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ITW - Hassane Goudiaby, Enseignant-Chercheur à L’ISE : ‘’Chaque année, nous perdons 40 000 hectares de forêts et de savanes au Sénégal’’
Publié le dimanche 7 juin 2020  |  Enquête Plus
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© AFP par Rebecca Blackwell
Les forêts du bassin du Congo représentent 90% des forêts tropicales en Afrique et environ 80% de la biodiversité africaine
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Hier, le monde a célébré l’environnement sous le thème de la biodiversité. Au Sénégal, la nature est agressée de partout et les conséquences se font déjà sentir. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, Hassane Goudiaby, enseignant-chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) de la faculté des Sciences et techniques de l’Ucad, revient sur les risques de disparition de cette biodiversité, non sans proposer des pistes de solution.

La biodiversité est le thème choisi cette année. Comment la comprendre dans un contexte sénégalais ?

La biodiversité, on l’appelle aussi diversité biologique, est l’ensemble des espèces et des écosystèmes dans un endroit donné. Cela peut être une région, une ville, un pays, une forêt ou un parc national. Et cette diversité des espèces prend en compte la diversité au sein de chaque espèce, parce qu’une espèce peut être représentée par un ou plusieurs individus. Le singe et le chien sont, par exemple, des espèces différentes. Ainsi, la biodiversité, c’est la variabilité, la diversité des espèces et des écosystèmes d’un endroit donné. Cette diversité est extrêmement importante pour la survie de l’humanité. Je prends l’exemple des médicaments, dans le domaine de la santé, qui nous viennent, à l’origine, des plantes.

Mais toutes les plantes ne comportent pas des composés qui peuvent guérir telle ou telle maladie. Donc, plus on a de plantes, plus on a de composés et donc plus on a la possibilité de guérir des malades. Dans le domaine de l’alimentation, on ne peut pas vivre seulement d’un plat. On est obligé de diversifier nos plats. Si on le fait, c’est un ensemble d’espèces différentes qui entrent dans la composition de nos plats. Moi, je me suis amusé à compter les espèces qui entrent dans la préparation du ‘’Thièbou Djeune’’ (riz au poisson) ; elles sont entre 17 et 22. Le riz, la tomate, le chou, le poisson… sont chacune une espèce ; l’huile nous vient d’une espèce végétale, l’arachide. Alors, même pour notre alimentation quotidienne, on a besoin de plusieurs espèces.

D’où l’importance de la diversité de ces espèces qui est à préserver, car si on la perd jusqu’à un certain niveau, notre survie sera menacée et, à terme, on va disparaitre. En dehors de l’alimentation et de la santé, il y a d’autres domaines tels que le transport où on a aussi besoin de cette diversité biologique. Le cheval, dans le monde rural, permet le transport des personnes. Il y a aussi la biodiversité agricole, parce que le problème entre Aline Sitoé Diatta et les colonisateurs résulte du fait qu’elle disait aux populations de ne pas abandonner les différentes variétés de riz qui étaient cultivées au profit de l’arachide. Puisque le colon voulait développer la culture de l’arachide, il l’a tout simplement arrêtée. Elle prônait le maintien de la biodiversité agricole par le biais des différentes variétés de riz. Si on a plusieurs variétés de riz, on peut faire face à plusieurs difficultés, on peut mieux exploiter l’espace. Il y a des variétés qui sont plus résistantes à un certain taux de salinité et d’autres qui ne supportent pas le sel. Mais si on n’a qu’une seule variété qui est celle qui ne résiste pas du tout au sel, les endroits où il y a beaucoup de sel ne seront pas exploités. Garder certaines variétés peut nous permettre de faire face à certaines maladies de plante. Or, actuellement, la diversité biologique est de plus en plus menacée par l’homme lui-même et c’est la cause d’un certain nombre de problèmes.

Tout ceci montre à suffisance la pertinence du thème de cette année.

Comme vous le dites, malheureusement, ces écosystèmes subissent plusieurs agressions. A Dakar, les exemples ne manquent pas : la zone des Mamelles, la cité Technopole, la baie de Hann… Avez-vous des chiffres en termes d’estimation des pertes ?

