«Na ngeene deef ?» (ndlr : comment vous allez ?). C’est avec ces mots que le Professeur Didier Raoult, natif du Sénégal, nous a accueillis dans son modeste bureau qui contraste avec l’immense et imposante bâtisse abritant l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille (Ihu Méditerranée Infection) ou Institut MI. Le Directeur général de la SSPP et Directeur de publication du quotidien national «Le Soleil» et ses deux collaborateurs, ainsi que le Consul du Sénégal Marseille, Abdourahmane Koïta, qui a abattu un formidable travail pour concrétiser cet entretien suivi de reportages, assurent l’éminent chercheur que «ça va» au pays qui l’a vu naître le 13 mars 1952. Si ce n’est qu’une deuxième vague de Covid-19 inquiète. Et c’était parti pour des échanges qui marquent à vie un journaliste. De quinze minutes au départ, selon le protocole établi depuis des jours, l’entretien a duré… une heure. Indubitablement, Raoult a en lui ce «virus» bien sénégalais qui prédispose au dialogue, à la palabre au sens positif du terme. À l’épreuve des questions, on sent qu’il est fondamentalement un démocrate sûr de ses convictions et certitudes… scientifiques, il ne renie pas aux autres leurs incertitudes. En somme, «Le Soleil» vous livre les propos d’un sachant iconoclaste.
Professeur, en entrant dans votre bureau, nous vous avons entendu exprimer une crainte à propos des mutations du coronavirus qui vous inquiètent. Est-ce qu’elles ne vont pas poser plus problèmes dans la lutte contre cette pandémie ?
Ce n’est pas une crainte, c’est avéré. Les virus mutent tout le temps. Il y a des virus à Adn (ndlr : Acide désoxyribonucléique) et des virus à Arn (ndlr : Acide ribonucléique, comme la Covid-19). Ces derniers mutent cent fois plus que les virus Adn. Le mode fixation de l’Adn fait cent fois moins de fautes que celui de l’Arn. C’est pour cela que tout support informatique est supporté par l’Adn. L’Arn fait trop de fautes. Donc, ces virus ont une capacité de mutations cent fois supérieures à celle de l’Adn. Et c’est inquiétant. Avec chaque génération, si vous faites des séquences, vous voyez de nouvelles mutations pour le Vih/Sida. Si vous prélevez chez quelques sujets tous les jours, vous verrez une nouvelle mutation. Il y a des mutations qui s’opèrent dans certaines parties qui n’ont pas beaucoup d’importance ; le virus perd sa virulence, car il y a très peu de mutations qui le rendent méchant.
Votre résolution à utiliser l’hydroxy-chloroquine pour combattre la Covid-19 a soulevé des controverses à l’échelle planétaire, il y a quelques mois. Aujourd’hui, avec le recul, n’avez-vous pas le sentiment d’avoir raison sur nombre de scientifiques et de chercheurs ?
Vous savez, je fais de la recherche depuis très longtemps. Le délai nécessaire pour faire le tri des choses, n’est pas le même que celui des journaux. Les médias veulent savoir, tous les jours, ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Dans la recherche, on fait des essais, on croit qu’on a fini et puis on revient à la case départ. Ici, à Marseille, nous avions eu une épidémie de peste qui avait tué plus de 30% des patients. Nous étions les premiers au monde à faire le diagnostic des maladies anciennes pour trouver une explication à cette survenance. Ils ont été nombreux à nous vilipender. Même la Bbc était venue jusqu’ici pour s’en mêler. Et, il a fallu 14 ans pour que les gens admettent que nous avions raison. C’est ce qui explique le fait que je suis insensible à tous ces mouvements de mes détracteurs. Leurs réactions me sont égales. Je n’ai pas de raison de tricher. Je n’aime pas l’argent. Je ne regarde que les résultats que j’obtiens tous les jours.
