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Immigration clandestine - Nous sommes tous de mauvaise foi
Publié le samedi 31 octobre 2020  |  Enquête Plus
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© Jeune Afrique par DR
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A la disparition de son unique fils en mer, en Mai 2009, avec quatre-vingt autres jeunes de Thiaroye-sur-mer, Yaye Bayam Diouf, a été touchée au plus profond de son âme. Et malgré la soixantaine passée, cette Sénégalaise de Dakar, avait créé un Collectif des femmes pour lutter contre l’émigration clandestine au Sénégal (COFLEC), dont elle est la présidente. Elle se bat au quotidien pour que les jeunes de Thiaroye ne risquent plus leur vie pour rallier l’Europe.

Au Crans Montana Forum du Maroc elle avait déclaré ceci : « La mort de mon fils m’a beaucoup motivée. Au lieu de pleurer, je me suis dit que je devais me battre contre cette immigration mortelle. J’ai alors créé le Collectif des femmes pour la lutte contre l’immigration clandestine, en sa mémoire, et par respect pour tout ce qu’il a fait pour moi sa maman » C’est profond !

Soigner les symptomes tout en occultant la pathologie
Décrire les causes et les motivations de l’émigration clandestine reviendrait à écrire l’histoire « mutante » de l’humanité. D’ailleurs, vous avez remarqué que même le vocable utilisé par les français pour parler de ceux qui optent pour d’autres cieux en lieu et place des leurs, changent au gré de la position du soleil par rapport à la terre. On parlera d’Immigrés clandestins pour les ressortissants sub-sahariens et de Migrants pour les ressortissants des Balkans. Aucun serveur n’aurait la capacité de contenir, la définition, les causes, les motivations car elles sont tout aussi diverses que variables. Même dresser le profil type du « partant » clandestin ou légal reviendrait à dire l’histoire de l’occupation spatiale de notre planète.

Pour être approximatif, nous allons simplement dire qu’il y a aujourd’hui sur cette terre deux catégories d’humains : Une à qui, il est permis de traverser pratiquement toutes les frontières du monde et une autre à qui ce même droit, est refusé pour des raisons factuelles de standing social. On peut toujours me demander de quelles frontières s’agit-il ? J’esquive la question compte tenu de sa complexité (elle aussi) car nous serions obligés d’introduire d’autres notions de limites terrestres, maritimes, océaniques, aériennes etc.….affublées du titre « frontières ». Limites pour lesquelles la compréhension relève plus de l’inhumanité que d’une logique spatiale ou géographique car étroitement liée à une géopolitique mondiale.

Pour faire court nous nous intéresserons de loin, mais alors de très loin, aux actes posés quant à la gestion des problématiques assimilables à la notion de responsabilité. Au fait qui est responsable de ce qui s’est passé en Libye et de ce qui se passe aujourd’hui encore en mer ? D’aucuns diront que ceux sont les gouvernants des pays d’origine des migrants/émigrés, d’autres soutiendront que c’est la faute aux partants. Le paradoxe est que tout le monde a non seulement raison, mais tout à fait tort. « Un verre à moitié vide et à moitié plein »

Ne nous dérobons pas, (ce serait trop facile !) Nous autres qui avons la propension génétique à porter une appréciation, un jugement de façade.

Mais commençons par nous définir : Nous vivons dans une société de consommation. Consciemment ou inconsciemment c’est cette société qui, bien des fois nous formate. C’est encore elle qui nous conditionne au point de laisser nos ambitions prendre le dessus de ce qui devrait être. Nous fermons les yeux sur un laxisme génétique qui nous suit partout. Chaque fois qu’une catastrophe survient, nous nous indignons, nous accusons puis passons à autre chose, sans même apporter les correctifs nécessaires pour que plus jamais pareille situation ne se reproduise.

Le deni national

Excusez-moi du peu, mais nous savions tous et ce, depuis belle lurette tout ce qui se passait sur ce chemin qui mène à cet Eldorado chimérique qu’est l’Europe et plus spécialement dans le Sahara et dans les océans.

Énormément de documents, de reportages, de témoignages ont circulé depuis plus de dix ans. Bien avant même que Kadhafi ne soit assassiné.