On n’a pas de chiffre en termes de perte végétale ici à Dakar, mais on a des chiffres par rapport aux écosystèmes de manière générale. On estime que chaque année, nous perdons 40 000 hectares de forêts et de savanes au Sénégal, suite au défrichement. Ce qui veut dire que nous sommes dans un contexte où l’homme joue un rôle très important dans la dégradation des écosystèmes, dans la diminution du nombre d’espèces et dans la diminution du nombre d’individus au niveau de chaque espèce.

Justement, quelles sont ces actions humaines qui nuisent à la biodiversité ?

L’homme est le principal responsable des pertes de biodiversité au travers de plusieurs actions. Nous avons le défrichement pour l’agriculture, pour installer certaines habitations, mais aussi pour l’exploitation des mines et des carrières. Ce sont des activités humaines qui entrainent une perte de forêt et de savane. La deuxième activité, c’est l’exploitation des fruits, car il y a des formes d’exploitation qui sont très destructrices. Au lieu de cueillir le fruit, on coupe l’arbuste ou l’arbre, parce qu’on ne peut pas accéder aux feuilles. Donc, les modes d’exploitation sont parfois destructeurs. Aussi, dans le souci de la satisfaction des besoins en bois pour l’énergie, la cuisine, la construction des habitations ou la confection de meubles, l’homme se lance dans une exploitation abusive des écosystèmes. L’exemple le plus fréquent, c’est le charbon de bois dont nous avons tous besoin. Si on coupe 100 kilos de bois, nous n’obtenons que 30 kilos de charbon ; ce qui veut dire que les 70 % sont perdus et quand on utilise un fourneau qui n’est pas construit pour une économie d’énergie, nous perdons encore 10 à 15 % de ce charbon. Cela signifie que des 100 kilos de départ, seulement 10 kilos vont effectivement servir à la cuisson. Conséquence : l’homme est poussé à détruire beaucoup de forêts et de savanes, ce qui est une autre cause de perte de biodiversité, de dégradation de la biodiversité.

L’autre aspect, c’est que depuis la dévaluation du franc CFA, nous avons une augmentation progressive de la fréquentation des guérisseurs encore appelés tradipraticiens ou phytothérapeutes. Ils ont de plus en plus de clients. D’où prennent-ils leurs médicaments ? Généralement, c’est dans nos forêts et nos savanes. Donc, l’utilisation de la médecine traditionnelle a sa part de responsabilité dans la dégradation de la biodiversité.

Plusieurs scientifiques soutiennent que c’est en raison de ces agressions contre la biodiversité que le monde est aujourd’hui plongé dans la pandémie de Covid-19. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Je disais tout à l’heure que la biodiversité est la diversité d’espèces en un lieu donné. Or, les bactéries et les virus font partie de cette biodiversité. Donc, ces virus et ces bactéries sont dans la nature et certains virus et bactéries vivent dans l’organisme de certains animaux qui sont appelés réservoirs naturels de ces virus. C’est le cas d’Ebola, c’est le cas du coronavirus. La question qui vient à l’esprit est de savoir comment l’homme se retrouve infecté ? Normalement, ce virus qui vit à l’état naturel dans l’organisme de certains animaux, ne doit pas entrer dans celui de l’homme. Mais c’est parce que l’homme a favorisé ce transfert en allant chercher ces animaux pour son alimentation. Alors, pendant l’utilisation de l’animal, à savoir son dépeçage, si la personne se coupe, il y a une possibilité de transfert du virus de l’animal à l’homme.

Toutefois, pour le cas de la Covid-19 sous sa forme actuelle, on ne sait pas encore de manière sûre d’où il vient. Certains disent que le virus vient des animaux ; ils citent le pangolin et ils disent même que le pangolin n’est qu’une transition et que l’origine serait une chauve-souris. D’autres disent que le virus a été fabriqué de toutes pièces par l’homme. Il y a donc ces deux hypothèses qui ne sont pas encore vérifiées. Mais pour le cas d’Ebola, les choses sont claires. L’origine est animale. Pourquoi, à un certain moment, le virus a atteint l’homme ? Tout réside dans la manière dont l’homme utilise cette ressource et quand on regarde sur le plan de la culture, il y a certaines maladies qu’on ne retrouve pas chez certaines populations parce que leur mode d’alimentation est différent des autres. Quand on regarde aussi les écosystèmes, il y a des maladies qu’on ne retrouve pas dans certaines zones. Par exemple, dans les zones de savane, on ne trouve pas des foyers originels d’Ebola, parce que les espèces qui constituent le réservoir ne sont pas dans ces écosystèmes de savane. Donc, si la façon d’utiliser la biodiversité n’est pas bonne, si elle n’est pas conforme à certaines règles sanitaires ou autres, l’être humain peut être infecté et avoir des problèmes de santé. Si on veut profiter de la biodiversité, il faut qu’on sache comment utiliser cette biodiversité pour que les espèces qui sont nuisibles à l’homme ne lui soient pas transmises. Il faut également qu’on sache comment utiliser la biodiversité pour qu’elle ne disparaisse pas, car si on l’utilise de manière abusive, elle va se dégrader et disparaitre par la suite.