Nous avions jusqu’à 4.000 personnes qui ont été testées par jour, ici. C’est énorme ! C’est considérable ! Ce qui m’intéresse, c’est de surveiller les malades qui sont en réanimation et d’essayer de comprendre pourquoi ils sont en réanimation. Ce qui m’intéresse, c’est de connaître l’âge des personnes décédées et qu’est -ce qui s’est passé ? C’est cela la vérité valable. C’est cela la réalité tangible. Ce ne sont pas des choses qui viennent de la toile ou des réseaux sociaux. Nous n’avons plus de raison d’être émus par rapport à ceux que disent les autres. Cela fait 25 à 35 ans que je prescris l’hydroxy chloroquine pour traiter d’autres maladies infectieuses. Je connais par cœur sa posologie. Nous avons fait des milliers de dosages, et savons que c’est un médicament anodin qui ne soigne pas uniquement le paludisme et des maladies inflammatoires, mais qu’il peut traiter d’autres maladies infectieuses.
D’ailleurs, à l’époque du premier Sras (ndlr : abréviation de Syndrome respiratoire aigu sévère dont la Covid-19 est de la famille), il est rapporté que l’hydroxy-chloroquine a été le traitement de référence. Tout cela a été en partie oublié parce qu’en Occident, à chaque nouveau problème, il faut une nou-velle réponse souvent motivée par d’énormes enjeux financiers. Donc, on ne garde pas le patrimoine que nous avions. C’est ce que j’essaie d’expliquer au plus haut niveau. On a sous-estimé l’hydroxy-chloroquine parce que les gens sont arrogants. Il y a une bataille qui est là. Est-ce qu’il faut de nouveaux médicaments à chaque nouvelle situation ? Ou, est-ce qu’on peut garder les anciens produits ? L’actuel modèle occidental, ce sont des industries qui font les essais. A l’Institut, nous sommes très autonomes. Nous avons toutes les technologies et l’équipement pour faire nos recherches en toute indépendance.
« Si j’avais un avis à donner, ce serait qu’il faut préparer un vaccin avec plusieurs souches différentes »
Avec un peu de recul qu’est-ce qui pouvait sous-tendre les critiques formulés contre votre protocole ?
Il y a un grand bouleversement qui est en train de se faire en médecine, notamment en thérapeutique. Nous avons accumulé des progrès depuis 150 ans avec comme effet l’augmentation de l’espérance de vie. La sous-alimentation a beaucoup diminué. Les choses se sont améliorées. Mais, nous avons une foi très crédule. En France, l’espérance de vie est de 82 ans. La moyenne de l’espérance de vie ne peut pas atteindre 100 ans. On va arriver à un plateau. Il y a une découverte de plusieurs quantités de molécules chimiques, de médicaments et des inventions médicamenteuses majeures. Mais, durant le 21ème siècle, il y a eu très peu de découvertes. Actuellement, un rattrapage est en train d’être réalisé par les pays pauvres. Les différences s’atténuent de manière considérable. A titre d’exemple, la Chine aura bientôt l’espérance de vie des États-Unis.
Donc, l’enjeu de remplacer les anciennes molécules par celles qui sont les plus onéreuses, voire le recyclage de ces anciennes molécules, n’est pas compatible avec notre économie actuelle. Et c’est un vrai problème ! Je le dis depuis une vingtaine d’années : il y a des antibiotiques qui marcheraient très bien, mais comme ils ne rapportent plus d’argent, personne ne les fait utiliser. On est à un tournant de la civilisation occidentale sur les molécules chimiques et thérapeutiques. Comment parvenir à un modèle économique qui permet de trouver quelque chose qui soit viable ? C’est une vraie question. Autant il y a une dynamique qui existe et qui postule que, peut-être, nous serons supplantés par les Chinois au plan technologique, autant au plan des médicaments, il n’y a pas beaucoup de trous qui restent à combler au plan thérapeutique. Les plus gros problèmes ont été résolus. Si vous avez 82 ans, il faut espérer avoir quelques années de plus, mais pas beaucoup. On ne peut plus avoir l’évolution que nous avons eue pour passer de 28 à 82 ans d’espérance de vie. Il y a un changement très profond. Il faut réfléchir là -dessus. Que devons-nous faire ? Paradoxalement, c’est en ce moment que l’industrie pharmaceutique a le plus d’argent. Mais, il y a moins de nouveaux médicaments. Ce modèle économique est extrêmement étrange.
