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CSM et corps de contrôle - Macky Sall, l’art de dire et de se dédire
Publié le mardi 5 janvier 2021  |  Enquête Plus
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© AFP par JOHN WESSELS
Le président sénégalais Macky Sall le 20 février 2020.
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Le président Macky Sall a renié, lors de son grand entretien du 31 décembre, toutes ses promesses pour une justice plus indépendante et des corps de contrôle plus autonomes.


Une grosse désillusion. Dans la magistrature, certains ont failli tomber des nues, en écoutant, le 31 décembre dernier, ‘’la clé de voûte des institutions’’, ‘’l’élu’’ des Sénégalais très jaloux de ses prérogatives. A ceux qui dénoncent une justice aux ordres, en réclamant des réformes, notamment du Conseil supérieur de la magistrature, il rétorque sur un ton presque impérial : ‘’Il faut savoir que ces règles que l’on dénonce, moi, je les ai trouvées sur place. Ce sont des lois qui sont là depuis Senghor. Le président de la République est le président du Conseil supérieur de la magistrature ; il est le président du Conseil des ministres (sic) ; il est ceci, il est cela. Est-ce que c’est moi qui l’ai inventé ? C’est comme ça depuis Senghor...’’

Et parce que Senghor, Diouf et son prédécesseur Wade en ont bien profité, Macky Sall ne veut, pour rien au monde, les changer. Dans une allusion à peine voilée, il s’en prend vigoureusement aux magistrats qui se battent pour l’indépendance : ‘’Donc, ceux-là qui protestent, ils ont grandi avec ces règles. Pourquoi ils veulent qu’on les change ? Le Sénégal a ses propres lois. Où on va, si le président n’a plus ces prérogatives ? Même eux, pour qu’ils soient nommés, c’est le président qui signe. Est-ce que cette signature, ils l’ont remise en cause ?’’ Et de préciser : ‘’Aucun magistrat ne peut passer sans que le président ne signe le décret. Aucun magistrat ne peut devenir président d’une juridiction sans le décret présidentiel. Si on enlève ces pouvoirs au président de la République, comment va fonctionner le pays ? Voilà pourquoi on dit que c’est la clé de voûte. Il est le garant du fonctionnement des institutions de la République.’’

Ainsi, estime le président Macky Sall, de telles règles sont indispensables pour le fonctionnement normal de l’Etat, sinon, c’est la catastrophe. ‘’Dans tous les pays où on l’a enlevé, l’Etat s’est effondré. Et la société civile va se mettre là à pinailler. Si les gens veulent certains changements, ils n’ont qu’à aller briguer le suffrage des Sénégalais. S’ils sont élus, ils pourront mettre en œuvre leur politique. Mais on ne peut nous imposer une dispersion des pouvoirs de l’Etat, parce que simplement c’est la tendance. Cela ne passera pas ici. En tout cas, tant que les Sénégalais me feront confiance, ce système, on n’a pas l’intention de le changer’’. Car, fulmine le président, le système est équilibré et les juges prennent librement leurs décisions.

Ce discours, il faut le souligner, tranche d’avec bien des sorties du président de la République, aussi bien avant son élection en 2012 que durant son premier mandat. Dans une belle contribution intitulée ‘’Ce Macky-là n’est pas celui que j’avais suivi en 2012’’, le journaliste Daouda Mine rappelle les promesses du candidat dont il avait couvert la campagne. Il disait, rapporte M. Mine : ‘’Mis sous tutelle du pouvoir Exécutif, instrumentalisé par ce dernier et insuffisamment doté de ressources humaines et matérielles, le pouvoir Judiciaire n’est pas toujours en mesure d’assurer pleinement ses missions dans l’impartialité et l’indépendance.’’

Dès lors, rappelle le directeur des supports numériques du Groupe futurs médias, l’alors candidat s’engageait à mettre en œuvre des réformes dont la finalité serait le renforcement de l’indépendance du CSM. Lesquelles réformes devaient porter, entre autres, sur sa composition, son organisation et son fonctionnement.

Mieux, lors du CSM du 26 novembre 2018, devant le président de la Cour suprême et tous les magistrats membres de cette instance, il avait marqué son accord pour l’application d’un système transparent à propos de la gestion de la carrière des magistrats. Autrement dit, il admettait le principe de l’appel à candidatures pour la nomination des chefs dans les juridictions : présidents de tribunaux et chefs de parquets. Dans la foulée, le 10 juin 2019, lors d’une audience accordée au bureau de l’UMS, il réitérait son accord pour la mise en œuvre de la transparence dans lesdites juridictions de base.

Aujourd’hui, c’est tous ces engagements qui sont remis en cause par un président à qui on prête la volonté de se présenter pour une troisième fois à l’élection présidentielle.

Un revirement à 180 degrés

Le 31 décembre, c’est un tout nouveau Macky Sall qui s’est adressé aux magistrats et au peuple. Lui qui promettait plus d’autonomie pour les organismes et corps de contrôle dont l’Inspection générale de l’État (IGE), voici sa réponse aujourd’hui : ‘’L’Inspection générale d’Etat, c’est un corps d’élite, mais qui est rattaché au président de la République qui est l’élu. Il faut que les gens sachent que c’est lui qui a été élu et qui a la responsabilité de conduire le pays. Tous les rapports de l’IGE, de par la loi, ont un destinataire unique : c’est le président de la République. Et c’est à lui d’apprécier leur sort. Même aujourd’hui, j’ai signé la grâce pour 800 prisonniers. Mais si le président peut gracier des gens condamnés, on doit pouvoir lui laisser la prérogative d’apprécier le sort à réserver aux rapports.’’

