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Corruption à l’IAAF: Me Habib Cissé, co-prévenu de Lamine Diack, l’argent des Russes et les appartements de Dakar
Publié le lundi 20 juillet 2020  |  pressafrik.com
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© Autre presse par DR
Affaire IAAF: Habib Cissé incarcéré
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La question a des airs d’effet papillon. Des lias­ses de billets à Moscou ont ­elles aidé à financer des appartements à Dakar ?
Achevé le 18 juin à Paris, le procès de Lamine Diack, ancien prési­dent de la Fédération internatio­nale d’athlétisme (IAAF), jugé pour corruption, abus de con­fiance et blanchiment, a laissé quelques interrogations en sus­pens, avant le jugement fixé au 16 septembre. Dont celle-­ci, pour­tant centrale : où est passé l’ar­gent dont la justice soupçonne qu’il a été versé à plusieurs préve­nus contre la mise sous le tapis de cas de triche dans l’athlétisme russe ?
Seul Gabriel Dollé, l’ancien patron de l’antidopage, a indiqué avoir reçu 190 000 euros en li­quide, notamment de Lamine Diack et de son fils Papa Massata, tout en assurant que la plupart de ces billets étaient liés à son dé­part à la retraite. Pour le reste, l’absence à l’audience du fils Diack, ex­-consultant marketing de l’IAAF, et les trous de mémoire de son père à la barre n’ont pas aidé à éclaircir les zones d’ombre de cette vaste affaire de cor­ruption internationale, qui a éclaté en 2015.
Dans cet immense puzzle, Le Monde révèle plusieurs pièces jusqu’alors manquantes. Elles concernent l’un des co-prévenus de Lamine Diack, Habib Cissé.
Selon nos informations, cet avo­cat français, ancien conseiller juridique du président de l’IAAF, a versé 200 000 euros en espèces, entre juillet 2012 et février 2013, à Focus Immobilier, un promoteur sénégalais, dans l’optique d’ac­quérir un appartement haut de gamme à Dakar. M. Cissé a par ailleurs voulu offrir un logement à sa mère, toujours dans la capi­tale sénégalaise, en 2015. Il n’a jamais informé la justice de ces opérations immobilières, ni lors des quatre années d’instruction ni lors du procès.
M. Cissé, avocat de 48 ans, né à Dakar, s’est spécialisé, au début des années 2000, dans le sport et l’arbitrage international. Jugé en juin pour « corruption », il est soupçonné d’avoir participé au ralentissement des sanctions contre des Russes dopés – le parquet a requis trois ans de prison, dont dix­ huit mois ferme, à son encontre, ainsi que 100 000 euros d’amende et l’interdiction d’exer­cer. Lui a simplement reconnu avoir remis en main propre des courriers concernant des athlètes suspectés de triche à Valentin Balakhnichev, alors président de la Fédération russe d’athlétisme.
Les enquêteurs ont vu un conflit d’intérêts dans le fait que l’avocat ait touché environ 150 000 euros, dont 20 000 en espèces, de la part des Russes, en plus de son forfait mensuel d’environ 13 000 euros comme conseiller juridique du président Diack. Mais Habib Cissé a toujours expliqué que cet argent versé par Moscou correspondait à des contrats signés en vue d’améliorer la lutte antidopage en Russie. Des sommes dûment déclarées, a -t­-il martelé au cours de l’enquête, contrats à l’appui. Contrairement à Lamine Diack et à son fils, M. Cissé n’a pas été poursuivi pour blanchiment.
« Je suis clean fiscalement »
Au tribunal, mi­-juin, l’avocat, qui exerce à Paris, a expliqué pos­séder deux appartements dans une commune bordant le Bois de Vincennes. L’un, acquis en 2010, où il vit avec sa compagne et leurs deux enfants. L’autre, acheté quelques années plus tard, comme « un investissement loca­tif ». Rien de plus, a-t­-il assuré à la barre, lors de l’enquête de person­nalité. Il ne s’est pas étendu sur l’existence de sa Société civile im­mobilière (SCI), Bene Tally, et a as­suré qu’il n’avait rien acheté dans son pays de naissance.
« Je proje­tais d’acquérir un bien à Dakar et la procédure [judiciaire] m’a em­pêché de le faire », avançait ­il.
La réalité apparaît bien diffé­rente. Si Habib Cissé a omis de parler de ses tractations immobi­lières à Dakar, sans crainte de voir le tribunal s’y intéresser, c’est parce qu’elles ont été réali­sées dans la plus grande discré­tion, passant jusqu’à présent sous les radars. Ainsi des 200 000 euros en liquide, versés pour payer une partie d’un pre­mier appartement à Dakar. Trois règlements, un de 100 000 euros le 10 juillet 2012, puis deux autres de 50 000 euros chacun, en dé­cembre 2012 et février 2013, résu­més dans un document de Focus immobilier, que Le Monde a pu consulter, dont les modalités et les dates interpellent.
