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Remaniement ministériel : Quand l’émigration perturbe les schémas du palais
Publié le dimanche 1 novembre 2020  |  Enquête Plus
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© Présidence par PMD
Le chef de l`État a pris part au sommet extraordinaire de la CEDEAO sur le Mali
Dakar, le 20 août 2020: Le président de la République Macky Sall a pris part, ce jeudi 20 août 2020, au sommet extraordinaire de la CEDEAO par visio-conférence consacrée à la situation au Mali.
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Soixante-douze heures après la dissolution du gouvernement, Macky Sall peine toujours à choisir la nouvelle équipe gouvernementale. Pour certains, c’est la preuve que le remaniement, même s’il est attendu depuis belle lurette, a peut-être été précipité par la tragédie de l’émigration clandestine.

Encore une fois, il a failli réussir un coup presque parfait. Faire reléguer à l’arrière-plan la mort, en une semaine, de plus de 200 migrants au moins, dont une écrasante majorité de jeunes Sénégalais. Lui, c’est le président de la République Macky Sall. Dans un premier temps, c’est par une publication laconique sur le réseau social Twitter qu’il présente ses condoléances aux familles éplorées. Simplement, il disait : ‘’C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai appris l’explosion, en haute mer, du moteur d’une pirogue qui transportait de jeunes compatriotes. Un drame qui a causé la perte d’une dizaine de jeunes… Je présente, au nom de la nation et au mien propre, mes condoléances émues.’’

C’était le dimanche 25 octobre, soit le lendemain de la catastrophe qui a eu lieu le samedi 24 octobre 2020.

Après l’émoi du premier jour, place à l’oubli quasi généralisé de tous ces jeunes morts calcinés en haute mer. Et comme si le sort s’acharnait sur ces gens désœuvrés qui ont perdu tout espoir de réussir dans leur pays, dans la nuit du dimanche 25 au lundi 26, une autre pirogue remplie de migrants chavirait au large de Dakar, dans des conditions très suspectes, après une collision avec le patrouilleur ‘’Sangomar’’ de la marine nationale (voir encadré). Alors qu’on n’a pas fini de commenter ce nième drame de l’émigration clandestine, le mercredi 28 octobre, la présidence publie une série de décrets pour annoncer, notamment, la fin des fonctions des ministres du gouvernement, le limogeage de la présidente du Conseil économique, social et environnemental, celui du secrétaire général de la présidence de la République ainsi que du secrétaire général du gouvernement. Pour certains observateurs, ceci n’est ni plus ni moins qu’une tentative de détourner l’attention.

La grande diversion

Comme par un coup de baguette magique, on ne parle presque plus des centaines de morts par noyade. Partout, il ne bruit que de la dissolution du gouvernement. Journaliste et observateur averti de la scène politique, Alioune Ndiaye analyse : ‘’Face à la gravité de la situation, on peut croire que des politiques ou communicants peuvent bien conseiller au président d’allumer ce qu’on appelle un contre-feu pour occuper les journalistes. Et là, je pense qu’il l’a bien réussi. Il a allumé un contre-feu (la dissolution du gouvernement et le limogeage de certaines personnalités) et les gens ont commencé à ne parler que de ces chamboulements au niveau des institutions.’’ Cette hypothèse, renseigne-t-il, est d’autant plus plausible que le nouveau gouvernement tarde toujours à se dessiner.

Il ironise : ‘’Il (le président de la République) casse les murs, alors qu’il n’y a rien de reconstruit. Soixante-douze heures après, il n’y a toujours pas de gouvernement. Cela veut dire que la liste n’était pas prête ; que les consultations n’avaient pas encore commencé. Evidemment, cela peut laisser supposer que la décision a été dictée par les derniers évènements, parce que ce qui s’est passé est quand même très grave…’’ Cela dit, nuance le journaliste, on ne saurait être catégorique, en ce qui concerne la corrélation entre ces remous et la tragédie. ‘’Ma conviction, dit-il, est que le remaniement était dans l’air du temps. Mais c’est fort possible que le timing ait été dicté par les derniers évènements. Mais dans l’absolu, seul le président peut donner une réponse exacte à cette interrogation’’.

