Pr Abdou Salam Sall, président du comité de pilotage des assises de l’éducation: «Le sort de nos résultats dépend de la pertinence de nos propositions»
L'Ecole Sénégalaise traverse une crise de vocation et de confiance. Etant devenue le lieu d'expression de la crise des valeurs, elle ne répond plus aux attentes de notre société. Ainsi elle voit la qualité de ses produits baisser d'année en année parce que n'enseignant plus assez. Pour renverser la tendance, des concertations inclusives de l'éducation sont en cours depuis le mois d'août 2013. Le président de ces nouvelles concertations portant donc sur l'ensemble des segments de la société sénégalaise ( acteurs, collectivités, partenaires...) pour déterminer les nouvelles orientations à donner au système éducatif, le Pr Abdou Salam Kane, ancien recteur de l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD), est d'avis que "le sort de nos résultats dépend de la pertinence de nos propositions"... L'ambition, dit-il, est "surtout de créer de la richesse mais une richesse bien distribuée". Entretien
Quel est le cahier de charges qui vous a été donné dans le cadre de votre mission de conduire les travaux des Assises de l’Education ?
Le gouvernement nous a demandé d’interroger les Sénégalais sur leur école et sur le type d'école qu'ils souhaiteraient avoir. Il nous demande aussi d’impliquer tous les segments de la société, d’être le plus inclusif possible pour mieux faire l’état des lieux et ainsi bâtir un consensus large sur le système éducatif.
Comment le processus est-il organisé? Quel est son calendrier d’exécution, la date limite fixée pour la présentation des différents rapports ?
Il faut ici considérer la structure et la démarche. Les assises ont quatre structures : le comité national de pilotage (CNP) de 20 membres avec un bureau de sept membres, le président, trois vice-présidents et trois rapporteurs généraux. Les treize autres membres sont choisis en tenant compte, entre autres, d’une meilleure représentation possible du spectre social. Il y a le comité d’appui scientifique (CAS) composé de 20 membres avec à sa tête un coordonnateur, une coordonnatrice adjointe et deux rapporteurs. Ils sont tous les vingt des professionnels de l’éducation avec des expériences de 35 à 40 ans. La plupart sont des experts qui, le temps des Assises, mettent gracieusement leurs compétences à disposition. Il y a le comité d’organisation (CO) composé de 27 membres, avec à sa tête une coordonnatrice, un coordonnateur adjoint et deux rapporteurs. Le CO a la charge d’organiser toutes les manifestions des Assises.
Le gouvernement a aussi mis en place des comités régionaux de pilotage des Assises. A ce dispositif, nous avons ajouté un comité de coordination qui regroupe les bureaux des trois comités et une cellule de communication.
Nous avons aussi sept commissions thématiques : Vision et finalités, Gouvernance, Financement, Equité et Qualité, Enseignement Technique, Formation Professionnelle Apprentissage et Emploi, Qualité des Enseignants, Stabilité et Dialogue Social.
En ce qui concerne les échéances, les rapports des comités régionaux étaient attendus à la fin du mois d’avril, nous en avons reçus deux, les autres sont annoncés. Les commissions thématiques doivent déposer leur rapport entre le 20 et le 25 mai. Il était prévu d’organiser les assises la deuxième semaine du mois de juin.
Qu’est-ce qui a été fait de façon très concrète, 10 mois après le lancement du processus en août dernier ?
Il faut reconnaître que le travail a effectivement commencé en fin novembre début décembre avec la mise en place des organes et la disponibilité de certaines ressources tant matérielles (local et équipements) que financières. Cependant le bureau du comité national de pilotage, en place dés le mois d’août, a essayé de mieux comprendre sa mission mais aussi de rencontrer des partenaires clés du système comme les syndicats, la COSYDEP, les ONG, etc. Nous avons durant cette période mis en place le site des Assises (www.assises-education.sn) adopté une charte éthique, lancé le concours sur le logo qui compose la charte graphique et cherché les meilleures pratiques éducatives dans le monde.
Dés la mise en place des organes, le CAS et le bureau du CNP ont rapidement amendé les TDR. Le CAS a élaboré le cadre de référence. Le cadre de référence indique la démarche de chaque composante : les régions, les commissions thématiques, les plans d’interviews, le plan indicatif du rapport général.
