Les taux d’intérêts appliqués par les banques de la place sont jugés prohibitifs par les clients. Ils demandent à l’Etat d’intervenir pour faire baisser ses taux ou, à défaut, de créer ses propres banques. En attendant, ils continuent de crier leur désarroi face aux pratiques « usurières » des institutions financières.
Son allure et son accoutrement le singularisent parmi la petite foule de marcheurs qui a battu le pavé, le 21 avril dernier, pour dénoncer les taux d’intérêt prohibitifs appliqués par les banques et les institutions financières. Forte corpulence, turban sur le chef, canne à l’aspect peu ordinaire à la main, Bounama Sall Ndiaye ne se lasse pas d’exhiber les preuves de l’« arnaque » qu’il a subie. Ses doigts tremblotants de colère tiennent une pile de paperasse qui attestent qu’il a été « roulé dans la farine » par sa banque. Ce sexagénaire a l’impression d’avoir été cocufié par cette banque qui, pourtant, avait joué de charme pour l’attirer dans ses filets. Aujourd’hui, sa déception est plus que grande. « Je suis déçu des banques. J’avais logé mon salaire dans une banque de la place. Elle m’a accordé un premier prêt que j’ai fini de rembourser et ensuite un second prêt. Mais, au fil du temps, je me suis rendu compte que le taux d’intérêt qu’on m’avait précisé dans le contrat a été triplé par rapport au paiement que je devais effectuer. De 13,4 %, je me suis retrouvé avec un taux d’intérêt de 39,39 % que j’ai payé. Quand j’ai reçu le tableau d’amortissement, je me suis rendu compte que là où je devais payer 300.000 Fcfa, j’ai payé 900.000 Fcfa », explique ce retraité de Dakar Dem Dikk.
C’est donc tout naturellement qu’il martèle que les taux d’intérêt élevés sont en train d’appauvrir les clients. « Cette situation est tellement choquante que, souvent, les gens n’ont que les banques comme recours pour réaliser leurs projets. Il est temps que l’Etat, qui est tout aussi fautif que les banques, prenne ses responsabilité », suggère-t-il. La responsabilité de l’Etat, lequel prélève des taxes sur les taux d’intérêt, est aussi pointée du doigt par Cheikh Sadibou Diagne Guèye.
L’Etat interpelé
Cet ouvrier trouve inconcevable voire indécent que, pour un prêt de 1,5 million de FCfa, le client soit obligé de rembourser entre 2,3 et 2,5 millions de FCfa. « On veut bien emprunter et payer mais pas à ces taux élevés. C’est un combat noble que tous les usagers des banques doivent porter avec le soutien de l’Etat », assène-t-il. Et Cheikh Sadibou dénonce les contrats qu’on fait signer aux clients sans leur donner, au préalable, tous les éléments d’informations. « Par exemple, quand nos virements bancaires tardent, on nous fait payer des pénalités excessivement chères. Alors que dans le contrat de modalité que nous présente notre gestionnaire de compte, on ne nous explique jamais ce qui se passe dans ce cas de figure. Beaucoup de gens qui ne maîtrisent pas toutes les rouages de la banque sont en train de pâtir gravement de cette situation », avance-t-il avec de grands gestes de bras qui témoignent de son exaspération. Il en appelle à des relations sincères entre les banques et leurs clients.
Toumani Sankharé, un autre déçu du système bancaire, n’y va par quatre chemins : les banques, par leurs pratiques usurières, plombent l’économie nationale. « Les taux d’intérêts appliqués par les banques au Sénégal étouffent l’économie nationale. Beaucoup d’entreprises ont fermé leurs portes à cause des taux d’intérêts prohibitifs. Beaucoup de clients se sont détournés des banques à cause de ces pratiques usurières. Il est temps que l’Etat promeuve une autre politique bancaire qui tiendrait compte du développement économique et social du pays. Nous avons plus besoin d’institutions de micro finance que des banques classiques », fulmine cet entrepreneur.
« Une question urgente à régler »
Dans la même veine, Doudou Sarr, homme politique et ancien ministre, qui participait à cette marche de l’Association des clients et sociétaires des institutions financières (Acsif), fait observer que l’essentiel des crédits octroyés par les banques est détourné du financement de notre économie nationale. « Cela veut dire concrètement que c’est de l’argent soustrait au développement du Sénégal. Ce pourquoi ces gens manifestent engage l’avenir immédiat de notre pays, son avenir social, économique voire politique. C’est une question urgente qu’il faut régler », soutient cet ancien de l’Urd.
A ses yeux, lorsqu’on prête de l’argent à un client pour travailler, on ne doit pas lui appliquer les même taux lorsqu’on lui prête de l’argent pour consommer. Cela dit, M. Sarr est d’avis que les taux appliqués concernant les crédits accordés pour la production relèvent du racket et de l’usure.
Il appelle l’Etat à réorienter les crédits vers le financement de l’économie et à créer ses propres banques. C’est dans cette même direction que Famara Ibrahima Cissé, président de l’Acsif, souhaite voir l’Etat s’engager. « L’Etat doit créer ses banques parce que livrer les clients à la merci de gens sans cœur ni scrupules, c’est les amener à l’abattoir », tonne-t-il. Il dénonce le fait que les banques achètent de l’argent à la Bceao à un taux de 2,75 % et le revendent aux clients à des taux compris entre 12 et 14 %. Pour les micro finances, l’écart est encore beaucoup plus prononcé. Elles achètent à 3,75 % à la Bceao et revendent à des taux de 22 à 24 %. « C’est inacceptable. Ces taux tuent l’agriculture, l’artisanat, l’élevage, baissent le pouvoir d’achat des clients, bref ils freinent le développement de ce pays », laisse-t-il éclater sa colère.