Pour sa part, l’analyste géopolitique, Régis Hounkpé, estime que, dans tous les cas, il y avait urgence à poser des actes forts, suite à la mort tragique de 140 jeunes migrants sénégalais et africains dans un seul naufrage. ‘’C'est une catastrophe indicible qui appelle des mesures draconiennes. La nouvelle équipe devra gérer en priorité cette question de la migration clandestine. Des réponses fortes devront être apportées face à cette tragédie’’.

Mais, au-delà de cette catastrophe, pense-t-il, il ne faudrait pas non plus occulter le bouillonnement actuel de la situation nationale et régionale. ‘’C’est un contexte particulièrement sensible. Il y a les turbulences électorales dans la région CEDEAO, la crise économique et sanitaire toujours plus aiguë, sans compter les remous classiques de la classe politique du pays. Le président devait agir. Vu l’ampleur des changements, il veut peut-être remettre le pays sur des rails plus offensifs pour affronter la tempête économique, les impacts sociaux de la crise sanitaire de la Covid et gérer les effets secondaires des crises politiques de la sous-région’’.

Alioune Ndiaye d’ajouter : ‘’Avec la crise sanitaire qui est là, la crise économique et sociale qu’elle a générée, s’il y a une crise humanitaire de cette ampleur, cela risque de devenir une crise politique très grave pour le régime. C’est tout cela qui a peut-être bien poussé le président à vouloir allumer un contre-feu, en avançant le timing du gouvernement pour pouvoir occuper les journalistes.’’

Symbole de 60 ans d’échec

Jusque-là, la stratégie a failli se dérouler comme sur des roulettes. C’est en tout cas la conviction de M. Ndiaye. ‘’Je vois, souligne-t-il, que la plupart des journalistes accordent peu d’intérêt, alors qu’il y a plus de 200 personnes qui ont péri en mer en moins d’une semaine. C’est très grave. Les gens sont en train de parler de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du remaniement. Mais en Guinée, jusqu’à la preuve du contraire, il y a 30 morts. En Côte d’Ivoire, il y a 15 à 20 morts. Mais là, c’est au moins plus de 200 morts. C’est très grave ; c’est énorme ; c’est trop. C’est une catastrophe. Pour l’année 2020, c’est la catastrophe maritime la plus grave dans le monde.’’

D’après un communiqué publié par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) le jeudi 29 octobre, contrairement à la dizaine de morts annoncée par les autorités sénégalaises, il y aurait 140 morts dans le premier naufrage signalé ci-dessus. Volontairement ou non, le président, considéré comme le plus informé du pays, a très largement sous-estimé le nombre de personnes ayant perdu la vie lors de ce drame.

Pour Alioune Ndiaye, ce qui se passe traduit tout simplement l’échec de 60 ans d’indépendance. ‘’Ces jeunes ont perdu l’espoir. Ils ont l’impression de ne pas avoir de place dans la société qui les a vus naitre et grandir. Et dans la réalité, c’est vrai qu’ils n’ont pas de place dans cette société. Ils sont donc obligés de s’exiler, d’aller chercher ailleurs pour revenir et trouver une place dans leur société. C’est extrêmement grave. Ces jeunes ont juste un problème d’horizon. Echec ne peut être plus cuisant. Echec ne peut être plus retentissant pour des gens censés apporter le bien-être à leurs populations’’.

Embouchant la même trompette, M. Hounkpé déclare : ‘’Ces noyades au large du Sénégal sont le symbole des incuries politiques et démissions de nos dirigeants qui n'ont pas pu assurer un minimum vital à leurs jeunesses. Prendre la mer est une perte de la foi en un destin en Afrique. Il y a certes d'autres solutions, mais quand toutes les perspectives sont bouchées, nous assistons à ces phénomènes extrêmes. Ce n'est jamais bon signe pour le gouvernement qui a évoqué une dizaine de morts. Et même dans ce cas, ce sont des dizaines de morts de trop !’’, s’étrangle l’analyste politique.