Pouvez-vous nous faire l’historique de l’hydroxy-chloroquine ?
Tous ces médicaments et toutes ces molécules dont beaucoup sont issus de la nature, sont des molécules éternelles. Par conséquent, il n’y a pas d’obsolescence de molécules chimiques. A la vérité, elles peuvent avoir plusieurs fonctions à la fois. Si vous remontez toute l’histoire de l’hydroxy-chloroquine, elle pourrait dater de la période de l’utilisation de la quinine par des Péruviens, alors qu’en ces moments, il n’y avait pas de paludisme au Pérou. C’était la période de l’Amérique précolombienne. La quinine a été utilisée comme un traitement de la fièvre. Elle assure la fonction de remontant. Cette quinine a été manipulée pour être transformée en chloroquine puis en hydroxy-chloroquine, parce qu’on arrive à avoir de meilleurs dosages. Il y a des médicaments qui sont vieux, mais qui ont des fonctions multiples. Beaucoup se sont accrochés à l’idée que l’hydroxy-chloroquine ne servait qu’à une seule chose : traiter le paludisme. Peu de personnes ne croient pas que cette molécule peut soigner d’autres maladies virales. Moi, je n’ai pas eu ce blocage. Parfois, lorsqu’on commence à avoir des complications oculaires, ce médicament est recommandé pendant un an et rien ne se passe. Nous savions que c’était bénin. Nous savions qu’en Afrique personne n’a cru à «Lancetgate» (ndlr : scandale né d’une étude de la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet qui se révélera foireuse contre l’efficacité de l’hydroxy-chloroquine) qui disait que l’hydroxy-chloroquine tuait 10% de malades. En Afrique, tout le monde a consommé l’hydroxy-chloroquine. Lorsque j’étais enfant, on m’en donnait souvent. Donc, si c’était un poison violent, il aurait fait beaucoup de ravages en Afrique. Je ne peux pas croire ceux qui disent que c’est un médicament qui a des effets indésirables considérables. Je n’avais pas de blocage vis-à-vis de ce médicament. Lorsque nous l’avions administré, nous avons eu des résultats spectaculaires. Il y a actuellement 179 études qui attestent d’une efficacité significative de 80% de l’hydroxy-chloroquine sur la Covid-19. C’est donc énorme !
Avec l’utilisation de l’hydroxy-chloroquine, y a-t-il une tendance à la confirmation des bons résultats que vous aviez obtenus depuis le début de la pandémie avec l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille ou Ihu Méditerranée Infection que vous dirigez ?
Nous avons traité plus de 10.000 personnes avec l’hydroxy-chloroquine, et eu les taux de mortalité les plus bas au monde. Nous n’allons pas changer pour essayer d’obtenir hypothétiquement quelque chose qui donnerait de meilleurs résultats. Nous avons fait des tests sur plus de 350.000 personnes dont 220.000 ici à l’Institut. Parmi elles, 17.000 à 18.000 ont étaient positives. 13.000 patients sont venus pour se faire soigner dans l’Institut. Parmi eux, certains, environ 1.800, ont été hospitalisés. D’autres, autour de 11.000, ont été traités en ambulatoire. Sur ces 11.000 patients, nous avons un taux de moralité de 1 pour 1.000. Il n’y a nulle part au monde une mortalité pareille. Elle est extrêmement basse. En plus, l’analyse a montré que ceux qui sont morts, il leur restait une espérance de vie faible. On considère que 90% de ceux qui ont perdu la vie avaient une chance d’espérance de vie restante d’environ un an. A mon avis, il y a une réaction à cette maladie qui n’est pas justifiée dans les pays occidentaux. Ce n’est pas une mortalité qui bouleverse l’espérance de vie. A Marseille, nous sommes parvenus à sauver des gens qui ont plus de 90 ans. A cet âge, l’équilibre est très fragile. Il ne faut pas grand-chose pour que les gens arrivent à se remettre. En définitive, si les malades de la Covid-19 sont pris en charge très tôt, on a une mortalité très faible.