Juste un seul exemple, ce document de Human Rights Watch publié dans toutes les plateformes internationales en 2013 qui parait plus qu’évocateur :

« Il a été estimé que 19 144 immigrés sont morts aux frontières de l’Europe entre 1988 et 2013, dont 8 479 sont disparus en mer. En Mer Méditerranée, ont perdu la vie 8 315 migrants. Dans le Canal de Sicile, 2 511 personnes sont mortes, entre la Libye, l’Égypte, la Tunisie, Malte et l’Italie, dont 1 549 disparus, et 70 autres ont perdu la vie le long des nouvelles routes entre l’Algérie et l’île de Sardaigne ; 4 091 personnes sont mortes au large des îles Canaries et du détroit de Gibraltar entre le Maroc et l’Espagne, dont 1 986 disparus; 895 personnes sont mortes en mer Égée, entre la Turquie et la Grèce, dont 461 disparus ; 603 personnes sont mortes en mer Adriatique, entre l’Albanie, le Monténégro et l’Italie, dont 220 disparus. Mais on ne traverse pas la mer seulement à bord de pirogues. En naviguant cachés à bord de navires de cargaison régulièrement enregistrés, au moins 146 hommes sont morts asphyxiés ou noyés.

Mais avant d’arriver à la mer, la traversée du Sahara est non moins dangereuse. Les aventuriers africains le traversent sur des camions comme sur des véhicules tout terrain le long des pistes entre le Soudan, le Tchad et le Mali d’un côté et la Libye et l’Algérie de l’autre. Ici, au moins 1 587 personnes sont mortes depuis 1996. Mais selon les survivants, presque chaque voyage compte ses victimes. Le nombre des victimes pourrait donc être bien plus élevé. Les chiffres incluent aussi les victimes des déportations collectives pratiquées par les gouvernements de Tripoli, d’Alger et de Rabat, désormais habitués à abandonner des groupes de centaines de migrants dans les zones frontalières situées en plein désert.

En Libye, les migrants sont maltraités. Il n’y a pas de données officielles, mais au cours de 2006, le Human Rights Watch et l’Afvic ont accusé Tripoli de détentions arbitraires et de torture dans les centres d’arrestation, dont trois sont financés par l’Italie. En septembre 2000 à Zawiyah, dans le nord-ouest du pays, au moins 560 étrangers ont été tués pendant des assauts Xénophobes.

En voyageant cachées dans des camions, 283 personnes ont été trouvées mortes. Et 182 migrants se sont noyés dans les fleuves délimitant la frontière, la plupart dans l’Oder Neisse, entre la Pologne et l’Allemagne, l’Evros entre la Turquie et la Grèce, le Sava entre la Croatie et la Bosnie ; et le Morava entre la Slovaquie et la République tchèque. 112 autres personnes sont mortes d’hypothermie en tentant de franchir la frontière dans les montagnes, la plupart en Turquie et en Grèce. En Grèce, le long de la frontière avec la Turquie, il y a encore des champs de mines. En essayant d’entrer en Grèce après avoir traversé le fleuve Evros, au moins 88 personnes y sont mortes.

Au moins 192 migrants sont morts sous le feu de la police de frontière, dont 35 dans les enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla, 50 en Gambie, 40 en Égypte et 32 en Turquie, le long de la frontière avec l’Iran et l’Irak. Mais d’autres personnes ont été tuées aussi en France, en Belgique, en Espagne, en Allemagne, au Maroc et en Libye. 41 personnes enfin ont été retrouvées mortes dans le train d’atterrissage d’avions de ligne, 21 personnes sont mortes à Calais ou cachés sous les trains dans le tunnel sous la Manche en direction de l’Angleterre, 2 se sont noyés en essayant traverser la Manche et 12 ont perdu la vie sous autres trains en Italie, Grèce et Suisse »

Des efforts, il y en a eu

Marc Boucey, Chef de coopération de la Délégation de l’union européenne au Sénégal déclarait en marge d’un atelier organisé un lundi 18 avril 2016, par la Direction des sénégalais de l’extérieur avec ses partenaires qu’ «il appartenait à tout un chacun, dans la mesure de sa capacité, de faire tout, pour que l’immigration soit une aubaine pour les sociétés et les peuples plutôt qu’un drame». Et il pensait (localement s’entend) que la remise d’un chèque de 1 Million d’euros permettrait au Sénégal de « S’attaquer aux causes de l’émigration irrégulière en encourageant la création d’emploi dans une agriculture moderne, permettant l’employabilité, et améliorant in fine les conditions de vies des populations ….» Vaste chantier pour 1 Million d’Euros !!!

Mais bon, concédons lui la pertinence et la générosité du geste de ce fonds fiduciaire de l’union européenne. Mais ces 655 Millions CFA face à une mosaïque de problématiques, face à une pluralité de motivations, face à une diversité d’ambitions dans le temps et dans l’espace (toujours localement parlant) ne représentent qu’une goutte d’eau dans la mer. Qui nous dit qu’en créant des emplois, qu’en encourageant l’employabilité, qu’en améliorant les conditions de vies des populations, on aurait circonscrit le phénomène ? Et le choix de vie dans tout ça ? Et la liberté de découverte d’autres horizons ? C’est vrai qu’au Sud, nous n’avons pas l’ingénieuse idée de créer un prix de type Guiness car tous ceux qui ont réussi la traversée auraient pu prétendre au prix. Et il est vrai aussi que lorsqu’on est pauvre, on n’a pas le choix car le choix est un luxe qui se paye cher.

