Au Sénégal, la tenue du Brevet de fin d’études moyennes (Bfem), à partir de ce lundi 14 septembre, clôt une année scolaire durant laquelle la Covid-19 a pertubé toutes les prévisions.
Mame Top Bèye, en uniforme vert, a les yeux rivés sur le tableau. Elle s’emploie à décoder un sujet de dissertation. Cet élève de Troisième aux Cours Privés Seydina Mandione Laye (CPSML) de Yoff, une commune de Dakar, participe à un cours de français à deux semaines de son examen final : le Brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Un diplôme qui ouvre les portes du lycée.
Ce jour-là, les apprenants sont une vingtaine dans la salle. Chaque élève occupe seul une table biplace afin de respecter la distanciation physique. M. Kane, le professeur qui tient un bâtonnet de craie, explique la méthodologie de cet exercice littéraire en suscitant des interactions.
Pour pénétrer dans cet établissement créé en 1988, il faut se conformer au protocole sanitaire en vigueur dans ce contexte d’épidémie. A l’entrée, des lave-mains sont installés et un employé use d’un thermoflash pour vérifier la température corporelle. Ici, Oumar Mbengue, le directeur de l’école, se montre intransigeant sur le respect des gestes barrières : « J’ai dit à tout le monde que si je croise dans l’école un élève sans masque, je le renvoie définitivement ».
Dans la classe de Djibril Ndiaye Kane, cet avertissement est pris au sérieux par les élèves ayant repris le chemin de l’école le 25 juin dernier. Au Sénégal, l’Etat a suspendu les enseignements dans les écoles et universités quatorze jours après la confirmation, le 2 mars, du premier cas de Covid-19. C’était une erreur pour M. Mbengue, selon qui « on aurait dû juste fermer les frontières. Il nous restait une semaine de cours avant d’aller en congé. Si on l’avait fait, je pense qu’on n’aurait pas eu tous ces cas ».
Un coup dur
L’arrêt brutal des cours fut « un moment difficile » pour El Hadj Fallou Opa Woilou. Toutefois, il a su tirer profit de ces vacances forcées. « Mon oncle, qui est un professeur de mathématiques, m’a beaucoup aidé surtout dans les matières scientifiques. Je n’ai pas perdu de temps », narre cet adolescent.
Durant cette période, Mame Top Bèye, dont l’ambition est de devenir « ingénieure », essayait « de garder le rythme pour être prête le jour J ». Le quotidien de cette jeune fille a été réglé comme du papier à musique : « A mon réveil, j’apprenais mes leçons. Je faisais ensuite des exercices de mathématiques pour ne pas oublier les formules ».
Cette situation inédite a poussé le corps enseignant à explorer les réseaux sociaux afin d’entretenir le lien avec les apprenants. « On a mis en place un groupe WhatsApp dans lequel on envoyait des exercices et des leçons aux élèves. On a constaté que sur 30 élèves, seuls 5 intervenaient régulièrement », regrette M. Kane.
Un manque de volonté aux conséquences lourdes. « Certains apprenants sont vraiment aptes à relever le défi. Pour les autres, c’est comme s’ils venaient avec la tête vide. Il y a en qui ont du mal à rejoindre le peloton. Il fallait donc faire un bref rappel des notions oubliées », raconte ce professeur de lettres.
Dans la quête du temps perdu par les classes d’examen, les Cours Privés Seydina Mandione Laye ont même « gonflé » les horaires dans quelques disciplines. « On vient à l’école six jours dans la semaine », informe Mame Top Bèye.
Avec la rigueur militaire en point de mire, les enseignements démarrent à 8 heures tapantes pour les élèves de Terminale (lycée), trente minutes plus tard pour ceux de la Troisième (collège) et à 9 heures pour les classes de CM2 (primaire). « Nous avions deux classes de Troisième. Mais elles ont été éclatées en trois groupes. En ce qui concerne les classes de CM2, on a constitué trois cohortes avec chacune un enseignant », détaille le chef d’établissement qui a donné à la reprise « trois masques alternatifs » à chaque élève grâce notamment au soutien de taille de la municipalité.
Un programme amputé
Pour que les examens de fin d’année scolaire se tiennent à bonne date, le ministère sénégalais de l’Education nationale a allégé le programme des classes concernées par le redémarrage. Mais il y a une disparité manifeste dans la progression des enseignements. « Un schéma de progression est remis aux écoles. Cependant, l’Inspection d’académie ne vérifie pas si cela est correctement suivi », renseigne Oumar Mbengue, un pur produit de l’école publique.
Au-delà, l’efficacité des corps d’inspection est au centre du jeu dans le système éducatif. « Un enseignant voit l’inspecteur une fois dans sa carrière. C’est quand on doit le titulariser. C’est pourquoi il devient dans sa classe la projection de Dieu sur terre », se désole le septuagénaire.
Du primaire au lycée, le gouvernement a assoupli les conditions de passage en classe supérieure pour les niveaux intermédiaires. Ainsi, une moyenne de 4,5 sur 10 est fixée pour l’élémentaire là où une moyenne de 9 sur 20 est requise pour le secondaire.
A la prochaine rentrée, prévue courant novembre, le ministère de tutelle souhaiterait que les deux premiers mois soient consacrés à « la consolidation du programme de l’année précédente ». « Les examens auront lieu quand ? Car le programme que l’on peine à achever d’octobre à juillet, comment peut-on le terminer de janvier à juillet », s’interroge M. Mbengue surnommé Papa Jean.
Ce dernier est convaincu que la meilleure stratégie aurait été que « les élèves de Quatrième et de Première reprennent en même temps que les classes d’examen en prenant les mêmes précautions. Pour les classes intermédiaires, on peut chaque année grignoter sur le retard ». En clair, un rattrapage étalé sur plusieurs années. Du temps, il en faut aussi aux écoles privées pour panser les plaies causées par le nouveau coronavirus.
Un équilibre financier précaire
Les établissements privés ont payé au prix fort l’irruption du virus dans le pays. Du jour au lendemain, ils n’ont plus enregistré de rentrées d’argent. « Il y a des écoles où les frais de scolarité sont soldés en début de mois. Celles-ci ont pu payer les salaires du personnel en fin mars. Mais en avril, mai et juin, il n’y a pas eu d’encaissement », indique cet ancien professeur de mathématiques au Collège Sacré-Cœur de Dakar.
Pour s’en sortir, ce manager, dont la masse salariale dépasse « 10 millions F CFA par mois », a gelé « les investissements » et contracté « un prêt » dans une mutuelle d’épargne et de crédit. Une proactivité qui lui a permis de « payer sur fonds propres les salaires (des mois d’inactivités) ».
Dans de nombreuses écoles privées, les finances sont dans le rouge. L’Etat a décaissé un milliard F CFA et en aurait promis deux autres pour stopper l’hémorragie. Les potentiels bénéficiaires de cette aide devaient fournir des renseignements sur « le personnel permanent et vacataire, les salaires, les cotisations à l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) et à la Caisse de Sécurité Sociale (CSS), les impôts et l’inscription à une Institution de Prévoyance Maladie (IPM) », rapporte Oumar Mbengue. Etant donné qu’un millier d’écoles auraient rempli ces conditions, « nous aurions reçu moins d’un million et demi. Cela ne paye même pas notre facture d’électricité », fait-il savoir.
Pour combler les manques à gagner, le collectif des établissements privés demandait 12 à 13 milliards F CFA aux pouvoirs publics. A l’évidence, moult écoles privées se relèveront difficilement de cette crise sanitaire aux répercussions considérables.