Ne se pose-t-il pas, selon vous, un problème d’éducation environnementale chez les Sénégalais ?

Certes, on peut parler d’ignorance dans certains cas, mais dans d’autres, les personnes concernées savent très bien ce qu’elles font, mais il y a des questions d’intérêt derrière. Celles qui vont en mer savent très bien ce qu’elles font. Ceux qui sont propriétaires des chalutiers, dans le cadre de la pêche industrielle, savent très bien ce qu’ils font. Donc, ce n’est pas par ignorance, mais c’est l’appât du gain, c’est parfois la nécessité de survie aussi. Si on vit à côté d’une forêt ou près de la mer, on a besoin d’y aller pour prendre ces ressources afin de contribuer à l’alimentation de sa famille. Et parfois les gens sont conscients du risque de dégradation de la forêt, mais si le soir votre enfant vous dit ‘’papa, je n’ai pas mangé’’, vous allez repartir dans la forêt tout en sachant que ça la détruit. Alors, à ce niveau, il y a plusieurs cas. Dans certains, c’est par ignorance et dans d’autres cas, c’est par cupidité ou encore par nécessité par rapport aux questions de survie.

Quel est le lien entre la dégradation de la nature et les changements climatiques, spécifiquement au Sénégal ?

Nous savons tous que les quantités de pluie ont diminué. Quand on regarde les statistiques et les données de la météo, on se rend compte que des années 1950 à aujourd’hui, il y a une forte diminution des pluies et cette diminution a eu pour conséquence une diminution d’espèces au niveau de certains endroits. Je prends deux exemples. Dans le domaine animale, il y a des espèces qui ont disparu à cause de l’augmentation du taux de salinité, parce qu’il y a des espèces de poisson qui ne peuvent pas vivre dans l’eau salée. Ce sont des poissons d’eau douce. Et en Basse-Casamance, il y a des cours d’eau dont certaines parties n’étaient jamais salées, mais avec la baisse des pluies, l’eau salée a envahi toute cette partie et les poissons qui ne supportaient pas le sel ont disparu.

Dans le domaine végétal, il y a des zones où plusieurs espèces ont disparu à cause du sel. Dans certains endroits c’est à cause de la baisse de la nappe phréatique, les racines ne pouvant plus atteindre la nappe, beaucoup d’espèces ont disparu. Ces deux exemples font bien le lien entre les changements climatiques et baisse de biodiversité. Mais attention ! Les changements climatiques, à eux seuls, ne sont pas responsables de cette perte de biodiversité, car c’est l’homme le plus dangereux en matière d’agression. Surtout qu’on a une augmentation de la population et donc des besoins. Mais on a constaté qu’avec le confinement, à certains endroits, il y a une diminution de la pression sur les écosystèmes, une diminution de l’exploitation parce que les activités sont à l’arrêt. Les produits forestiers ne quittent plus une région pour aller dans d’autres régions. C’est sûr que si les services forestiers font le point, ils verront que la courbe a baissé pendant cette période de confinement. Les mois à venir, c’est sûr qu’il y aura des études qui nous permettront d’en savoir plus.

Au regard de tous ces obstacles, quelles solutions faut-il mettre en place pour sauver notre biodiversité ?