Pour remettre cet argent en li­quide, Me Cissé n’a pas fait lui­ même le déplacement au Séné­gal, des collaborateurs de Focus immobilier venaient chercher l’ar­gent en liquide. En atteste un deuxième document, une demande de remboursement » datée de février 2013, dans laquelle le promoteur immobilier invite l’avocat à régler 2,4 millions de francs CFA (3 714 euros). Soit, est -il écrit, le prix de « billets d’avion concernant le déplacement de nos collaborateurs pour réceptionner vos acomptes sur l’achat d’un ap­partement (…) sur notre site O2 ».
Le logement en question se situe dans la résidence O2, un ensem­ble d’appartements de standing, piscine et salle de gym collectives, au sein d’un quartier prisé, avec vue sur l’Océan Atlantique. Le prix total de l’appartement, parking inclus, s’élevait, il y a sept ans, à 403 990 euros.
Aucun mouvement sur les deux comptes bancaires déclarés de Me Cissé, entre 2011 et 2015, n’explique comment il a pu débourser ces 200 000 euros en liquide. Lors des perquisitions au domicile de l’avocat, à l’automne 2015, les enquêteurs n’avaient trouvé aucune liasse de billets, ni aucun document mentionnant cet appartement.
Les dates de remise d’argent à Focus Immobilier, entre juillet 2012 et février 2013, correspon­dent par ailleurs à la période durant laquelle une maratho­nienne internationale dopée, Liliya Shobukhova, a dû verser 450 000 euros à des dirigeants russes pour pouvoir participer à des compétitions malgré ses résultats sanguins anormaux. Des sommes reversées en partie à l’avocat et à d’anciens respon­sables de la Fédération interna­tionale, soupçonne la justice française.
Durant ces mois de l’année 2012, M. Cissé, alors con­seiller juridique de Lamine Diack, a multiplié les voyages en Russie, notamment en juillet et décem­bre. Il a toujours nié toute corrup­tion. « Je n’ai pas à vous parler de ma collaboration avec Focus Im­mobilier, c’est du secret profes­sionnel, c’est mon activité. Je n’ai pas à vous parler de ces som­mes -là, a répondu Me Cissé au Monde. C’est une spéculation de votre part. Que ça soulève des questions, oui, mais ce n’est pas à vous que je vais répondre. »
Habib Cissé a­-t­-il payé les 203 990 euros restants de cet appartement de standing, route de la Corniche ? Il assure juste, « serein », que ni sa SCI ni lui­ même n’est propriétaire d’un bien quelconque à Dakar. « Je suis clean fiscalement » avance t’il évoquant le fait que, dans le cadre de cette « collaboration », Focus Immobilier aurait décidé de le ré­munérer en nature, en l’aidant à financer un appartement. Mais rien d’illégal, répète l’avocat, en faisant mine de s’interroger : « Se­rais­ je assez débile pour vouloir un reçu pour de l’argent sale ? » Le promoteur sénégalais n’a pas ré­pondu à nos questions.
Devant le tribunal, Me Cissé ne s’est pas étendu sur l’existence de sa Société civile immobilière
La seconde offensive immobi­lière de M. Cissé à Dakar, dans une résidence à moins d’un kilomètre du premier appartement, com­porte aussi quelques parts d’om­bre.
Cette fois­-ci, début 2015, Ha­bib Cissé est passé par une société de gestion immobilière, Sablux. Afin de régler ce dossier, il a fait appel aux services de l’office no­tarial SCP Ndiaye ­Diagne­ Diallo, l’un des principaux cabinets de la capitale sénégalaise. Le 29 octo­bre 2013, cette même étude a reçu 230 000 dollars de la part d’une société­ écran implantée à Singa­pour, Black Tidings.
Au cœur de la vaste affaire de corruption dans l’athlétisme mondial, cette structure opaque (Black Tidings se traduit par « sombres nouvelles », en anglais) est liée à Papa Massata Diack. « PMD » a­ t’­il, lui aussi, investi dans l’immobilier, ou a­ t­’il aidé Habib Cissé dans ses opérations ? « Aucun commentaire, nous a répondu le fils Diack. Sortez les preuves irréfutables et formelles, au lieu de verser dans la presse sensationnelle de bas étage. »
Me Moustapha Ndiaye, notaire et associé de la SCP NDiaye­ Diagne­ Diallo, s’est dit « soumis au secret professionnel » et n’a pas sou­haité s’exprimer sur le virement de Black Tidings. Il assure par ailleurs : « Notre office n’a jamais reçu une quelconque somme en espèces, virement ou autres de M. Habib Cissé. »
Dans le cadre de ses opérations immobilières, M. Cissé a ­t­’il bé­néficié de l’aide de personnages haut placés au Sénégal ? Des échanges de textos le laissent penser. Lors des transactions concernant le deuxième apparte­ment à Dakar, l’avocat a tenu à remercier, par SMS, Mamadou Diagna Ndiaye, le président du Comité national olympique sénégalais, banquier de profession. « Mon grand, grâce à toi, j’ai pu offrir à ma mère un appartement à Da­kar, lui écrit ­il le 5 mai 2015. Je tiens donc à t’en remercier fraternellement. Tu comptes beaucoup pour moi. Bien à toi, Habib. »
Personnage influent du monde sportif, Mamadou Diagna Ndiaye est membre, depuis août 2015, du Comité international olympique (CIO). L’un de ses exploits les plus récents consiste à avoir réussi, en 2018, à convaincre le CIO d’atti­rer les Jeux olympiques de la jeu­nesse (JOJ) de 2022 à Dakar – re­portés en 2026 pour cause de Co­vid­19 –, permettant ainsi au Sé­négal de devenir le premier pays africain à organiser des JOJ.