La pesanteur economique et sociale de l’emigration

Lorsqu’un réussit la traversée de l’enfer et qui par bonheur trouve du travail en Europe, et qui plus, est le fils du voisin, et qui encore revient construire la maison familiale, organiser des noces nuptiales à coup de millions et mieux, envoie régulièrement de l’argent à la famille modifiant complètement le niveau vie pour cette même famille par rapport aux autres, que pensez-vous que rêvent ses amis d’enfance ? Ces gamins, se boucheront les oreilles, mettrons des œillères pour voir ce qu’ils pensent pouvoir devenir sans même intégrer des risques éventuels.

La réussite par l’exemple créant l’émulation, l’envi, et malheureusement l’espoir aveugle, s’installe aveuglement sans une once d’attitude critique.

Dans un autre registre, les transferts internationaux de fonds apportent une valeur ajoutée pour l’économie nationale positionnant ainsi l’émigration comme un instrument de développement. Ceux-là qui soutiennent des familles et participent à l’équilibre de la balance commerciale de leur pays, font aussi partie des pourvoyeurs de stabilité. C’est donc légitime que cette Diaspora ait des institutions dédiées dans les nomenclatures étatiques et c’est aussi légitime que certains jeunes se voient en faire partie par tous les moyens. La société outre atlantique qui la combat ne se gêne pas lorsque la situation l’arrange. Elle lui fait payer des impôts et taxes, l’emploie pour des travaux de maintien de son standing, après ses citoyens sans scrupules, nous sortent des concepts révoltants du genre « immigration choisie ». Comme s’ils venaient dans une foire, choisir les meilleurs et renvoyer ceux qui ne leur conviennent pas. Une autre forme de vente aux enchères des braves africains, plus civilisée peut-être mais tout de même un trafic d’êtres humains. Ces grands cabinets de recrutement qui se qualifient « chasseurs de têtes » ne font ni plus ni moins que nous prendre notre vaillante jeunesse à la seule différence que celle-ci est libre d’aller et venir.

Exactement au même titre que l’importante frange de la jeunesse de cette même Europe qui se cherche à Dubaï, en Amérique, en Australie, et même en Afrique, sans qu’aucune barrière ne leur soit opposée.

Aux africains de comprendre que ce monde est un domaine réservé. Seuls les Européens et autres ont ce droit d’aller et venir en Afrique, piller nos matières premières, créer la pauvreté, nous divisant au passage pour, nous plonger dans des guerres fratricides. Ils ferment leurs frontières pour nous permettre de mieux nous entretuer.

Emmanuel Macron disait il y a quelques jours, que la France ne pouvait pas supporter toute la misère du monde. Il a raison, sauf qu’il omet de préciser que dans l’histoire de son pays, ce monde auquel il fait allusion a supporté dans un passé récent toute la misère de la France. Bref. Il pourrait nous opposer que cette période ne l’a pas concerné, encore moins aujourd’hui qu’il est Président de la République Française. Et d’ailleurs ce clandestin qui lui a posé la question en direct à la télévision s’attendait à quoi ? Qu’il fasse le remake du candidat d’En Marche à Alger ? Oh que Non !! « Rentrez chez vous » est la formule qui sied.

Nous entendons des voix s’élever pour accuser les gouvernements africains de laxistes. Oui ils ont une part de responsabilité au titre d’administrateurs des nations. On leur demande de protéger ceux qui sont déjà partis, et installés, mais aussi de deviner les projets ceux qui nourrissent l’ambition de partir et de les retenir en posant les jalons de promotion économique. Oui c’est leur job. Mais avouons que c’est compliqué quand des citoyens majeurs choisissent librement de partir. Aucune loi n’interdit les gens de partir où ils veulent, à moins d’adopter de nouvelles lois du genre Nord-Coréen. Si en plus Papa et Maman sont favorables et empruntent même pour préparer le voyage, alors ne cherchons pas plus loin d’autres vrais responsables de la situation actuelle en Libye.