« Pour le moment, personne ne connaît ni l’efficacité ni la sécurité de ces vaccins contre la Covid-19 »
Quel regard portez-vous sur la gestion de la pandémie au Sénégal, pays classé deuxième au monde pour sa stratégie de lutte contre la Covid-19 ?
Le Sénégal peut être fier de la manière dont il a géré cette crise sanitaire. J’ai vu les résultats et les feed-back de mes contacts au Sénégal. J’ai deux Sénégalais dans mon Conseil scientifique. Il s’agit du Professeur Souleymane Mboup et du Docteur Cheikh Sokhna. Ils m’ont présenté ce qui se passe au Sénégal. On a séquencé des souches du Sénégal pour savoir celles qui avaient circulé dans le pays. Un bon travail a été fait. Et, si j’étais Conseiller du ministre de la Santé du Sénégal, je n’aurais pas fait mieux. Nous avons vu que le Grand Magal de Touba s’est très bien passé. C’était le plus grand rassemblement au monde dans un contexte d’épidémie. Auparavant, je ne connaissais pas le Grand Magal. C’est le Docteur Cheikh Sokhna qui m’a demandé à ce que nous travaillions sur ce rassemblement exceptionnel. Jusqu’ici, il y avait des travaux sur les pèlerins qui partaient à la Mecque. Nous avons vu que tout s’est bien passé pour ces deux grands événements religieux. Le Grand Magal de Touba a été parfaitement bien géré au Sénégal. En somme, il n’est pas indiqué de s’affoler, il faut toujours surveiller. Dès le début, en sachant que c’est un Français qui avait introduit le virus dans le pays, nous avions envoyé des réactifs pour que le Professeur Souleymane Mboup d’un côté, et le Docteur Cheikh Sokhna de l’autre côté, puissent commencer aussi rapidement que possibles des tests. L’un et l’autre en ont fait beaucoup. Les notions de test et de diagnostic de test ont été raisonnables. Il y a des choses qui ont été appliquées dans beaucoup de pays africains comme le Sénégal qui n’ont pas été faites aux États-Unis. Les pays qui n’ont pas l’habitude des maladies infectieuses s’affolent. La pandémie du coronavirus a été gérée dans les pays occidentaux comme si elle n’était pas une maladie infectieuse contagieuse. Il y a beaucoup de médicaments de base qui marchent contre la maladie. Je pense que c’est un des paramètres à considérer. La solution préconisée en France et dans beaucoup de pays occidentaux, c’est de dire : «Puisqu’il n’y a pas de nouveaux médicaments, il faut être prudent, il faut attendre». Par contre, les Chinois ont autorisé l’utilisation de médicaments, mais avec une mesure de sécurité : ne pas dépasser trois antirétroviraux. Leur option, c’est de prendre ce qui est à leur portée pour soigner les malades. C’est pareil en Afrique. Chacun se débrouille avec ce qu’il a pour se soigner. La différence de mortalité en Afrique et particulièrement en Afrique de l’Ouest est considérable. Il y a beaucoup moins de morts en Afrique de l’Ouest. J’ai beaucoup de liens avec des Sénégalais.
Cependant, depuis quelques jours, nous assistons à une augmentation des nouvelles contaminations au Sénégal. Cela est-il dû à l’évolution normale d’une épidémie ?
L’idée qu’on peut prévoir l’évolution d’une maladie nouvelle est fantasque. J’ai les courbes que le Professeur Souleymane Mboup m’a transmises (ndlr : il nous les montre en les commentant). La forme que nous avons au Sénégal, ce n’est pas un pic ; c’est plus un plateau. Je ne peux pas dire ce qui va se passer dans l’avenir. Je n’ai pas vu de signaux qui doivent pousser à la désespérance. Il ne faut pas être désespéré. Il faut continuer à avoir une activité qui soit de la même nature. Il faut continuer à travailler pour avoir les taux de mortalité très faibles. La courbe du Sénégal ne ressemble pas à ce que nous avions au début. C’est un virus qui fait des mutants et qui fait de multiples épidémies.
