I – Le revirement du régime à 180 degrés : la loi permet aux sénégalais de l’extérieur de financer un parti politique
Après le virage spectaculaire à 180 degrés du porte-parole adjoint de l’APR, Abdou M’BOW précisant que la loi de 1981 modifiée relative aux partis politiques n’interdit nullement aux sénégalais de l’extérieur de financer un parti politique, c’est au tour du Constitutionnaliste Mounirou Sy de jouer les sapeurs-pompiers pour éteindre l’incendie allumée par le régime. Mounirou admet enfin (il vaut mieux tard que jamais) que la loi qui dispose que “tout parti qui reçoit des subsides de l’étranger ou d’étrangers établis au Sénégal s’expose à la dissolution”, ne vise aucunement nos compatriotes établis à l’étranger.
Et M. Sy d’avouer, sans doute au forceps « qu’en droit, sont nationaux tous les ressortissants, tous les sénégalais qu’ils soient résidents, ou émigrés, ajoutant d’ailleurs qu’un national désigne tout sénégalais vivant à l’intérieur ou à l’extérieur ». Que Mounirou tente par une pirouette de rattraper la terrible bourde du fantasque ministre de l’intérieur, n’a échappé à personne. Le burlesque dans cette affaire, c’est que non seulement il désavoue implicitement le fantasque ministre de l’intérieur, mais mieux encore, il contredit le journaliste Madiambal Diagne, qui affiche ouvertement sa proximité avec le pouvoir, et qui, dans une contribution du 04 janvier 2021 écrivait avec une incroyable audace « la loi interdit aux partis de recevoir directement ou indirectement des subsides de l’étranger (même émanant d’un national).
Ne boudons pas notre plaisir ! Ils sont complètement perdus, dans cette affaire, au point de dire tout et son contraire et d’adopter une posture qui s’apparente à une reculade en rase campagne). Nous disions avec force qu’il n’existait aucune disposition juridique, ni aucun texte interdisant à un citoyen sénégalais résidant à l’étranger de financer un parti politique au Sénégal. La confirmation vient désormais du régime. Le débat qui n’avait pas lieu d’être est donc définitivement clos : tout citoyen sénégalais résidant à l’étranger peut financer, en toute légalité, un parti politique légalement constitué au Sénégal.
Cela dit, la question liée au financement du parti PASTEF a au moins un mérite ; celui de poser le débat sur le financement public des partis. Et de ce point vue, le Sénégal est quasiment le dernier de la classe en Afrique de l’Ouest.
II – Financement des partis : le Sénégal fait partie des derniers de la classe en Afrique
Le Sénégal se targue souvent d’être un « modèle démocratique » en Afrique. Un petit tour d’horizon dans la sous-région permet de savoir, qu’en matière de financement public, notre pays fait partie des derniers de la classe.
En Côte d’Ivoire (Côte d’Ivoire _Loi 2004-494 du 10 septembre 2004 _FINANCEMENT_PUBLIC_DES_PARTIS_POLITIQUES), la question du financement public des partis politiques est encadrée par la loi n°2004-494 du 10 septembre 2004. Le montant de la subvention allouée aux partis et groupements politiques est fixé chaque année par la loi de finance et représente 1/1000 du budget de l’Etat. Ladite loi fixe également les modalités de répartition proportionnellement au poids des partis et groupements politiques. Au moment où le Sénégal s’épuise dans un débat sans fin, sur le financement public des partis (avec la production de rapports qui n’ont jamais de suite), la Côte d’Ivoire (Loi sur le financement public des partis – la côte d’ivoire en avance sur le Sénégal) qui a déjà un cran d’avance est allée plus loin en instituant des mesures (un système de bonus aux partis) pour favoriser une meilleure représentation des femmes à l’Assemblée Nationale et au Sénat, dans les Conseils régionaux, les Conseils de districts et les Conseils municipaux. En effet la loi 2019-870 du 19 octobre 2019 accorde un financement public supplémentaire à tout parti ou groupement politique dont la liste atteint au moins 50% de femmes candidates lors de ces scrutins.
Au Mali, la loi n°05-47 du 18 aout 2005, portant charte des partis politiques prévoit un financement public des partis par une aide financière de l’État inscrite au budget de l’État à raison de 0,25 % des recettes fiscales : 15 % des crédits alloués est reversé aux partis ayant participé aux dernières élections générales municipales ou législatives, 40 % est reversé proportionnellement au nombre de députés élus ; 35 % est reversé proportionnellement au nombre de conseillers communaux élus ; 10 % est reversé proportionnellement au nombre de femmes élues. Selon des montants rendus publics, de 2013 à 2018, l’État malien a financé les partis politiques à hauteur de 14 milliards et 380 millions de F CFA.
Au Burkina Faso, la contribution de l’État concerne tous les partis et formations politiques ayant obtenu au moins 3% des suffrages exprimés aux dernières élections législatives (au prorata du nombre des suffrages obtenus). Pour l’élection présidentielle, la contribution de l’État est répartie à égalité entre les candidats. Le budget de l’État prévoit une ligne de crédit annuelle pour le financement des partis et formations politiques aussi bien pour la campagne électorale que pour leurs activités hors campagne. Comme la Cote d’Ivoire, le Burkina Faso a mis en place un système de bonus/malus pour favoriser une meilleure représentativité des femmes. Le non-respect du quota de 30 % de candidates (femmes) entraîne la perte, par le parti contrevenant, de la moitié du financement public des campagnes électorales. Si un parti atteint ou dépasse le quota de 30 %, il reçoit un financement supplémentaire.
Au Bénin, la loi 2019-44 portant financement public des partis politiques (Bénin _Loi-2019-44_FINANCEMENT_PUBLIC_DES_PARTIS_POLITIQUES) dispose que la Commission électorale nationale autonome (CENA) répartit le montant du financement public alloué aux partis politiques en fonction du nombre de leurs députés et de leurs élus communaux à raison de 60% au prorata des élus communaux et 40% au prorata des députés.
On pourrait multiplier les exemples et évoquer également le cas d’un petit pays comme la Guinée Bissau dont le budget de l’État prévoit des subventions annuelles aux partis politiques ainsi qu’un système de remboursement par l’État d’une partie des dépenses de campagne.
Au vu des éléments précités, il apparaît clairement que le Sénégal fait figure de mauvais élève, et fait partie des derniers de la classe en Afrique, en matière de financement public des partis politiques. Pendant que le Sénégal s’enlise dans des débats, les autres pays africains avancent et agissent concrètement pendant que la démocratie sénégalaise marche à reculons.
III – Un financement public n’exclut pas un financement privé
Le débat actuel sur le financement des partis politiques pourrait faire croire qu’avec une loi sur le financement public, les partis ne pourraient plus faire appel à un financement privé. Ce qui est totalement faux (confusion volontairement entretenue). En réalité, Il faut distinguer 2 types de financement des partis : le financement privé et le financement public :
Le financement public vise à éviter ou limiter les ingérences étrangères, favoriser une compétition politique loyale entre les partis et consolider la démocratie,
Le financement privé, ce sont les ressources propres des partis politiques qui proviennent des cotisations de leurs membres, des dons et legs émanant d’adhérents ou sympathisants ainsi que des revenus issus d’autres activités (manifestations).
A titre d’exemple en 2013, en France, grâce à une grande souscription nationale, Nicolas Sarkozy a réussi à récolter 11 millions d’euros de dons auprès des adhérents et sympathisants de l’UMP, pour le règlement de sa dette, suite à l’invalidation de son compte de campagne présidentielle de 2012. Les 2 types de financements (public et privé) sont appelés à coexister.