La Commission technique mise en place il y a plusieurs mois, avec l’aval du Khalife Général des mourides, pour réfléchir sur le statut spécial de la ville de Touba, a tenu via un communiqué de presse parvenu à notre Rédaction, à informer l’opinion qu’elle a déjà produit un rapport en ce sens. Un rapport qui pose, avec toute l’expertise scientifique requise, la problématique de l’intégration « harmonieuse » des spécificités religieuses, culturelles, sociologiques, démographiques, économiques de la ville sainte dans l’architecture républicaine de notre pays.
Les experts réunis au sein de la Commission technique, se fondant sur cet argumentaire, ont ainsi proposé, dans ce rapport à l’Etat du Sénégal, différents scénarii de formalisation du statut spécial de Touba.
Un TF n° 528, établi le 11 août 1930
Historiquement, souligne-t-on dans le communiqué de presse, le Titre Foncier de Touba constitue l’instrument juridique de sécurisation de la propriété issue du «droit de hache» que détient collectivement la famille de Cheikh A. Bamba depuis 1887. L’acte décisif pour la légitimation juridique de ce statut particulier fut la décision du 17 septembre 1928 de l’autorité coloniale d’accorder à Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, le premier Khalife des mourides, «un bail dit de longue durée pour une période de 50 ans et concernant un terrain rural ayant la forme d’un carré parfait d’une superficie de 400 hectares sis sur la route allant de Mbacké à Sagata à une distance d’environ huit kilomètres 500 de Mbacké ».
Cette première concession foncière est reconnue «unanimement et historiquement» comme étant à l’origine foncière et territoriale du statut particulier de Touba, souligne-t-on dans ledit communiqué.
En conclusion, la commission soutient que le «Titre Foncier de Touba» existe donc bel et bien. Immatriculé au nom de l’État colonial, puis sénégalais, sous le numéro 528, établi le 11 août 1930 sur réquisition du Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale Française (A.O.F) et est conservé au Service des Domaines de Diourbel. Le Titre Foncier a par la suite été modifié, suivant arrêté N° 06553 du Ministre d’État chargé des finances et des affaires économiques, du 26 juin 1975. Une troisième étape élargira les limites du titre foncier de Touba à 30 000 ha en 2005.
«Le pouvoir foncier du Khalife général se fonde ainsi sur le Titre Foncier-mère qui est la première base juridique officielle de sa légitimité sur le sol de Touba», arguent les membres de la commission qui soutiennent que le Titre Foncier de Touba, comme tous les autres, relève du «droit de propriété» et « est à l’origine, l’on peut dire, de la reconnaissance par l’Etat d’un statut particulier de facto ».
Ils en veulent comme preuve, l’interdiction faite à la douane sénégalaise de franchir la rocade de Touba depuis l’indépendance, la prohibition localisée du tabac, de l’alcool, des jeux de hasards, de la musique, le choix exclusif du Khalife du type d’éducation dispensé dans la cité religieuse, l’interdiction d’activités politiques, la tenue d’un check-point pour le respect des interdictions du Khalife à Touba, la création en 1985 d’une brigade de gendarmerie dite «spéciale», suivie de celles de postes de police «spéciale» sont, entre autres, des actes effectifs de reconnaissance de ce statut.
L’élaboration par le khalife d’une liste unique du parti au pouvoir sans compétition et la nomination de l’autorité locale par l’autorité religieuse, en dérogation des dispositions du Code électoral régissant les autres collectivités locales du pays, en a toujours été le «marqueur principal».
C’est pourquoi, dans son approche méthodologique, l’argumentaire proposé dans le rapport de la Commission Technique a distingué, d’un coté, « les éléments de particularité » que l’on rencontre à Touba et pas nécessairement ailleurs (comme le titre foncier, la cohabitation de la légalité républicaine et de la légitimité de l’Autorité religieuse, les tendances socio-économiques dans la ville sainte, la fonction du territoire par rapport au reste du Sénégal etc.) et, de l’autre, le «statut spécial de fait» (comme l’adaptation du code électoral au contexte de Touba, le régime de gestion de la sécurité dans la ville sainte avec une police spéciale, une gendarmerie spéciale, le pouvoir de police reconnu au Khalife (interdiction du tabac, de l’alcool, les tenues indécentes) etc.).
C’est ainsi dire que la ville de Touba a depuis toujours constitué un enjeu juridique, institutionnel, socioéconomique et culturel qui préoccupe les plus hautes autorités de notre pays.
Promesse de Macky Sall
Raison sans doute pour laquelle le Président de la République, Monsieur Macky Sall, rappelle la commission, a annoncé, lors d’une visite préliminaire au Magal 2013, sa volonté de formaliser, dans le cadre de l’Acte 3 de la décentralisation, le «Statut Spécial» de la ville sainte.
Une volonté du Chef de l’Etat réaffirmée par le Conseil des ministres décentralisé tenu à Kaolack (en Juin 2012), en ces termes : «Le Président de la République a demandé de renforcer la décentralisation. La communauté rurale de Touba a une taille bien particulière et, eu égard aux activités économiques de cette communauté, une étude est en cours pour conférer un statut particulier à cette cité religieuse ».
Tout ceci démontre, selon la commission, que la polémique actuelle sur la légalité de la liste «non paritaire» du Khalife général des mourides ne peut nullement être appréhendée sous un angle purement «légaliste» et du reste fort simpliste. Mais plutôt dans un cadre beaucoup plus global, qui est celui de la nécessité pour notre pays de mieux prendre en charge les spécificités culturelles des différentes communautés composant sa nation. Ceci, dans un cadre cohérent où la diversité sera réconciliée à l’unité, où le local ne sera plus noyé dans le global, où différence ne rimera plus avec dissidence ou indépendance. Comme cela s’est d’ailleurs fait depuis longtemps dans d’autres pays où les principes républicains n’ont en rien entravé une réflexion approfondie et très réaliste ayant abouti à l’attribution de régimes ou statuts spéciaux à certaines régions (comme l’Alsace-Moselle en France, le Val d’Aoste en Italie etc.) ou villes (Paris, Marseille, etc.).
L’ensemble des données démographiques, spatiales, infrastructurelles, socioéconomiques sur Touba démontrent amplement aujourd’hui que son statut passé de « communauté rurale » (donc de « plus gros village au monde ») et celui de Commune simple, qui lui est présentement destiné, ne conviennent plus à la seconde ville du Sénégal. La reconnaissance définitive et assumée du véritable statut de Touba et de son urbanité est indispensable et conditionne la cohérence territoriale et institutionnelle de notre pays. En tant que « métropole de l’intérieur du pays », point d’équilibre territorial, référence civilisationnelle et identitaire de millions de sénégalais, dont la croissance fulgurante induit de nouvelles problématiques en termes de délivrance de services publics de base, d’infrastructures, de sécurité, de développement économique et de gestion de l’environnement, Touba a plus que besoin aujourd’hui de trouver sa vraie place dans l’architecture de la décentralisation, qui vient d’initier sa troisième grande réforme.
Il s’agira donc pour l’Etat du Sénégal de prendre pleinement en compte toutes les spécificités de la ville sainte, par la définition d’un «statut spécial officiel» lui permettant d’avoir accès aux instruments institutionnels et organisationnels modernes susceptibles de rationaliser, de façon optimale, sa gouvernance locale. « Dans le plus pur respect de l’unité nationale et de la légalité républicaine de notre pays », souligne la commission.