Professeur, le 02 mars 2020, au tout début de la pandémie, Macky Sall fut le premier Chef d’État à avoir une posture proactive en organisant un Conseil présidentiel sur le coronavirus qui a réuni toutes les sommités sénégalaises en la matière, histoire d’être édifiée sur cette pandémie avant de bâtir la stratégie de lutte du Sénégal. Vous venez de nous faire part d’enseignements très intéressants sur le Sénégal qui sont même compréhensibles par les profanes que nous sommes. Alors, si, demain, le Président de la République du Sénégal vous convie à une rencontre de partage, à Dakar, au moment où une deuxième vague nous menace, seriez-vous disposé à y participer ?
Cela dépend du temps. Je ne dirais jamais non au Sénégal, s’il s’agit, par exemple, d’y participer par visio-conférence. Parce que pour être présent physiquement ces temps-ci, ce serait très difficile. Depuis un an, je ne bouge presque plus. Nous gérons notre présence au jour le jour à l’Institut. Je travaille beaucoup. Je partais tous les ans au Sénégal. Cette année, je n’ai pas pu. Ni au Congo, ni au Gabon. Ça ne me réjouit pas. Je crains de terminer 2020 sans pouvoir aller en Afrique.
Dans la lutte contre cette pandémie, il y a les côtés politique et scientifique. À votre avis, est-ce que les mesures prises à ces niveaux par les autorités sénégalaises entre dans des stratégies efficientes ?
La santé publique, c’est 70% de politique et 30 % de sciences. L’influence de la politique varie d’un pays à un autre. Donc es-sayer d’imposer à tout un pays certaines mesures cela peut poser problème. Je discutais avec un autre grand Africain, le virologue Jean-Jacques Muyembé du Congo. Dans ce pays, le confinement a été respecté dans les quartiers riches, mais cette restriction n’est pas passée dans les quartiers pauvres ; il y a eu des émeutes. C’est pareil à Marseille. Ici, les gens sont dans les rues. Il y a des quartiers où il est impossible de gérer le confinement. Ce n’est pas simple de faire respecter une volonté politique et prendre en même temps les préoccupations des populations. Je ne peux pas faire de la politique. C’est quelque chose de très complexe. Pour la presse, c’est la vérité du jour qui compte. C’est le quotidien. Alors que pour la science, il faut attendre. En politique, on ne peut pas jauger des actions au jour le jour. A titre d’exemple, aujourd’hui, 90 % des Français disent que le Général de Gaulle a été un grand homme. Or, ce sont les Français qui l’ont fait partir en lui disant non au référendum. Le temps du politique, c’est le temps de l’histoire. Les grands hommes politiques écrivent l’histoire. Léopold Sédar Senghor a écrit l’histoire.
Professeur, on vous reproche, à travers vos prises de position et votre doctrine, d’influencer les médecins africains…
C’est du racisme que de tenir pareil discours. Il ne faut pas l’accepter. La capacité à faire des choix est en Afrique le même qu’en France et en Angleterre. Il faut être au Sénégal pour s’en rendre compte. Tout le monde palabre avec tout le monde. Les gens sont suffisamment lucides pour faire leur choix. C’est une ignorance grave de croire qu’en Afrique les gens ne peuvent pas choisir ce qui est mieux pour eux.
Dans la lutte contre cette pandémie, nous avons vu que beaucoup de pays africains s’en sortent mieux que certains pays développés qui ont pourtant plus d’équipements et de ressources humaines ?
Je crois que le soin est resté au cœur de l’Afrique. Je veux parler de la prise en charge directe des gens. C’est un élément essentiel. Dans certains pays européens, nous sommes arrivés à un moment où on disait aux gens : «N’allez pas voir votre médecin». C’est donc la remise en cause de l’histoire de l’humanité. Le personnel soignant prenait en charge des malades avec les moyens qui étaient à sa disposition. La culture du soin n’est pas si bien préservée dans certains pays occidentaux riches. C’est tout le contraire dans les pays riches de l’Extrême-Orient. Dans cette région, les malades partent souvent voir les médecins qui les soignent avec ce qui est à leur portée.