Une construction citoyenne oubliée

Au Sénégal voilà dix ans, que la gendarmerie, la police et l’armée, traquent les candidats à l’émigration dite clandestine de la manière la plus ferme. Certains ont connu des semaines voire des mois de détention pour avoir mis en œuvre un plan de braver la mer. Des ébénistes qui ne faisaient que gagner honnêtement leur pain se sont vus confisqués leurs outils de travail, d’autres emprisonnés simplement parce que suspectés d’avoir reçu des commandes pour la construction de pirogues. Que faudrait-il d’autres ? Entrer dans chaque famille et déceler ceux ou celles qui auraient des projets d’émigration ? Difficile à mon humble avis car les candidats au départ ont pratiquement abandonné (tout du moins, nous le pensons) la voie maritime. Aujourd’hui c’est par la route. Pratiquement toutes ces dernières vagues avaient pris la route.

La liberté de circulation dans tout l’espace CDEAO, a plus facilité les candidats au départ. De Dakar, ils ont rallié soit la Mauritanie, soit le Mali ou plus loin le Niger. Il aurait été, d’ailleurs inconcevable qu’on demandât des justifications de voyage à une personne circulant dans notre espace communautaire par la route à partir de Dakar. A l’embarquement dans ces bus vers l’enfer, sur le Parking du Stade Léopold Sédar Senghor transformé en gare routière internationale, on voit souvent des candidats accompagnés de leurs parents, priant pour qu’Allah les préserve des accidents, de la maladie ou des passeurs véreux. Pourtant tous, ont conscience du risque à courir. Généralement, dans l’entourage familial on évite d’ébruiter le projet, soit pour préserver le candidat du mauvais sort, soit pour éviter qu’un avis de dissuasion ne soit émis ou enfin simplement dénoncé aux forces de sécurité.

Hypocrisie avant le naufrage

Au voisin à qui l’on a souvent dit qu’un tel avait voyagé sans plus de précision, on va enfin expliquer le drame familial de la perte ou de la captivité de l’absent pour obtenir sa sympathie, et sa solidarité. Il est arrivé plusieurs fois que, ce voisin ou parent soit mis à contribution pour réunir le montant de la rançon demandé au téléphone par un inconnu pour libérer Jean ou Moussa. Pour bien marquer la famille, on fait écouter les cris de l’aventurier supplicié par des rançonneurs libyens. Une fois le montant réuni et envoyé, le détenu est transféré à d’autres geôliers et le manège reprend.

Enfin il était temps, aujourd’hui, toute « la nation noire » se sente concerné.

Les parents des victimes auront plus que les voisins car dans un élan de solidarité, le monde noir crie sa stupeur, sa rancœur, et sa révolte, contre ces passeurs ou ces inconnus libyens véreux qui torturent des jeunes pour soutirer de l’argent à des familles qui ne l’ont pas et qui ont justement laissé partir cet enfant parce que démunis.

La rage citoyenne noire a décuplé avec ce reportage de CNN montrant les enchères dans les fora de vente de ces esclaves des temps modernes. Cette ignominie, cette barbarie, ce crime contre l’humanité, qui consistent à échanger au plus offrant un humain, rappellent simplement l’histoire pas très ancienne du Noir. Une situation catalysée par l’impossibilité pour tous ces jeunes d’obtenir un passe frontière appelé Visa. Bon, on ne va pas refaire le monde, on fait quoi maintenant pour ôter à ces jeunes l’envi de partir ?

What’s the next step ?

Ce soulèvement médiatique et populaire suffira-t-il à circonscrire le mal, dans une Libye ruinée, où la loi du Talion est installée depuis plus d’une décennie ? Suffira-t-il à décourager les obstinés ?

N’y a-t-il d’autres formes de lutte contre l’émigration clandestine plus efficientes, plus radicales qui soient à même d’offrir une culture citoyenne à nos jeunes quand bien même ils seraient démunis et sans emploi ?

Les manifestations, les déclarations sont-elles efficaces contre des arabes butés, incultes et barbares tout aussi désœuvrés? Est-ce enfin l’occasion pour nous Sénégalais de régler définitivement ce fléau ?

Peut-être qu’un jour, toutes les nations du monde comprendront que nous partageons une même planète qu’il serait temps de bannir cette bêtise humaine appelée VISA. La mondialisation ne s’en porterait que mieux et deviendrait certainement plus humaine et bannirait toutes ces règles rigides ingrates et restrictives, qui définissent le concept de la « Clandestinité ».

Alors à tous ceux qui nous parlent de criminalisation du « voyage clandestin », je leur dis simplement d’être ce qu’ils sont tout en respectant l’autre. Mais de grâce ne déplaçons pas le problème dans des prisons nationales déjà surpeuplées et ingérables. Le syndrome des prisons sud-américaines n’est pas loin.




Xavier DIATTA
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