Son histoire, on la conte désormais dans les rues de la commune de Diamagueune/Sicap-Mbao où plus que sa mort, son enterrement mouvementé a affecté sa famille et ses amis. Parcours d’un combattant mort du Coronavirus à seulement 40 ans.
Médina Fass Mbao n’en revient pas. Ce quartier de la lointaine banlieue dakaroise ne s’est pas relevé du décès brutal de son fils Moustapha Guèye, garçon au commerce facile, boute-en-train et féru de lutte. Il ne «digère» ni la cause de sa mort qu’il continue de contester – il a été diagnostiqué post-mortem positif au Covid – ni les péripéties de son enterrement mouvementé aux cimetières de Diamagueune-Foirail. Au domicile de Moustapha Guèye, les témoignages sont une épreuve pour la famille, qui préfère purger «ce traitement haineux qui (la) marquera à vie». Ce n’est qu’après de longues hésitations que le jeune frère du défunt commerçant a finalement accepté d’ouvrir l’album souvenir de Moustapha Guèye. «Homme d’une générosité, amoureux du risque», campe-t-il, d’emblée.
«Marchand ambulant, malgré les moqueries de ses camarades»
Baptisé du nom de Serigne Modou Moustapha Mbacké, premier Khalife de Bamba (confrérie mouride), le défunt commerçant a, comme la plupart des enfants de son âge, fréquenté les daaras installés en banlieue jusqu’à l’appel de l’école française. A l’époque, sa famille établie à «Tally Mame Diarra» traversait des moments difficiles. A chaque fois qu’il quittait l’école pour retourner à la maison, comme une gifle, la dure réalité de sa famille se présentait toute nue à ses yeux. Pourtant, cela n’a pas semblé beaucoup affecté le cursus scolaire du jeune apprenant qui s’est bien débrouillé pendant son cycle primaire, décrochant chaque année de bonnes moyennes, sans compter «les prix et autres récompenses» offerts par son établissement scolaire. Un cycle primaire qu’il a «traversé» d’un trait, passant régulièrement en classe supérieure avant de se retrouver, six ans plus tard, en classe de Cm2.
«C’était en 1992.» Mais après avoir réussi avec brio l’Entrée en Sixième, Moustapha surprend sa famille en leur annonçant sa décision de renoncer à ses études. Les remontrances de ses parents n’y feront rien. Le garçon décide de plonger dans le monde des affaires. «Il était un jeune ambulant parcourant les rues de la banlieue, malgré les moqueries de ses jeunes camarades, tous arborant des tenues de nouveaux collégiens. Il a un temps travaillé à Touba Gaz, mais il est vite revenu au commerce, sa passion», se rappelle Mamadou Lamine Guèye, jeune frère du défunt. Sa famille découvre, quelques années plus tard, que le garçon avait fait le bon choix. Au début de l’année 2000, 8 ans après son choix de se lancer dans le commerce, ses affaires prospèrent. De marchand ambulant, il subit une mue et possède désormais un local où il expose ses marchandises. Impactée par la construction d’une nouvelle route à «Tally Mame Diarra», sa famille migre et s’établit de l’autre côté de la commune, à Médina-Fass-Mbao où les conditions de vie deviennent bien meilleures. Il se marie et, deux ans plus tard, accueille dans son foyer un bébé, son fils aîné âgé aujourd’hui de 18 ans et qui vit avec son grand-père. Les conditions changent l’alimentation également.
Fervent supporter de Moustpha Guèye, second «Tigre» de Fass
A 22 ans et passionné de lutte, il est fasciné par les prouesses du second «Tigre» de Fass après Mbaye Guèye. «Les combats de Moustapha Guèye, il les vivait intensément, cela est connu dans la famille et dans le quartier», témoigne son frère. Hélas sa vie va subitement basculer. Ses conditions qui se sont bien améliorées ayant impacté positivement sur son alimentation, il va, sans s’en rendre compte, favoriser l’installation d’une maladie sournoise : le diabète. Et lorsqu’il le découvre, c’était bien trop tard, «la maladie du sucre» s’était bien installée. Pourtant il va, malgré tout, garder son air jovial, couvant sa famille de quatre enfants (deux garçons et deux filles). Malgré sa réussite, il reste dans la maison familiale, ne laissant rien apparaître de sa maladie. «Nous tous savions qu’il était malade. Il se soignait, mais n’en parlait presque jamais», témoigne Abdou Samath Diouf, ami de la famille et présent dès les premières heures de l’hospitalisation du commerçant.