Par contre, en Angleterre, en Hollande, en Belgique, ils ont adopté l’effet inverse en disant que ce n’est pas la peine d’aller se soigner. La conséquence ? Il y a eu une forte mortalité dans ces pays parce qu’il était difficile de détecter précocement les signes de gravité du coronavirus. Dans le cas de cette pandémie, il faut détecter très tôt les malades pour éviter les formes graves. L’essoufflement apparaît juste avant la détresse respiratoire. Alors que dans les autres maladies, vous avez quelques jours entre l’essoufflement et la réanimation. C’est une maladie différente. Il fallait pour certains prendre le temps de l’observer et prendre les patients précocement. Au début, on avait pensé qu’on pouvait soigner cette maladie en se passant des médecins. Ce n’est pas possible ! C’est une erreur !
Professeur, aujourd’hui, il se pose un débat sur la vaccination. Quel est votre point de vue ?
Il y a des vaccins qui sont très utiles, très importants. Ils ont permis d’éradiquer des maladies. Et puis, il y a eu des moments où il fallait changer de stratégies vaccinales. Il y a un exemple qui m’a beaucoup frappé en Afrique. On a continué à vacciner contre la poliomyélite alors qu’il n’y avait pas de poliovirus sauvage. On a inversé le processus. Il en est de même pour la variole. Il y a un moment où il fallait arrêter la vaccination contre la variole. Mais tout cela, c’est une analyse du risque et du bénéfice. Il faut toujours avoir une vision lucide du risque et du bénéfice du vaccin. S’il n’y a plus de bénéfices parce que la maladie n’existe plus, il faut arrêter. C’est tout. Donc, pour chaque maladie, il faut évaluer le risque. Et, c’est très difficile. Voyez par exemple en Europe, il y a 33 programmes différents de vaccination d’un pays à l’autre. Il y a une partie de politique très importante. Ce n’est pas de la science dure. Il y a actuellement un débat sur l’âge de la vaccination pour la rougeole. Les Chinois ont décidé de vacciner contre la rougeole à six mois. Nous, en Europe, nous vaccinons contre cette maladie à l’âge d’un an. Mais, au cours de ces dernières années, nous avions eu une épidémie de rougeole qui a frappé des enfants âgés de six mois à un an. On aurait pu dire : «Donc, ramenons l’âge de vaccination à six mois». En fait ce sont des stratégies évolutives qu’il faut avoir. Il y a une insuffisance de discussions, de palabres sur les questions de vaccination. C’est comme si nous n’avons plus le droit de discuter de ces questions.
On ne peut pas être du côté des vaccins et être contre les vaccins. C’est idiot ! Personne ne voudrait que l’on fasse des vaccins contre la variole. Par contre, si vous n’êtes pas vaccinés contre le pneumocoque, vous avez tort. Il y a énormément de mortalité en Afrique due au pneumocoque. C’est très important. C’est un message qu’il faut passer. Il y a des cas de pneumonie parce que nous avons trouvé beaucoup de pneumocoques sur la peau des gens.
Je trouve qu’il y a une urgence de renforcer la vaccination contre le pneumocoque. J’estime que l’arrêt de la vaccination contre la poliomyélite décidé par l’Oms (ndlr : Organisation mondiale de la santé) en Afrique, il y a deux ans, devait se faire depuis cinq ans. Il y a un besoin de faire des mises au point sur les vaccins. En effet, un vaccin est un outil qui correspond à un besoin de santé publique à un moment donné. La stratégie du Sénégal de vaccination contre l’hépatite B est très pertinente. C’est intelligent. Il y a eu beaucoup de cancers du foie qui étaient liés à l’hépatite B. Donc, il fallait avoir une stratégie massive de vaccination. C’est une idée intelligente.
« La santé publique, c’est 70% de politique et 30% de sciences »
Beaucoup de pays s’apprêtent à vacciner leur population contre la Covid-19. Quelle est votre position sur ce type de vaccins ?