De la Cour des comptes dont il s’engageait, hier, à accorder un droit de saisine directe de la justice, en cas de carence du parquet, une indépendance budgétaire et un élargissement des compétences aux comptes de la présidence et de l’Assemblée nationale, il dit aujourd’hui : ‘’La Cour des comptes est une juridiction. Elle est à ce titre autonome. Les magistrats de la Cour des comptes font des contrôles et prennent pas mal de mesures disciplinaires contre des fonctionnaires. Mais cela ne fait pas de bruit.’’

Enfin, de l’Ofnac à qui il a naguère été prêté tous les pouvoirs, il tient à rappeler tout de go les limites… ‘’Il y a des gens qui aiment la presse, prendre les airs d’un justicier et donneur de leçons. Mais l’Etat ne fonctionne pas comme ça. L’Etat, c’est des procédures. Quelle que soit la force de l’Ofnac, ses prérogatives se limitent à transmettre les dossiers au procureur de la République. Il ne peut pas non plus juger. C’est le procureur qui apprécie de la suite à donner aux dossiers…’’.

Macky Sall ne s’est pas arrêté en si mauvais chemin. Il a osé clamer tout haut : ‘’Je n’ai pas vu dans les rapports un où il y a une personne qui devait faire l’objet de poursuites et qui ne l’a pas été. Je n’en ai pas vu… Aussi, si l’arrestation de quelqu’un peut semer l’implosion du pays, qui doit en décider ? Le procureur va demander au ministre de la Justice. Ce dernier va se référer au président. Si le président sait que l’arrestation de cette personne peut entrainer des morts d’hommes, doit-il l’autoriser ? Il peut quand même user des voies pour gérer le dossier. C’est juste un exemple.’’

Il peut donc faire tout ce qu’il veut des rapports de l’IGE, mettre sous le coude certains dossiers et faire poursuivre qui il veut. Une lecture très erronée des prérogatives qu’il dit tenir de la Constitution. Daouda Mine de le renvoyer à l’article 37 de la Constitution, qui rappelle au président les termes de son serment, en tant que chef de l’Etat. ‘’Devant Dieu et devant la Nation sénégalaise, je jure de remplir fidèlement la charge de président de la République du Sénégal, d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois, de consacrer toutes mes forces à défendre les institutions constitutionnelles, l’intégrité du territoire et l’indépendance nationale, de ne ménager enfin aucun effort pour la réalisation de l’unité africaine.” Autrement dit, tonne M. Mine : ‘’Il a juré d’observer comme de faire observer scrupuleusement les dispositions de la Constitution et des lois. Cela implique qu’il ne peut pas y avoir de deux poids, deux mesures au Sénégal. Qui transgresse la loi doit répondre de ses actes. Qui qu’il soit !’’

Cela dit, l’histoire récente aura démontré qu’à chaque fois que l’Etat l’a voulu, il a pu. Malgré toutes les menaces qui pesaient sur le pays dans les dossiers Béthio Thioune, Khalifa Ababacar Sall, Serigne Assane Mbacké, Karim Wade, force est restée à l’Etat. Mais le dénominateur commun de toutes ces personnalités politiques et religieuses, c’est d’avoir été, au moment de leur détention, opposant au pouvoir. Ce qui veut dire tout simplement que s’il y a eu des gens que l’Etat a essayé de protéger, c’est plus pour des motifs politiciens que pour des raisons de sécurité.

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Le choix de la mainmise sur la justice

A tous les magistrats qui luttaient donc pour plus de transparence dans la gestion de la carrière des magistrats, le président invite ainsi à déchanter. La procédure de l’appel à candidatures n’est pas pour demain, même si Macky Sall avait donné son accord de principe.

Ainsi, pour la plupart des magistrats, c’est une véritable douche froide d’entendre le président de la République dire qu’il n’entend pas apporter des changements au CSM. D’autres, moins compétents et vertueux, vont applaudir des deux mains, parce que dans un système de concurrence ouvert, ils n’auraient peut-être aucune chance d’accéder à certains postes.

Mais il faut reconnaitre que le principal gagnant de ce système n’est autre que le pouvoir politique qui pourra continuer de nommer qui il veut, de sanctionner qui il veut.

A propos de la gestion de la carrière des magistrats, l’Union des magistrats sénégalais (UMS) a toujours préconisé un choix fondé sur des critères objectifs préalablement définis. Cela permettrait de favoriser le culte du mérite et de l’excellence, de soustraire la gestion de la carrière des magistrats à la mainmise du pouvoir politique.

Dans ce dessein, il aurait fallu renforcer les attributions et l’autonomie du CSM, en conférant un pouvoir de proposition aux membres du Conseil supérieur de la magistrature. Dans la même veine, il aurait fallu prendre des mesures instaurant une limitation de la durée d’exercice à certaines fonctions.

D’après certaines propositions qui ont été faites, les postes vacants ou susceptibles de l’être devaient être publiés par le Secrétariat général du CSM avec indication du délai de dépôt des candidatures, à l’approche de chaque réunion du CSM. Après le dépôt des candidatures, une commission composée des membres du CSM devait procéder au classement pour chaque poste, selon des critères objectifs relatifs au grade, aux notes, à la compétence et à la probité, entre autres. La proposition adoptée devait ensuite être soumise au président pour validation.

Mais selon toute vraisemblance, l’Exécutif tient encore à la mainmise.

Mor Amar
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