Quand, le 15 mai 2018, nous nous quittions, Professeurs Buuba Diop, Thierno Diop, Abdourahmane Ngaidé, Dr Abdoulaye Diallo et moi, nous devions finaliser la forte décision retenue au terme de notre Table ronde, «Hommage à Amady Aly Dieng». Il était précisément question d’organiser un colloque consacré à la vie et l’œuvre de notre illustre compatriote. Les moyens ayant fait défaut en dépit de notre détermination, d’une part, et, soucieux, d’autre part, de tenir un banquet à la dimension de l’homme, nous avions opté de prendre le temps qu’il faut pour assurer un franc succès à ce rendez-vous.
Quand, le 15 mai 2018, nous nous quittions, Professeurs Buuba Diop, Thierno Diop, Abdourahmane Ngaidé, Dr Abdoulaye Diallo et moi, nous devions finaliser la forte décision retenue au terme de notre Table ronde, « Hommage à Amady Aly Dieng ». Il était précisément question d’organiser un colloque consacré à la vie et l’œuvre de notre illustre compatriote. Les moyens ayant fait défaut en dépit de notre détermination, d’une part, et, soucieux, d’autre part, de tenir un banquet à la dimension de l’homme, nous avions opté de prendre le temps qu’il faut pour assurer un franc succès à ce rendez-vous. Dans cet esprit, l’idée retenue, pour ce 13 mai 2020, était d’organiser une rencontre largement ouverte à des experts sur des questions d’ordre économique.
Le Doyen Buuba Diop avait initié des contacts des plus prometteurs quand vint avec une célérité inouïe… le coronavirus. Ce minuscule mais si dévastateur virus a pu certes venir à bout de notre volonté d’une rencontre physique, cependant, s’avère-t-il inefficace pour nous empêcher de réfléchir, encore moins de penser à nos illustres disparus au nombre desquels, évidemment, Amady Aly Dieng.
De l’homme, l’on a souvent retenu ce qui semblait le plus frappant, voire spectaculaire : le nombre de livres lus, les innombrables compte-rendu de lecture mis gracieusement à la disposition du public, le fait d’assister à n’importe quelle rencontre intellectuelle, fut-elle la soutenance d’un « petit » mémoire de maitrise ! Et dans ce lot, cet acte, à notre avis, inédit dans notre pays : le don de 1500 ouvrages tirés de sa bibliothèque personnelle à la Bibliothèque Centrale de l’Université Cheick Anta Diop !
Toutefois, ces faits, qui ont leur importance, risquent d’être noyés dans l’anecdotique dès l’instant où l’on perd de vue leur fondement qui les intègre dans une remarquable cohérence. Ce socle est son militantisme dont la vérité est perceptible dans cet effort continu pour rester en phase avec sa conviction selon laquelle la conquête de la liberté et de la justice sociale est impensable sans l’acquisition du savoir. «Partant, écrivions-nous en 2015, il s’intéresse à tous les continents du savoir, non sans faire voler d’un geste impérial les frontières artificielles malencontreusement mises en place par l’académisme réducteur. Dans la même dynamique que ses contradicteurs – mais jamais ennemis- comme Senghor et Cheikh Anta Diop, il milite pour l’interdisciplinarité. Comme eux, il taquine avec bonheur la théorie de la connaissance, en allant parfois beaucoup plus loin que les philosophes de formation ».
Dans cette quête du savoir, parallèlement à la détermination de plonger dans la lecture, l’esprit crique apparait comme un atout incontournable. Il en était d’autant plus conscient qu’il était persuadé que la configuration des sociétés africaines n’a pas toujours encouragé l’esprit de libre examen et que l’hégémonisme est prêt à nous servir toutes les camelotes « gnoséologiques » pour se perpétuer. Sous ce rapport, il a la même préoccupation que le philosophe camerounais Marcien Towa qui aurait commis « le crime » d’’avoir affirmé que l’Europe a vaincu l’Afrique par le … savoir.
Tel est aussi l’esprit qui a animé l’illustre Cheikh Anta Diop quand il mettait en demeure les Africains de s’armer de sciences jusqu’aux-aux dents ! C’est au nom de cette exigence militante qu’il a développé l’esprit critique à un degré tel que, pour parler comme Pr Abdoulaye Elimne Kane, l’on avait l’impression qu’il agaçait. Et comme pour reprendre le concept au bond, Lilian Kesteloot renchérit parce qu’il avait surtout « horreur du mimétisme, des excès de louange ».
Et nous avons tous en mémoire, sans doute aujourd’hui plus qu’hier, cette sérieuse mise en garde de l’auteur des Damnés de la terre : « L’Afrique peut tout réussir à condition de ne pas singer l’Europe.» Ce souci permanent de nous inviter à rester en éveil, avec une rigueur qui lui fait courir le risque d’être pris pour quelqu’un qui nous empêche de tourner rond, a inspiré à Mamoussé Diagne cette comparaison de notre compatriote avec Socrate : «Non pas, écrit-il dans son hommage., une référence doctrinale, mais une attitude intellectuelle, une «fonction» : celle de nous plonger dans l’embarras face à nos «vérités» furtives, de nous rendre à chaque moment moins assurés dans nos certitudes, moins douillettement installés dans nos somnolences. Dès qu’on le croisait dans une discussion, surgissait insidieusement la question : «Et si je n’avais pas raison ?» «Moins assurés dans nos certitudes, moins douillettement installés dans nos somnolences» ?
Comme si cet hommage était écrit aujourd’hui, confrontés que nous sommes nous tous, aux effets ravageurs du coronavirus ! Mais, ce contexte des plus singuliers, qui donne fraicheur à l’hommage du philosophe Mamoussé Diagne, atteste aussi, par ricochet, de la légitimité, de la pérennité et de la pertinence du combat mené, du lycée à son lit de malade, par Amady Aly Dieng : faire prévaloir, en tout temps et en tout lieu, l’esprit de libre examen ! Aussi le corona virus, en nous obligeant à décliner notre affection et nos compassions selon d’autres modalités, n’a pu en aucune manière nous empêcher de rendre hommage à Amady Aly Dieng.
Au contraire, par un confinement des plus féconds, nous allons, dans la solitude de nos demeures, dans un même élan, avec sa famille, ses amis et ses lecteurs commémorer l’an 5 de son rappel à Dieu.
Confinement extrêmement favorable à la relecture non seulement de ses propres livres, mais des ouvrages qui lui ont été consacrés dont notamment les deux d’Abdourahmane Ngaidé. Bien plus, nous penserons aussi à ceux qui, hier seulement, étaient avec nous pour nous évertuer ensemble, dans la même ferveur intellectuelle, à rester dans la réflexion Nous pensons notamment aux Professeurs Aminata Diaw Cissé, Lilian Kesteloot et Boubacar Ly.
Puissions-nous avoir assez d’énergie pour protéger nos mémoires si éprouvées contre l’oubli. En nous rappelant d’eux, nous n’aurions pas seulement été reconnaissants, nous nous aurions aussi prouvé que nous sommes déterminés à relever le défi fondamental que nous avons eu en partage avec nos disparus : rester dans la réflexion !
* PRÉSIDENT DE LA SECTION SÉNÉGALAISE DE LA COMMUNAUTÉ AFRICAINE DE CULTURE (CACSEN)