Il y a un vaccin qui ressemble à celui utilisé contre la grippe. Il y a un qui est plus aventureux. On n’a pas encore d’expérience sur ce type de vaccin. C’est le vaccin de messager avec de l’Arn. Nous n’avons pas l’expérience de ce produit sur un million de personnes. Est-ce que qu’il y a des effets imprévus ? Je n’en sais rien du tout. Ensuite, nous n’avons pas une idée exacte du degré d’efficacité de ces vaccins.
Avec le nouveau variant, nous avons eu 16 à 18 personnes qui ont fait une deuxième infection avec ce variant alors qu’elles avaient fait une première infection en mars-avril. Donc, si vous voulez, ce n’est pas une maladie très immunisante. Si j’avais un avis à donner, j’allais dire qu’il faut préparer un vaccin avec plusieurs souches différentes pour couvrir les souches que nous connaissons comme la grippe 1, et refaire des mélanges des virus tous les ans. Il faudra évaluer le risque et le bénéfice d’une stratégie de cette nature.
Nous assistons à de nouvelles vagues de contaminations. À ce stade de la pandémie, n’a-t-on pas le droit de croire que le vaccin est le remède de cheval contre la Covid-19 ?
Pour le moment, personne ne connaît ni leur efficacité, ni leur sécurité. Il faut attendre que les choses se déroulent. Les Américains ont un programme pour vacciner 100 millions de personnes. S’ils parviennent à le faire, on verra bien ce que cela donnera. C’est à partir de ce moment qu’il sera beaucoup plus facile de se faire une opinion. Il y a actuellement des inconnus et on dit aux gens que vous ne risquez rien. Or, on savait qu’avec l’hydroxy-chloroquine, c’est une molécule qui était connue il y a plus de 70 ans, mais, on disait aux gens de ne pas l’utiliser parce que les effets indésirables étaient inconnus. Et, d’autres sont allés loin en disant que l’hydroxy- chloroquine vous tue en dix jours. C’est donc un débat idéologique. C’est étrange.
La technologie Arn utilisée pour fabriquer certains vaccins contre la Covid-19 soulèvent beaucoup de polémiques. Ces controverses sont-elles fondées ?
Toute la santé publique est une question de risque et bénéfice. Tout dépend de la nature du risque qu’on prend avec une nouvelle stratégie vaccinale, sans recul, sans connaître ce risque. Donc, si l’on perçoit la Covid-19 comme un risque qui mettra en faillite tous les pays développés, du coup, les gens choisissent la vaccination en prenant les risques que des vaccinés développent des effets secondaires. Mais, si on se dit que c’est une maladie qui ne tue que ceux qui ont plus de 90 ans, est-ce cela justifie que nous prenions le risque de vacciner la population ? C’est une autre manière de poser la question. Mais, actuellement, le monde est en état de panique économique. Donc, pour sauver l’économie, il faut un vaccin. C’est encore la politique. C’est encore l’histoire qui nous édifiera.
Quels sont les enseignements que l’humanité doit tirer de cette pandémie qui démontre l’urgence de renforcer nos systèmes sanitaires ?
Je trouve que les gens ont été terrifiés. Sur les 17.000 personnes qui ont été traitées dans cet Institut, nous n’avons eu que deux morts. L’un a 58 ans, l’autre a 59 ans. Pour moi, il n’y a rien qui justifie que trois quarts de la population soient terrifiées. Maintenant, il faut le reconnaître. Le renforcement des plateaux techniques a commencé en Afrique. J’ai vu la plateforme du Professeur Souleymane Mboup à Diamniadio. Nous avons aidé à développer une plateforme au Sénégal. Je peux citer l’hôpital Principal qui a des équipements pouvant faire des tests biologiques moléculaires. Il y a le Docteur Cheikh Sokhna qui fait un travail extraordinaire. Le Professeur Mboup a les capacités de faire les séquençages. Les choses vont très vite. J’ai constaté la même évolution au Mali. Pourtant, la situation est d’une complexité extrême dans ce pays. J’ai vu la même chose se développer à Kinshasa. L’organisation de mise en place de technopôles de cette nature avance très vite en Afrique
Parlez-nous de votre Institut qui est imposant et impressionnant aux points de vue de la bâtisse que du matériel ultra sophistiqué qu’il renferme ?