Nous avons organisé les 11, 12, 13 février dernier l’atelier d’harmonisation des Assises avec les régions pour nous enquérir de l’état d’avancement des assises en région et nous entendre sur la démarche et le canevas de rapport. Nous avons par la suite envoyé des missions pendant dix jours (16 au 26 mars) dans les cinq bassins : nord (Saint-Louis, Matam, Louga) ; Centre (Kaolack, Fatick, Diourbel) ; Ouest (Dakar, Thiès) ; Sud Est (Kaffrine, Tambacounda, Kédougou) ; Sud Ouest (Ziguinchor, Sédhiou, Kolda). Les missions ont vérifié avec les comités régionaux le cadre défini par l’atelier d’harmonisation et les ont accompagnés pendant cinq demi-journées.
Le CAS a travaillé sur la mise en place des commissions thématiques. Toutes les commissions sont composées de trente experts environ, exceptée la commission équité et qualité qui est composée d’une soixantaine de personnes. Nous avons installé les commissions par un atelier le 15 avril dernier. Au cours de cet atelier nous avions enregistré les présentations suivantes : celle du doyen Amadou Ndédé Ndao sur les états généraux de 1981, celle du Directeur de la Planification de la Réforme de l’Education (DPRE), Djibril Ndiaye Diouf, sur les 10 ans du PDEF et le PAQUET, celle du Pr Ismaila Madior Fall sur l’acte 3 de la décentralisation, et celle de Moustapha Séne sur le Plan Sénégal Emergent. Tout cela pour attester de la place et du rôle stratégique de l’éducation dans le monde moderne. Toutes les commissions ont par la suite décliné leur feuille de route.
Nous avons auditionné des anciens ministres du secteur : Pr Iba Der Thiam, André Sonkho, Kansoubaly Ndiaye, Mamadou Ndoye, Kalidou Diallo et Diégane Séne. Nous avons eu un entretien avec Monsieur Amadou Mactar Mbow mais nous ne désespérons pas de l’auditionner avec l’équipe et d’avoir les éléments pour notre production. Il en va de même pour les ministres Djibo Ka et Moustapha Sourang que nous attendons.
Nous avons été reçus en audience par le Khalife Général des Layènes, le Khalife Général des mourides, à la suite de notre séance de travail avec la commission éducation de Touba, son Eminence le Cardinal Adrien Sarr, le Porte parole du Khalife Général des Tidjianes et nous gardons le contact avec le Khalife Général des Tidjianes.
Nous avons rencontré les patrons de presse ainsi que les partenaires techniques et financiers sans oublier le Forum civil par le biais de OSIWA. Nous gardons le contact avec un grand nombre d’institutions en rapport avec l’éducation. Nous faisons fonctionner les organes des Assises. Notons enfin les efforts que nous déployons pour mobiliser les ressources financières afin de mener toutes les activités.
Votre ambition, dit-on, c’est de refonder le système éducatif qui souffre d’énormes difficultés mais cela suppose certainement le consensus de tous les segments de la société mais aussi et surtout des ressources (matérielles, humaines et financières) conséquentes qui ont fait jusque-là défaut à notre école. Etes-vous optimiste de pouvoir réussir ce pari ?
Oui, nous voulons bâtir une école conforme à nos valeurs de civilisation et ouverte sur le monde, fondée dans une large mesure sur la science et la technologie. Nous voulons faire de nouvelles avancées, engager des réformes qui n’étaient peut-être pas arrivées à maturité dans le passé. Nous voulons capitaliser les leçons des diverses concertations. Oui, nous voulons, après avoir écouté les Sénégalais, après un diagnostic serré du système, proposer un système éducatif qui articule l’instruction avec l’éducation. Oui, nous cherchons le consensus sur toutes les questions. C’est la raison pour laquelle nous voulons un débat contradictoire maintenant. Il n’y a pas de réforme sans tension au sens positif du terme. Oui, la construction d’un système éducatif s’adosse, entre autres, sur les ressources humaines compétentes et motivées, des infrastructures de qualité (bâtiments, réseau informatique, bande passante, ouvrages, équipements scientifiques, terrain de sport, etc.), des ressources financières conséquentes et qui sont disponibles à la base pour les apprenants. Le gouvernement a fait d’importants efforts mais il n’a pas encore dépassé les 6% du PIB. Nous devons aussi explorer l’apport des terroirs. L’environnement bancaire sera considéré avec l’étude sur la banque éducative et la banque de solidarité musulmane. Nous devons à tous les niveaux innover et transplanter les bonnes pratiques. C’est seulement sous ce rapport que nous pourrons bâtir une structure robuste et de qualité pour nos enfants et petits-enfants. Le gouvernement veut, et tout le monde s’accorde avec lui là-dessus, rendre effective la centralité de l’élève.