Contacté, Mamadou Diagna Ndiaye dit n’avoir conservé « absolument aucun souvenir » de ce message envoyé par Habib Cissé, encore moins de lui avoir répondu. «En Afrique, on dit toujours “mon grand” quand quelqu’un est plus âgé que soi, précise le banquier et dirigeant sportif. C’est une expres­sion. On ne boxe pas dans la même catégorie [avec Habib Cissé]. Qu’il soit fan, c’est possible, car je suis quand même pour certains Séné­galais un exemple de réussite so­ciale. Mais je ne suis pas vendeur immobilier. Il se peut qu’il m’ait demandé de trouver un apparte­ment à Dakar et que je l’aie mis en rapport avec une agence immobi­lière. Je ne m’en souviens pas. »
« Nuance juridique »
Habib Cissé, lui, justifie d’une autre manière ses remercie­ments : « Il m’avait mis en rapport avec la banque, m’avait recommandé en disant que j’étais un client solvable, un garçon sé­rieux. » L’avocat ajoute, à propos des mots employés dans son SMS du 5 mai 2015 : « Pour moi, dans ma tête, c’était fait. Le bien était bloqué, j’avais l’accord, il suffisait juste que je me déplace et que je si­gne. Dans ma tête, j’étais proprié­taire de ce bien, donc je me suis ex­primé ainsi, sans penser à la nuance juridique. »
Il explique que le projet aurait échoué, car il n’a pas pu se rendre au Sénégal entre mai et novembre 2015, moment de sa mise en examen dans le scandale de l’IAAF.
Habib Cissé n’est pas le seul à s’être cru propriétaire : la société de gestion immobilière Sablux l’a cru aussi, qui lui a envoyé, en mai 2015, un mail demandant de régler des charges du syndic. Ce document a été retrouvé par la justice française lors de la perqui­sition chez l’avocat, à l’automne 2015. Une erreur de la part de la so­ciété de gestion immobilière, se­lon Me Cissé, qui assure l’avoir fait remarquer, non par écrit, mais « au téléphone », à Sablux. « Voilà pourquoi ce qui ne paraît pas cré­dible en fait l’est », conclu t­’il.
La compagne d’Habib Cissé, une magistrate française, conseillère référendaire à la Cour de cassa­tion, était­-elle au courant de ces négociations immobilières ? Sur le papier, elle faisait partie de la SCI Bene Tally. « Elle n’a stricte­ment rien à voir avec ça, assure Habib Cissé. Il s’agit d’une SCI fa­miliale. Il était normal, en tant que bon père de famille, puisque j’envi­sageais un projet immobilier, de mettre toutes les personnes de ma famille. Si j’envisageais la moindre activité frauduleuse, je n’aurais pas mis la mère de mes enfants, et mes enfants. Quand on fait ce genre de choses, on le fait tout seul dans son coin, on ne met pas les gens de sa famille là­-dedans. »
Si la justice française décide de s’intéresser à ces flux finan­ciers occultes, de nouveaux en­nuis judiciaires pourraient s’an­noncer pour l’avocat.

Pour rappel, six personnes ont été jugées, du 8 au 18 juin à Paris, pour une vaste affaire de corruption dans l’athlétisme mondial, sur fond de dopage en Russie. L’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF), Lamine Diack, et l’un de ses fils, Papa Massata Diack, absent à l’audience, étaient poursuivis pour «corruption», «blanchiment aggravé», «abus de confiance et recel de ce délit».

Le parquet a requis quatre ans de prison contre le père, cinq ans contre le fils, et 500 000 euros d’amende pour chacun. Concernant Habib Cissé, ancien conseiller juridique de Lamine Diack, une peine de trois ans de prison et 100 000 euros d’amende a été demandée, alors que l’ancien patron de l’antidopage, Gabriel Dollé, a vu le parquet requérir deux ans de prison, dont un avec sursis, à son encontre. Deux ex- dirigeants russes mis en cause ne se sont pas rendus en France. Jugement prévu le 16 septembre »



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