Nous avons voulu avoir dans le même endroit, des malades et des médecins qui s’occupent des malades. Il fallait rester près des questions du malade. Nous avons une capacité de diagnostic de laboratoires qui est extraordinaire. Nous avons pu faire 350.000 tests pour la Covid-19, avons une bio -banque unique avec 4 millions de prélèvements, tous les jouets technologiques dont on peut rêver pour faire la biologie moléculaire. Nous veillons à l’acquisition de nouvelles technologies. Nous avons un système de veille épidémiologique, des étudiants merveilleux dont beaucoup viennent de chez vous. J’ai vu passer plus de 1.000 personnes. Donc, il y a beaucoup de gens qui ont été formés et qui repartent avec une vision très pragmatique, très technologique. La plupart d’entre eux rêvent de rentrer. C’est très bien parce qu’il y a beaucoup d’universités qui ouvrent. Il faudra des formules pour parvenir à savoir comment des plateformes techniques peuvent les accueillir.
Professeur, au cours de ces cinq dernières années, nous avons eu Zika, Ebola, Chikungunya et le Coronavirus. Comment peut-on expliquer la recrudescence des maladies virales ?
Je ne suis pas sûr que cela soit de la recrudescence. Actuellement, nous avons plus d’outils pour détecter ces virus. Grâce aux nouvelles technologies, nous avons découvert 700 bactéries de l’homme. Elles sont nouvelles parce que ne savions pas les différencier des autres auparavant. Il y a eu toujours des virus qui circulaient. Ces virus viennent des animaux. C’est pour cela qu’il y a des risques énormes de transmission de ces virus vers l’homme.
Pourquoi votre Institut a décidé de donner le nom des bactéries au Professeur Souleymane Mboup ?
En général, les bactéries portent le nom d’un endroit, d’un scientifique ou du lieu de son prélèvement. Le Professeur Souleymane Mboup est un grand Monsieur. Il a participé à l’identification du VIH-2 et à la prise en charge des malades. Nous sommes fiers de travailler avec lui. Il a tous les équipements pour faire un travail de haute qualité. C’est bien d’honorer un scientifique qui travaille sur des microbes et des bactéries. C’est bien qu’une bactérie porte le nom du Professeur Souleymane Mboup.
Quels sont les souvenirs que vous gardez du Sénégal, votre terre natale ?
Je suis né dans une unité de recherche au Sénégal. Mon père avait créé une unité de recherche sur la nutrition tropicale. Je continue maintenant, par le biais de la microbiologie, à travailler sur la nutrition tropicale. Nous travaillons sur le kwashiorkor et le marasme. Et nos recherches laissent penser que la malnutrition chez certains enfants n’est pas due à l’insuffisance de lait de leur maman. Mais, que le lait de cette dernière n’avait pas un ferment. Et cet élément manquant dans ce lait maternel se trouve dans les yaourts. Donc, si nous parvenons à le confirmer, nous pouvons améliorer l’alimentation des mères allaitantes et réduire la malnutrition. Le lait fermenté est important. Je dois rappeler que mon père nous amenait tous les dimanches à Popenguine.
En tant que nutritionniste, il essaie d’introduire de nouveaux nutriments dans les aliments des habitants des villages de cette zone et essayait de voir si les aliments seraient acceptés, tolérés. J’avais la notion du terrain, du concret en allant dans ces villages. Nous avons aussi mené une étude dans deux villages. Dans un premier, nous avons remis du savon aux habitants. Dans le deuxième, les habitants n’avaient rien reçu. Au bout de quelques semaines, nous avons vu que les cas de maladie se sont écroulés dans le village qui a reçu les savons. Alors, les habitants du deuxième village n’ont pas attendu notre dotation ; ils sont partis acheter leur savon. Nous n’avons pas continué l’étude parce que ce n’était plus possible de faire la comparaison. L’autre souvenir que je garde, c’est que j’ai failli me noyer à deux reprises à la plage Anse Bernard. Je suis né en face de l’Institut Pasteur et l’Hôpital Principal. Aujourd’hui, C’est un service de l’Etat, qui s’occupe de l’informatique, qui se trouve là où nous habitions.