Rongé par le diabète, Moustapha a tenu, malgré tout, son commerce jusqu’à la deuxième décade du Ramadan de cette année 2020. «Il était physiquement très affaibli. Il participait aux ‘’Nafilas’’ (prières surérogatoires) avec la famille dans la cour de la maison, mais on sentait qu’il était affecté par sa maladie», confie son frère. Trois jours avant la fête de la Korité, tout s’écroule pour Moustapha qui constate impuissant la forte dégradation de sa santé. Ses forces l’abandonnent «sa glycémie grimpe à 2,5 grammes de sucre par litre de sang». Evacué tour à tour à l’hôpital ‘KHadim Rassoul’ de Sicap-Mbao et à la Garnison Médicale de Thiaroye, il atterrit, le lundi 25 mai 2020, à l’hôpital de Pikine où il rend l’âme quelques heures plus tard. Une mort dans un contexte de forte suspicion où tous les individus décédés sont soumis aux tests de détection du Covid-19. Des tests qui ont révélé que le défunt commerçant, hospitalisé pour une maladie chronique, avait également contracté le Covid-19. Ce que continue de contester sa famille.
ALASSANE HANNE
Sa famille encore sous le choc
La famille de Moustapha Guèye a décidé de se battre. Vingt-quatre heures après la mort du commerçant, elle a voulu, hier jeudi, faire face à la presse. Mais la rencontre a été interrompue par la Police locale qui a embarqué le porte-parole de la famille Abdou Samath Diouf. Il sera rejoint dans les locaux de la Police par le père du défunt et tous les deux ont fait face à un enquêteur pendant près d’une heure. Dans les locaux de la Police, la famille, par la voix de leur porte-parole, a expliqué dans les détails comment le commerçant Moustapha Guèye, âgé de 40 ans, a été tour à tour admis dans deux structures sanitaires avant d’être acheminé en urgence à l’hôpital de Pikine, après que sa glycémie a enregistré une brusque hausse. Sur son enterrement qui a été perturbé par un groupe de jeunes qui n’ont pas hésité à blesser des éléments de la Croix-Rouge, la famille du défunt a informé que «le pire allait se produire», n’eût été la sagesse des parents du défunt.
«Moustapha Guèye a été contaminé à l’hôpital»
En effet, alors que des amis du commerçant Moustapha Guèye attendaient tranquillement l’arrivée du corps pour l’accompagner à sa dernière demeure, les parents du défunt ont, d’un commun accord avec le service sanitaire et médical, choisi de l’acheminer directement et discrètement aux cimetières de Diamagueune-Foirail. «Si ses amis avaient pris part à l’enterrement, ils n’allaient pas assister aux jets de pierres sans réagir. Et là, on allait directement vers des affrontements», apprend le porte-parole de la famille. De même, on souffle que les sapeurs-pompiers avaient réclamé des garanties quant à leur sécurité, avant de procéder à la conduite du défunt vers les cimetières. Les soldats du feu avaient toujours en mémoire l’enterrement très agité d’un individu suspecté de mort du Covid-19 qui s’est déroulé 24H plus tôt dans la commune de Malika. A Diamagueune/Sicap-Mbao, on souffle «qu’un individu qui aurait participé à la perturbation de l’enterrement du défunt commerçant a été arrêté».
Concernant la contamination au Covid-19 du défunt commerçant, sa famille est formelle : «Moustapha Guèye a été contaminé à l’hôpital.» Ses proches sont convaincus qu’à son arrivée à l’hôpital de Pikine, le défunt ne souffrait que de deux maladies qu’il traîne depuis une vingtaine d’années : «L’asthme et le diabète. Ce n’est qu’après sa mort que les tests post-mortem effectués ont signalé la présence du Coronavirus chez le défunt commerçant. A preuve, aucun membre de sa famille n’a été jusqu’ici placé en quarantaine.»