Cinq ans après un scandale de corruption sur fond de dopage en Russie, le procès de l’ancien patron déchu de l’athlétisme mondial doit s’ouvrir lundi à Paris. L’ancien maire de Dakar est jugé avec cinq autres protagonistes, dont son fils.
Si les scandales de corruption ne sont pas rares dans le sport, il est plus exceptionnel qu’un président d’une grande fédération sportive soit condamné à l’issue d’un procès. C’est ce que risque Lamine Diack, ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (de 1999 à 2015), attendu lundi matin devant la 32e chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, au lendemain de son 87e anniversaire.
Le Sénégalais, que le parquet national financier accuse d’avoir mis en place «une véritable organisation criminelle», encourt jusqu’à 10 ans de prison pour corruption active et passive, abus de confiance et blanchiment en bande organisée. Son arrestation en novembre 2015 a permis de documenter d’autres dossiers sulfureux, comme le dopage institutionnel à grande échelle en Russie, ou les soupçons de corruption dans l’attribution des Jeux olympiques de Rio en 2016 et de Tokyo en 2020. Eclaboussée par le scandale, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) a depuis changé son nom en World Athletics. Elle est aujourd’hui partie civile (comme le CIO et l’Agence mondiale antidopage), et réclame 24,6 millions d’euros de dommages et intérêts.
Multiples ramifications
Interdit de quitter la France, Lamine Diack devrait être présent à l’audience, tout comme son ancien conseiller et l’ancien responsable du service antidopage de l’IAAF, les Français Habib Cissé et Gabriel Dollé, qui comparaissent pour corruption passive. Acteur clé de l’affaire, Papa Massata Diack, le fils de Lamine et ancien puissant conseiller marketing de l’IAAF, sera probablement absent. Son avocat demande le renvoi du procès car ses deux autres avocats sont bloqués à Dakar par la fermeture des frontières. Une demande examinée lundi matin, au premier des six jours d’audience, alors que les débats avaient déjà été renvoyés en janvier en raison de problèmes de procédure.
Les deux autres prévenus, l’ancien président de la Fédération russe d’athlétisme, Valentin Balakhnitchev, et l’ancien entraîneur national des courses de fond, Alexeï Melnikov, soupçonnés d’avoir soutiré des fonds à des athlètes dopés en échange de leur protection contre des sanctions, devraient aussi être absents.
Cette affaire aux multiples ramifications démarre au début des années 2010, avec l’arrivée dans l’arsenal antidopage du passeport biologique, qui permet de déceler des variations sanguines suspectes. La Russie est ciblée et, en novembre 2011, une liste de 23 athlètes suspects est établie. Au même moment, Lamine Diack, son fils et Habib Cissé multiplient les voyages à Moscou. Les dossiers disciplinaires traînent en longueur, permettant à plusieurs athlètes de participer aux JO de Londres en 2012 et même d’y gagner des médailles, qui leur seront ensuite retirées.
Durant l’enquête, Lamine Diack a reconnu que les sanctions contre les athlètes russes ont été échelonnées pour éviter de plomber l’image de la Russie avant les Championnats du monde d’athlétisme 2013 à Moscou. Il a aussi concédé qu’il avait obtenu 1,5 million d’euros de la Russie pour faire campagne contre le sortant Abdoulaye Wade à la présidentielle sénégalaise de 2012. Pour ses avocats, qui réfutent tout lien entre le jeu diplomatique de Moscou en Afrique et les dossiers sportifs, les athlètes russes ont finalement été sanctionnés (la plupart en 2014) et Lamine Diack a agi pour sauver l’IAAF de la banqueroute.
Le fils, plaque tournante du système
L’affaire n’aurait peut-être jamais vu le jour si la marathonienne russe Liliya Shobukhova, qui avait payé pour échapper à un contrôle antidopage (comme cela était l’usage à l’époque) mais qui avait tout de même été suspendue en 2014, n’avait demandé un remboursement à ses maîtres chanteurs. Un virement de 300 000 euros à son profit a permis de remonter au fils de Lamine Diack. Papa Massata Diack, «PMD», est le point commun à tous les dossiers. Ancien consultant marketing de l’IAAF, soupçonné d’avoir monnayé son influence et celle de son père pour un montant estimé à 10 millions de dollars de pots-de-vin, il a toujours échappé à la justice, malgré divers mandats d’arrêt internationaux.
Dans leur enquête sur l’IAAF, les juges français (compétents car des fonds ont été blanchis en France) ont découvert deux virements des 30 juillet et 28 octobre 2013, provenant d’un compte japonais sous le libellé «Tokyo 2020 Olympic Games Bid». Les dates intriguèrent car Tokyo avait obtenu les JO par un vote du CIO, dont Lamine Diack était un membre influent, le 7 septembre de la même année, à Buenos Aires. Mais surtout, l’argent (2,8 millions de dollars singapouriens au total, 2 millions de francs suisses) a atterri sur le compte d’une société écran, Black Tidings à Singapour, liée à Papa Massata Diack.
En 2009, deux virements ont crédité de 2 millions de dollars des comptes de PMD trois jours avant le vote du CIO qui allait attribuer les Jeux d’été 2016 à Rio. L’argent provenait de la société Matlock Capital, derrière laquelle se trouve un entrepreneur brésilien, Arthur Soares, proche de l’ancien gouverneur de Rio, Sergio Cabral. Le jour du vote, une société de Papa Massata Diack virait 300 000 dollars sur le compte de l’ancien sprinteur namibien Frankie Fredericks, devenu scrutateur du CIO.
Les multiples vies du vieux lion
Champion de France de saut en longueur (au temps des colonies), directeur technique de l’équipe nationale du Sénégal de football après l’indépendance, maire de Dakar (de 1978 à 1980), Lamine Diack a eu de son propre aveu «plusieurs vies». Il a ainsi été président du Comité national olympique sénégalais, maire de Dakar, parlementaire et vice-président de la fédération internationale d’athlétisme avant d’en prendre les rênes par acclamations en décembre 1999 à la mort de l’Italien Primo Nebiolo.
Pour certains, le vieux lion s’est laissé abuser par son fils. Pour d’autres, «il s’est pris pour Robin des Bois, en prenant l’argent des dopés pour sauver les Sénégalais». Malgré le terrible boulet de la corruption, Lamine Diack pouvait se flatter d’avoir mondialisé le premier sport olympique. Sur le plan comptable, les recettes de télévision et de sponsoring se sont ainsi élevées en quinze ans à plus d’un milliard d’euros. Un legs balayé par les affaires.