l’année 2020).

Depuis la première crise migratoire majeure connue par le pays en 2005, le Sénégal a reçu de nombreux financements de l’Union européenne (UE), afin d’endiguer ce phénomène. Une étude commanditée par la fondation Heinrich Böll Sénégal a examiné les dix principaux projets et programmes financés dans le domaine de la migration, entre 2005 et 2019. Le bilan qui en a été fait conclut que plus de 200 milliards de francs CFA (environ 305 millions d’euros) ont été investis au Sénégal, sans parvenir à des résultats conséquents.

Le titre du rapport est assez expressif : ‘’Projets et programmes migratoires au Sénégal : une avalanche de financements pour des résultats mitigés’’. D’après les constats effectués, les financements ont été investis principalement autour de trois axes : la surveillance des frontières, la valorisation des retours et l’amélioration de la situation socio-économique dans les zones de départ.

Les enquêteurs ont constaté, dans une première phase, qu’entre 2005 et 2012, ‘’plus de 30 milliards de francs CFA ont été investis dans des projets relatifs aux migrations’’. Durant cette période, le régime du président Abdoulaye Wade a participé au verrouillage des possibilités de migration légale vers les pays de l’Union européenne.

En effet, la première conférence ministérielle euro-africaine ‘’Migration et développement’’ de juillet 2006, marque un raidissement dans la politique migratoire européenne et ouvre l’ère de la signature d’accords de ‘’gestion concertée des flux migratoires’’ avec la France (2006), l’Espagne (2006) et l’Italie (2007).

Le principal mécanisme de cette ‘’gestion concertée’’ est le renforcement du contrôle des frontières européennes, notamment par l’intermédiaire de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex).

Goana, plan Reva : Les premiers programmes à questionnement

Au plan économique, ces financements ont permis le lancement de gros programmes gouvernementaux comme le plan Reva (Retour vers l’agriculture) qui a misé sur les investissements dans le secteur agricole pour intégrer les migrants de retour et proposer des opportunités socio-économiques aux personnes qui pourraient être tentées par l’émigration irrégulière. ‘’Les partenaires financiers du Sénégal ont accordé au moins 30 millions d’euros pour la mise en œuvre de ce plan’’, fait savoir le rapport.

En 2008, ajoute-t-il, le plan Reva a été inclus dans un programme plus vaste et plus ambitieux : la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) dont les besoins de financement étaient estimés à près de 344 milliards francs CFA.

L’arrivée au pouvoir du président Macky Sall en 2012 (il s’est considérablement appuyé sur la diaspora sénégalaise pour gagner les élections) a permis la mise en place d’une série de mesures visant à valoriser la contribution socio-économique de la diaspora dans le développement du Sénégal.

Toutefois, les politiques de dissuasion de la migration irrégulière ont continué. Plus de 50 milliards de francs CFA ont ainsi été mobilisés pour des projets et programmes liés à la migration. Il s’est agi de l’adoption de plusieurs lois introduisant de nouveaux délits relatifs à la migration irrégulière et le financement de campagnes de sensibilisation visant à déprécier l’émigration, à souligner ses risques et, dans le même temps, de célébrer la réussite locale.

Cependant, c’est dans les cinq dernières années de la période qu’il y a eu une augmentation massive des financements de l’Union européenne relatifs à la migration irrégulière. Entre 2015 et 2019, le Sénégal a reçu, par l’intermédiaire du Fonds fiduciaire d’urgence en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique (FFUE), au moins 112 milliards de francs CFA pour une dizaine de projets. Le FFUE résulte de la déclaration politique commune de La Valette, une entente entre les chefs d’État ou de gouvernement européens et africains réunis au Sommet de La Valette sur la migration.

Si l’on ajoute des projets et programmes orientés vers la dissuasion des migrations irrégulières, le Sénégal a bénéficié, sur cette période, de plus de 120 milliards de francs CFA, conclut l’étude pour la fondation Heinrich Böll Sénégal.

Des financements de plus 120 milliards de francs CFA, entre 2015 et 2019

Malgré cette augmentation exponentielle des financements, les départs n’ont pas cessé. Le dernier profil migratoire du Sénégal publié par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) et l’OIM en 2018, conclut que l’émigration irrégulière au Sénégal continue de ‘’prendre de l’importance’’, tout en notant l’impossibilité de donner des chiffres exacts, en l’absence de données cohérentes et collectées de manière régulière.

De plus, une note de recherche publiée par l’OIM, en 2019, constate une recrudescence des migrations irrégulières du Sénégal vers l’Espagne par la voie maritime, en 2018. L’on peut ajouter les nombreux départs de pirogues des côtes sénégalaises.

Selon des statistiques fournies par l’OIM, rien que pour le mois de septembre 2020, ‘’14 bateaux transportant 663 migrants’’ ont quitté le Sénégal pour rejoindre les îles Canaries, un archipel espagnol. La note de l’OIM corrobore le fait que les moyens investis n’ont pas permis d’infléchir le désir migratoire chez les migrants de retour et candidats à l’émigration.

Le rapport sur les projets et programmes de la migration au Sénégal, entre 2005 et 2020, explique les mauvais résultats enregistrés par le Sénégal, par la dispersion des efforts et qui freinent l’émergence d’une politique migratoire nationale. Les bailleurs démultiplient les initiatives et les sollicitations auprès des différents ministères pour y ‘’loger’’ leurs programmes, tandis que les pouvoirs publics ‘’monnaient’’ les engagements afin de recevoir des financements toujours plus importants. Une situation à l’origine de tensions et d’une compétition entre des institutions et agences nationales avides de capter ces ressources.

