A la mémoire des disparus en mer, le collectif 480 a organisé, samedi, une marche silencieuse. Ses membres estiment que ‘’dafa doy’’ (ça suffit) et accuse l’Etat du Sénégal d’avoir failli à sa mission. Il a également été question d’identifier les multiples causes de l’émigration clandestine.
Les organisations membres du collectif 480 sont unanimes : l’État du Sénégal est le principal responsable de ces disparitions en mer. Réunis à la place de la Nation samedi pour une marche silencieuse, ils ont demandé aux populations de réarmer moralement les jeunes, afin qu’ils ne cèdent plus à la tentation d’une terre promise.
‘’Notre appel est éminemment citoyen et humaniste, car fondé sur le principe de la sacralité de la préservation de la vie. Ce pays se construira avec et par ses enfants. Toute perte en vie humaine impactera d’une manière ou d’une autre notre société. Le gouvernement a l’obligation morale de résoudre cette équation, en suscitant un vaste débat autour de la question de l’émigration clandestine’’, a déclaré Aida Niang au nom du collectif.
Le mouvement citoyen insiste, par ailleurs, sur un recensement exhaustif des personnes disparues, en vue de mieux cerner les dégâts. ‘’Notre société doit aussi faire son introspection, en revoyant les paradigmes qui déterminent la réussite dans son modèle social. Nous exigeons de tous les décideurs une ferme prise de responsabilité, pour mettre fin à ce phénomène macabre qui n’a que trop duré et un dispositif d’assistance des rescapés traumatisés et des familles qui ont perdu un être cher’’, poursuit la porte-parole.
Le collectif prévoit une campagne de sensibilisation des jeunes, dans les jours à venir, et invite toutes les forces vives du Sénégal à s’impliquer dans ce combat qui est avant tout mental.
‘’L’État ne lutte pas contre l’émigration clandestine...’’
Plusieurs causes expliquent, selon les différentes plateformes, ces départs tragiques pour l’Europe. ‘’L’État ne lutte pas contre l’émigration clandestine. Il est en est le vecteur principal. On n’a jamais entendu le gouvernement déplorer ces centaines de morts et la création de cette nouvelle institution, c’est juste pour recaser une clientèle politique. Paradoxalement, les institutions antérieures n’ont pas pu stopper l’hémorragie. Combien de travailleurs, aujourd’hui, n’arrivent pas à entrer dans leurs droits. Ceux de Cigelec courent après 4 ans de salaire, les licenciés de Laborex souffrent, sans compter ceux de GCO et de la Brioche dorée. Nous ne pouvons oublier les travailleurs de l’ABS qui exerçaient à l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Leurs contrats sont toujours en cours, mais ils ne reçoivent plus de salaire depuis 2016. Toutes ces situations arrivent, parce que nos autorités ne tiennent pas un langage de vérité’’, analyse pour sa part Ababacar Kane du mouvement Doyna.
A ce triste tableau, s’ajoute la spoliation foncière qui, aujourd’hui, n’épargne aucune région du Sénégal. Et Bacary Fatim du même collectif de dénoncer : ‘’Les populations se voient arracher leurs terres, du jour au lendemain, souvent au profit d’entreprises ou de particuliers. C’est le cas à Kignabour ou 207 hectares ont été attribués à un Libanais. Cela se passe aussi à Keur Moussa Guéréo, Médina Wazhifa... Le président de la République est resté insensible à tout cela. Nous demandons à l’Etat de cesser les attributions irrégulières et les lotissements sans autorisations.’’
‘’Interpellons nos familles’’
L’activiste Guy Marius Sagna, quant à lui, pointe du doigt le complexe développé par les Africains vis-à-vis de l’Europe, en plus d’inviter les Sénégalais à l’introspection. ‘’Nous préférons être Turquie, être Paris plutôt que Sénégal. Quand l’enfant syrien s’est noyé en mer, le monde s’est levé. Mais quand les Africains meurent dans le désert du Sahara, dans la Méditerranée, c’est le silence total. La plus grande responsabilité est celle de l’Etat. Mais interpellons nos familles. Nous sommes pressés d’avoir les appareils de dernière génération, les derniers tissus ; choses qui accentuent la pression sociale. Dans les familles, celui qui n’a pas d’argent, ni de job est rabaissé. C’est une autre forme de pression. Voilà comment on assassine socialement le peuple sénégalais, avant de l’assassiner physiquement dans la mer ou dans le Sahara. Il faut que nous aussi changions de comportement, car il existe aussi des pressions psychologiques au sein même des religions. L’État est le principal responsable. Nous sommes aussi responsables’’.
Tous s’accordent sur le fait que le gouvernement a le devoir de recenser le nombre de morts qu’il y a eu, depuis le début de ce phénomène. Pour l’heure, on ignore encore le chiffre exact quant aux disparus des récents naufrages.
En outre, l’accord de pêche liant le Sénégal à l’Union européenne accentue le désespoir d’une jeunesse déjà désemparée. Pendant cinq ans, les Européens sont autorisés à pêcher 10 000 t de thon et 1 750 t de mérou dans les eaux sénégalaises, contre 10 milliards de francs CFA. ‘’Cet accord de pêche va jusque dans les zones des pêcheurs sénégalais. Le constat est le même à Kayar, Diogo, Fass Boye, Lompoul et Saint-Louis. Les pêcheurs sont unanimes : l’Etat a vendu la mer aux étrangers. Le mouvement Y’en a marre demande à l’Etat du Sénégal de revenir sur ces accords de pêche et d’analyser plutôt la situation pour qu’on sache pourquoi ce secteur est à genoux, au point que les acteurs bravent la mer’’, a déclaré Saliou Ndiaye.
A défaut de tenir sa promesse de création d’un million d’emplois, le mouvement Y’en a marre demande à Macky Sall de créer un environnement propice aux affaires.
Le collectif 480 compte, à ce jour, plusieurs mouvements citoyens dont le Front pour une révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine (Frapp) et le Collectif des bacheliers non-orientés.
Barthélémy Dias
‘’Cet accord de pêche est un contrat immoral’’
‘’On ne peut pas accepter que face à un deuil national, le gouvernement oppose un silence complice. Ce gouvernement, avec à sa tête le président Macky Sall, est le seul et unique responsable de cette situation. Si le président n’avait pas bradé les ressources halieutiques du peuple, ces pêcheurs seraient en train de vivre de leur activité, au lieu de convoyer des migrants. Aussi, on a le droit de savoir ce que le président compte faire des 39 milliards que l’Union européenne a offerts pour lutter contre l’émigration clandestine. Sachez que le Sénégal a perdu bien plus que 480 jeunes. Les 480 ont été enregistrés en une semaine.
Donc, imaginez le décompte pour un mois. Ces jeunes-là n’ont rien fait. C’est au gouvernement de prendre ses responsabilités. Cet accord de pêche est un contrat immoral. A qui la faute ? Qui a vendu la mer et le poisson ? Que les chefs religieux, les leaders d’opinion raisonnent Macky Sall. Le Sénégal s’apprête à produire du pétrole et du gaz. Pourtant, on ne note aucun transfert de technologie, ni d’usine de transformation dans ce pays. Comment demander aux jeunes de rester ? On reste dans un pays dans lequel on peut vivre et non dans un pays où le seul avenir qu’on a est de mourir la bouche ouverte. La priorité, ce n’était pas le Ter (NDLR : Train express régional) car Macky Sall, avec son Ter, a mis notre avenir par terre.’’