N’avez-vous pas parfois le sentiment que l’ambitieux Programme Sénégal Emergent (PSE) cher au président Macky dépend en grande partie du chantier des Assises de l’éducation ?
Il est clair qu’aucun développement n’est envisageable sans des ressources humaines de qualité et diversifiées. Cette masse critique de ressources humaines ne peut que provenir du système éducatif. C’est pourquoi Il faut articuler l’éducation à l’acte 3 de la décentralisation et au PSE. Chaque terroir doit améliorer son offre de formation pour avoir les meilleurs talents et pouvoir envisager l’installation des entreprises pour leur rétention. Nous devons être attentifs à la compétition internationale qui fonctionne sur cette base : attraction, rétention. Oui, le PSE est largement fonction de notre capacité à diversifier notre offre de formation, à bien prendre en charge la formation professionnelle après avoir assis le socle de compétences. Le plan d’aménagement des clusters avec d’autres formes d’organisation, est un des outils du PSE. Nous devons par ailleurs questionner le PSE. Il est des questions sur lesquelles nous devons bâtir des consensus forts, l’éducation et l’économie. Le temps de réalisation dans ces deux secteurs dépasse largement les mandats électifs. Nous devons bâtir des consensus sur ce que nous dicte la science. Des variations seraient envisageables mais à la marge. Est-ce que nous pouvons considérer nos ressources minières sans l’industrialisation qui va avec ? C’est l’industrie qui crée des emplois et la richesse. Nous devons avoir comme ambition de créer de la richesse mais une richesse bien distribuée. Les apprenants devront de plus en plus avoir des doubles compétences afin de profiter au mieux des environnements entrepreneuriaux à construire. Il est sous ce rapport impératif de mieux maîtriser, entre autres, l’environnement bancaire.
Pensez-vous pouvoir, à travers cette refondation du système éducatif, aider à réconcilier Ecole et Emploi ?
Nous devons donner à tous les apprenants un socle de compétences pour vivre ensemble et aussi pouvoir s’éduquer tout au long de la vie. Il nous appartient aussi de diversifier les profils afin de saisir toutes les opportunités que la nouvelle économie va offrir. Nous devons capitaliser sur notre position géographique exceptionnelle, notre stabilité, nos ressources naturelles mais aussi et surtout nos ressources humaines. Oui, notre objet n’est pas seulement l’emploi placé mais l’ouverture du marché par le biais de l’entreprenariat des apprenants. Des dispositions doivent être prises pour créer à côté des nouveaux centres de formation des incubateurs et doter les établissements d’équipements aux standards. Chaque pôle de développement (cinq bassins des assises de l’Education et de la Formation) devra valoriser des formations professionnelles en rapport avec ses atouts différenciés et complémentaires. Oui, l’efficience externe est un des paramètres à considérer.
Etant issu de l’Enseignement supérieur, un sous secteur qui a déjà vécu ses concertations il y a quelques mois, n’avez-vous pas eu parfois le sentiment de conduire une mission qui aurait pu être confiée aux acteurs appartenant à d’autres ordres d’enseignement, comme les inspecteurs par exemple ?