De ce fait, l’Union européenne et ses pays membres déterminent les orientations stratégiques des politiques et des programmes migratoires au Sénégal. ‘’Il n’est donc pas étonnant que les projets et programmes mis en œuvre sur la période 2005-2019 se focalisent presque exclusivement sur la régulation de l’émigration irrégulière, en dissuadant les départs et en favorisant les retours, qui sont les principaux piliers de la politique migratoire européenne’’, déduit l’étude.

Témoignage d’un migrant retourné d’Europe

L’éparpillement des responsabilités institutionnelles dans la gouvernance des migrations qui accompagne cette situation, contribue à faire de la migration un champ éclaté propice à la multiplication des initiatives, sans un cadre de concertation apte à fédérer les actions et à contrecarrer le chevauchement et la duplication des programmes et des projets. Il empêche l’émergence d’une ligne politique claire et cohérente dans la gouvernance des enjeux et défis posés par les migrations.

En appliquant le durcissement du départ des migrants et la politique du retour, les autorités sénégalaises se sont octroyé la réputation de ‘’bon élève’’ et de ‘’collaborateur conciliant’’ de l’Union européenne.

Du côté des destinataires, le discours est tout autre. La majorité des migrants de retour et candidats à l’émigration, interrogés par les enquêteurs, ont mis en exergue le décalage entre l’ampleur des financements proposés par les bailleurs au Sénégal et les montants qui parviennent finalement aux populations.

Comme ce témoignage, en juillet 2019, d’un migrant de retour d’Europe : ‘’Il ne se passe pas un mois sans que l’on ne parle à la télé de financements accordés à des migrants de retour. C’est beaucoup d’argent […]. On se demande où part cet argent et qui en profite. […] Dans mon entourage, chez mes compagnons avec qui je suis rentré, je ne connais personne ayant réussi à bénéficier d’un quelconque financement. L’argent destiné à aider les migrants de retour doit arriver jusqu’à nous. Nous avons beaucoup de projets, mais nous n’avons pas les moyens de les réaliser.’’

GOUVERNANCE DE LA MIGRATION SENEGALAISE

8 000 milliards de francs CFA plantés dans des politiques mal-adaptées

Entre les financements des partenaires européens pour la lutte contre l’immigration irrégulière et les envois de la diaspora, le Sénégal a bénéficié, entre 2005 et 2019, de ressources considérables dont l’utilisation n’a pas enclenché un développement inclusif apte à résoudre l’équation de l’émigration irrégulière.

L’arrestation du président de l’ONG Horizon sans frontières a mis la lumière sur les fonds européens reçus par le Sénégal, dans le cadre de lutte contre l’émigration irrégulière. Dans le rapport intitulé ‘’Projets et programmes migratoires au Sénégal : une avalanche de financements pour des résultats mitigés’’, commandé par la fondation Heinrich Böll Sénégal, il est relevé une mauvaise gouvernance de la migration conduisant le pays à une mauvaise utilisation de ressources conséquentes.

En effet, l’étude convient qu’une mise en perspective des montants levés pour des projets et programmes relatifs aux migrations (au moins 200 milliards de francs CFA entre 2005 et 2019), avec les transferts financiers des émigrés sénégalais vers le Sénégal, qu’ils aient émigré de manière régulière ou non, permet de constater un montant s’élevant à 8 000 milliards de francs CFA sur la même période. Encore que ces chiffres tiennent uniquement des flux formels.

Selon les statistiques disponibles, l’évolution croissante des envois de la diaspora sénégalaise a contribué à hausser significativement la part des transferts dans le PIB du Sénégal, de 8,6 % en 2007 à 12,1 % en 2017. Et au vu de cette évolution, souligne le rapport, la mobilité internationale des Sénégalais apparait comme une ressource économique majeure que des politiques anti-migratoires ne viendraient que restreindre.

‘’Plutôt que de ‘réguler la migration’, les autorités sénégalaises auraient donc tout intérêt à engager une réflexion sur la manière dont cette ressource pourrait être mieux valorisée. Si quelques initiatives ont été adoptées en ce sens, notamment la création du Fonds d’appui au Sénégalais de l’extérieur, celles-ci sont limitées et ne semblent pas être à la hauteur des enjeux ; sans doute parce qu’elles pourraient être perçues comme allant à l’encontre des attentes des partenaires techniques et financiers du Sénégal’’.

Le désir de satisfaire ces bailleurs fait que les projets et programmes relatifs aux migrations mis en œuvre au Sénégal s’apparentent bien plus à des politiques et programmes ‘’anti-migratoires’’. La communication s’attelle à déprécier et à discréditer l’émigration pour mieux enjoliver des itinéraires de réussite ‘’sur place’’. Ce qui contribue ‘’au niveau individuel, à enfermer les candidats à l’émigration dans leurs espaces comme pour les amener à intérioriser la négation de leur désir de mobilité. Et au niveau institutionnel, à ignorer les bénéfices que cette mobilité pourrait apporter au Sénégal’’.

Pour inverser la tendance, des recommandations ont été faites dans cette étude sur les projets et programmes migratoires sur les 15 dernières années. Il s’agit de ‘’veiller à une meilleure connaissance des dynamiques migratoires afin de développer des politiques, projets et programmes inclusifs, durables et articulés aux problèmes et réalités des migrants et des candidats à l’émigration, des migrants de retour et des immigrés au Sénégal’’.

Les spécialistes préconisent également la création d’un ministère chargé des questions migratoires ‘’ayant pour mandat d’assurer la mise en œuvre de la politique nationale de migration et la coordination des interventions relatives à la migration’’.

Enfin, l’étude recommande le renforcement de la gestion locale des migrations en impliquant les collectivités territoriales, les représentants des diasporas, les organisations de la société civile et le secteur privé des territoires d’origine et de destination.
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