Pour lui, il est temps que les pouvoirs publics et les institutions du continent se penchent véritablement sur ce sujet, grâce à une gouvernance politique et socio-économique équilibrée, pour juguler le mal. ‘’La situation tout au long des périples est infernale : assassinats, naufrages, esclavage dans certains pays du Maghreb, racisme... Il est temps d’y mettre définitivement un terme’’.

‘’Il faut refonder l’Etat, mettre le mérite au centre, bâtir une justice indépendante’’

De l’avis d’Alioune Ndiaye, il faudra bien plus qu’un simple changement d’équipe gouvernementale pour éradiquer ce fléau. ‘’Pour régler les problèmes du Sénégal, insiste-t-il, il faut refonder l’Etat. Il faut des gens compétents aux postes stratégiques. Il faut une indépendance totale de la justice. Il faut une presse libre et démocratique. Il faut des démocrates à l’intérieur des partis politiques. Il nous faut des partis politiques et pas des propriétés privées. Il nous faut des dirigeants compétents et intègres. Il nous faut des gens qui ont la vision. Il faut refonder l’Etat et mettre le mérite au centre de tout. Je ne parle pas de mérite politicien, mais le mérite en termes de compétences’’.

Quid du changement de gouvernement ? Il déclare : ‘’Je ne crois pas que cela suffirait à impulser les dynamiques nécessaires. Je n’y crois pas une seule seconde. Je n’y crois pas le moins du monde. Pour moi, on nomme un gouvernement, on va remplacer des gens par d’autres gens. Mais la plupart des personnes qui vont venir sont des personnes qu’on a déjà vues et qui ont fait la preuve de leur incompétence. Changer de gouvernement ne réglera pas les problèmes du Sénégal.’’

COLLISION ENTRE LA MARINE ET LES MIGRANTS

Nébuleuse autour des circonstances du drame

Sur un autre registre, le questionnement continue à propos de la collision entre le patrouilleur de la marine nationale et la pirogue des migrants. Selon le communiqué de la Dirpa (Direction de l’information et des relations publiques de l’armée), ‘’c’est en manœuvrant pour échapper à son arraisonnement que la pirogue s’est renversée, après une collision avec le patrouilleur’’.

Mais le même jour, les témoignages des rescapés de ce drame en ont donné le tournis à plus d’un. Sur les ondes de la Zik FM, le nommé Ibrahima Fall explique : ‘’Dans un premier temps, c’est la Guardia Civile qui nous poursuivait. Nous avons essayé de nous échapper. Par la suite, ils ont été rejoints par un patrouilleur de la marine nationale.

Arrivé à notre hauteur, le patrouilleur de la marine a essayé, plus d’une fois, de nous couper la route, provoquant des vagues sur notre chemin. C’est à la troisième reprise qu’ils sont venus heurter la tête de la pirogue qui s’est renversée. Et ils sont restés environ une heure sans nous secourir. C’est après l’intervention des Espagnols qu’ils ont commencé. Sur les 80 personnes environ, seules 39 ont été sauvées. Tout le reste a péri.’’

Papa Abdoulaye Guèye de renchérir : ‘’Nous voulions juste retourner sur la terre ferme, pour éviter d’être arrêtés. Mais le patrouilleur a traversé plus d’une fois devant nous. A la troisième fois, ils ont heurté la pirogue et la moitié des occupants a péri. Si vous voulez avoir une idée de ce que nous avons vécu, il faut regarder ‘Titanic’, quand le bateau coulait. C’est la même image. Et c’est la Guardia Civile qui a été la première à nous sauver. J’ai perdu mon grand frère.’’

Dans son communiqué, la Dirpa avait annoncé une enquête pour faire la lumière sur les circonstances du drame.
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