Il faut d’abord savoir que je ne me suis pas auto désigné.Toutes les compétences que je rencontre peuvent parfaitement bien diriger les assises. Les systèmes éducatifs performants ne sont pas cloisonnés, il y a une interaction forte entre tous les segments. Un de mes assistants, le Dr Ousmane Diouf, m’a informé qu’à l’Université de Virginia Tech, aux Etats Unis, les enseignants ont l’obligation de se rendre chaque semaine dans les autres ordres d’enseignement afin de promouvoir la science. L’académie des sciences a demandé au directeur de l’UFR des Sciences de l’UGB d’aider le lycée Ahmet Fall à avoir plus de filles dans les filières scientifiques. Le Directeur a sollicité les étudiants de licence mathématiques qui ont accepté d’être des répétiteurs chaque mercredi. Les étudiants ont manifesté une générosité extraordinaire. A la fin de l’année, les élèves ont mieux réussi et la proviseure a rendu hommage aux étudiants et à l’UFR. Les étudiants ont ainsi découvert leurs talents cachés et en ont remercié le directeur de l’UFR.Tout cela, naturellement à la grande satisfaction de ce dernier. Nous pouvons aussi relever l’action de la FASTEF pour le système éducatif mais aussi Jangaando du Pr Abdou Salam FALL qui évalue la qualité du système éducatif. Vous pouvez consulter la proposition du Pr Lamine Gaye sur le site des assises. Nos systèmes éducatifs doivent se nourrir des recherches in situ. Nous devons améliorer les synergies entre les différents segments du système éducatif. Est-ce que les étudiants en médecine ne doivent pas nous permettre, bien encadrés, d’avoir la base de données de la santé de nos élèves ? Que serait l’alphabétisation si les étudiants des humanités s’impliquaient avec les professeurs de linguistiques ? Mieux, ne faudrait-il pas mobiliser tous les talents que le système éducatif a permis d’éclore autour de l’école et au premier chef desquels, les universitaires avec leurs étudiants ?
Pensez-vous que toutes les synergies attendues dans le cadre de cet ambitieux chantier se mobilisent correctement ?
Oui et non. Certaines composantes sont bien mobilisées mais je ne sens pas une mobilisation de tous les segments de la société.
Les missions en région ont montré l’intérêt que les structures déconcentrées et décentralisées ont pour le processus des assises. De même, la plupart des acteurs, souvent oubliés, de l’école, sont mobilisés pour répondre aux problématiques qui se posent à l’éducation et suggérer des réponses en vue de sa refondation. Ainsi, aurons nous un système éducatif de la communauté parce que suscité par cette dernière. Cette démarche autorise un système éducatif mieux internalisé, véhiculant nos valeurs socio-culturelles, religieuses, tout en s’ouvrant au souffle fécondant du monde changeant.
Nous attendons plus d’implication du gouvernement à la société civile en passant par le secteur privé. Le site web des assises a reçu, à la date du 07 mai, 3118 visiteurs ce qui est largement en deçà de nos attentes.
En pensant au sort qui a été réservé à la fois aux états généraux de 1981 et aux concertations de 1993, n’êtes-vous pas tentés de penser que les résultats de ces assises vont subir un sort identique même si les contextes et les acteurs ne sont pas les mêmes ?
Oui, nous devons tirer les leçons des concertations précédentes. Nous devons, à côté de l’Etat, mettre en place des dispositifs innovants pour l’application des orientations retenues. Nous comptons aussi sur les terroirs ainsi que l’environnement bancaire avec la banque éducative notamment. Il me semble que les autorités vont appliquer les conclusions dans leurs propres intérêts et celui de notre pays et de l’Afrique.
Quelle garantie avez-vous quant à des résultats positifs de ces assises?
Tout est fonction de la pertinence de nos propositions, des niveaux de consensus obtenus et du niveau de soutenabilité. Si le dialogue social est bien mené, la partie technique mieux maîtrisée, il restera le dialogue politique. Il ne concerne pas seulement les acteurs aux affaires, il s’agit de tout le monde. Nous demandons à tous les acteurs d’être proactifs. Ils ont le site web à disposition, nous sommes aussi disponibles pour rencontrer quiconque le souhaite. Tout dépend aussi des outils que nous arriverons à mettre en place, banque éducative, capacitation des territoires.Les conclusions doivent s’appliquer sur une longue durée en les évaluant de façon périodique. Un programme éducatif transcende nos êtres pour concerner notre devenir et celui de la société.