Le directeur du Laboratoire des études et recherches sur le genre, l’environnement, la religion et les migrations (Germ) de l’université Gaston Berger de Saint-Louis (UBG) se prononce sur la problématique de l’émigration irrégulière et les limites des moyens mis en place pour freiner les départs.
On a noté, ces derniers temps, la recrudescence des départs pour l’émigration irrégulière vers l’Europe. Selon vous, qu'est-ce qui explique cette reprise soudaine de ce fléau ?
La recrudescence, c’est au niveau des médias, parce que les migrations irrégulières n’ont jamais cessé. Après ‘’Barça Wala Barsaax’’, les candidats au voyage irrégulier se sont engagés dans les routes désertiques pour se rendre en Europe. Seulement, avec la loi n°2015-036 au Niger, il y a eu une interdiction de la migration irrégulière. Cette situation a fortement marqué le passage des candidats au voyage dans ce pays. A ce jour, la quête d’un emploi rassurant, la pression sociale et la recherche d’un avenir alléchant sont, entre autres, des raisons qui justifient les récents départs par des embarcations de fortune à partir des côtes sénégalaises.
Au-delà des causes habituelles, peut-on considérer aujourd'hui la pandémie comme un facteur motivant certains départs ?
Avec la Covid-19, les priorités, peut-être, ont changé. Par conséquent, la surveillance des côtes atlantiques dans le cadre du Frontex semble être affaiblie au profit du combat pour mettre fin à la pandémie. Mais il faut une étude pour confirmer cela.
Quel bilan tirez-vous de l’efficacité des dispositifs mis en place pour lutter contre le phénomène ?
Au niveau de certains États d’Afrique et d’Europe, des mesures drastiques ont été prises, comme le dispositif Frontex, pour contrecarrer en amont les migrations irrégulières vers l’Europe. Seulement, l’opération Triton mise en route depuis le 1er novembre 2014, sous l’égide de l’agence européenne Frontex pour surveiller et tenter de sécuriser les routes migratoires vers l’Italie en provenance de Libye et d’Égypte, a connu un réel dysfonctionnement. D’où d’ailleurs l’intérêt de se demander si les mesures sécuritaires sont réellement efficientes. Je pense que l’approche sécuritaire a suffisamment montré ses limites.
Quelle appréciation faites-vous de la posture des autorités politiques africaines sur ce problème ?
La migration est beaucoup plus complexe pour être gérée que par des politiques. L’envie de se réaliser, le besoin d’échapper aux incessantes formes d’injustice, la quête d’un emploi réconfortant, une gouvernance angélique et un avenir alléchant sont, entre autres, autant de raisons qui justifient la recrudescence du phénomène des embarcations. Les embarcations de fortune, les grillages de Ceuta ou les barrages des Canaries ou d’ailleurs ne décourageront pas tous ceux pour qui la galère d’un clandestin en Europe vaut mieux que de croupir dans un village sans espoir du Sahel ou la banlieue oubliée d’une mégalopole africaine. Les politiques de développement tant vantées ces dernières années, et qui devaient fixer les candidats au départ chez eux, semblent être échouées.
Pour vous, quelles solutions privilégier pour mettre définitivement fin à ces multiples départs ?
Il est devenu urgent de promouvoir un autre regard sur le fait migratoire et de construire un nouveau référentiel des politiques publiques, nationales et internationales, surtout celui des migrations. Nos politiques doivent engager un nouveau dispositif de gouvernance de la migration. Celui-ci devra répondre aux incohérences et limites du système actuel en poursuivant au moins trois objectifs.
Premièrement, l’articulation entre les niveaux de gouvernance existants devra prendre en compte les organisations existantes dont les capacités institutionnelles restent fortement dispersées. Deuxièmement, la réunion de toutes les parties prenantes des politiques migratoires, à chacun des niveaux d’intervention concernés et quel que soit le statut des acteurs (collectivités locales, ONG locales, entreprises, syndicats, associations des Droits de l’homme, universitaires, pouvoirs publics nationaux ou internationaux, etc.).
Enfin, la promotion d’un dispositif pluraliste et original de concertation et de délibération, qui tirerait profit de l’essor récent d’un multilatéralisme souple et ouvert, mieux adapté au traitement des enjeux mondiaux.