C’est très complexe, mais il y a des pistes. A mon avis, la première, c’est la connaissance ; il faut connaitre nos ressources. C’est très important parce qu’on ne peut pas gérer quelque chose qu’on ne connait pas. La participation de toutes les populations est primordiale. Tant qu’elles ne participent pas pleinement à la conservation de cette biodiversité, nous n’arriverons jamais à la préserver et tous les acteurs sont indispensables. Les populations locales, les autorités, les ONG, les forestiers et autres doivent s’impliquer. A cela s’ajoute l’application des textes ; on ne peut pas gérer une situation sans mettre en place des règles juridiques, il y a des textes qui sont là, mais l’application pose problème. Je cite l’exemple de la pêche où les filets doivent être confectionnés avec des matériaux biodégradables. Mais la plupart des filets qui sont utilisés actuellement dans le domaine de la pêche sont en nylon appelés mono-filaments.

Quand on perd son filet en mer, il continue à tuer les poissons pendant des années, mais si le matériel est biodégradable, le filet pourri au bout de quelques semaines. Cela est dans la règlementation, mais il y a des difficultés pour faire respecter les textes par tout le monde. J’ajoute également la coopération sous régionale, car la biodiversité ne connait pas les frontières dans le delta du Saloum. Au niveau de la mangrove, on ne sait pas quand est-ce qu’on se trouve en Gambie ou au Sénégal, les écosystèmes ne connaissent pas les limites. Les frontières ont été créées par l’homme. Maintenant, chaque pays a sa façon de gérer. Aujourd’hui, tout le monde sait que les forêts à la frontière sénégalo-gambienne sont agressées et beaucoup disent que les trafiquants vont en Gambie avec le produit. Voilà pourquoi la coopération-Sahel est très importante. Si on ne le fait pas, on ne pourra pas protéger notre biodiversité.

En outre, il y a des institutions de l’Etat à qui on a confié la responsabilité de gérer cette diversité biologique telles que la Direction des eaux et forêts, la Direction des parcs nationaux, la Direction des aires marines protégées et aussi la Direction des pêches. Ce sont des institutions de l’Etat qui n’ont cependant pas tous les moyens nécessaires pour gérer les ressources de la biodiversité dans leur aire d’intervention. Ils n’ont pas assez de moyens matériels, de moyens humains et financiers pour le faire correctement. C’est un problème. Le sixième axe principal, c’est la formation et l’information des différents acteurs et la sensibilisation.

Comment l’institut œuvre en faveur de cette protection ?

Dans le domaine de la recherche, nous menons des activités dans le cadre de la connaissance de la biodiversité. Il y a aussi des activités d’identification des différents facteurs négatifs qui sont responsables des pertes de biodiversité, mais aussi nous sommes en train de travailler dans le domaine de la valorisation de cette biodiversité. C’est important, parce que nous avons besoin de cette biodiversité. Il ne s’agit pas de la laisser tel quelle, de la contempler. Nous donc menons des activités de recherche en vue de la valoriser. Dans le cadre du volet Recherche et développement, dans la zone de Kabakoto, nous avons mené des activités de recherche dans le domaine socio-économique, pour voir un peu comment les populations vivent, comment elles utilisent les différentes ressources des écosystèmes, pour connaitre aussi leurs difficultés. On a des projets de développement qui ont eu un volet de reboisement de zones dégradés.

Donc, on a essayé de mettre les résultats de nos recherches en œuvre, de les valoriser par le biais de partenaires. Nous avons également la formation de nos étudiants, nous avons inscrit la biodiversité dans nos modules de formation à l’ISE, et lors des journées de l’environnement, nous faisons régulièrement des activités de reboisement pour contribuer à la préservation de notre biodiversité et à l’amélioration de notre cadre de vie. On a des collègues qui travaillent dans le domaine de la valorisation des boues de vidange pour la fertilisation des sols.

Vos travaux entrent-ils dans la mise en œuvre des politiques publiques ?

Cette question revient au ministère de l’Environnement et du Développement durable. Ce que je peux dire, c’est que nous collaborons avec différents ministères dans le domaine de la biodiversité. C’est nous qui avons rédigé les premiers documents de biodiversité, en collaboration avec tous les ministères. C’est un exemple extraordinaire piloté par le ministère de l’Environnement. Nous étions les maitres d’œuvre. Nous avons rendu plusieurs rapports stratégiques en rapport avec la biodiversité. Maintenant, l’utilisation qui en est faite ne relève pas de notre ressort.

EMMANUELLA MARAME FAYE
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