Le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, l’un des 4 envoyés spéciaux de l'Union Africaine pour la mobilisation de fonds en faveur des Etats du continent dans la lutte contre le coronavirus, était l'invité de RFI ce jeudi 16 avril 2020. Dans cet entretien, il se prononce sur le moratoire accordé par le G20 aux pays africains.
Tidjane Thiam, après la décision du G20 finances, quelle est votre réaction ?
Tidjane Thiam : Je me réjouis, c’est une première étape. Comme vous le savez, nous avons insisté pour qu’une aide exceptionnelle soit dégagée en faveur de l’Afrique. Nous sommes face à une crise absolument exceptionnelle. Et partout dans le monde, des mesures exceptionnelles ont été prises. Donc nous avons souhaité, depuis le début de la crise, que des mesures exceptionnelles soient également prises en faveur de l’Afrique. Et ce moratoire qui vient d’être approuvé par le G20 va apporter aux États africains, au moins dans un premier temps, les moyens d’agir rapidement et efficacement, on l’espère, contre la pandémie.
C’est un moratoire sur le remboursement du capital ou sur le remboursement des intérêts de la dette ?
L’idée c’est le principal et les intérêts. Parce qu’en fait, d’où est venue l’idée d’un moratoire ? Si, par une opération, on arrivait à suspendre ces paiements-là, les gouvernements auraient immédiatement des ressources sur place qu’ils pourraient utiliser pour lutter contre la maladie. C’est une idée très puissante et tout le monde voit, maintenant, que c’est la manière la plus rapide de mettre de l’argent immédiatement sur le terrain pour agir au profit des populations, plutôt que d’attendre des décaissements qui, dans le meilleur des cas, mettront plusieurs semaines à arriver dans les différents pays.
Cela représente-t-elle cette somme?
C’est difficile à chiffrer, mais disons qu’en gros on aurait dû payer cette année quelque chose comme 44 milliards d’intérêts et une grosse partie va être reportée. Ce sont des sommes très significatives et à la mesure du choc économique que subissent les économies africaines.
Sur les 44 milliards que les pays débiteurs auraient à payer en cette année 2020, ils feraient l’économie de 12 milliards. Vous confirmez ce chiffre ?
Je ne connais pas ce chiffre, mais je pense que l’économie sera beaucoup plus importante que 12 milliards. C’est vraiment très significatif. Et surtout, encore une fois, ça va aller immédiatement à des dépenses urgentes qui sont indispensables pour maîtriser la pandémie. Du point de vue des spécialistes de santé - j’ai parlé à quelqu’un comme Tom Frieden, qui a été le patron des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) pendant dix ans -, ce qu’ils m’ont tous expliqué, c’est que le confinement est peut-être nécessaire, mais que vraiment la solution c’est de tester. Parce que, malheureusement, l’appareil hospitalier n’a pas la capacité de traiter un grand nombre de malades. Ce qu’il faut faire à tout prix, c’est éviter l’augmentation très forte du nombre de malades. Donc, il faut tester, dépister, identifier les personnes qui ont été en contact, isoler et traiter.
Première réaction de la Plateforme d’ONG dette et développement : « Ces dettes ne sont pas annulées, du coup les remboursements attendus en 2020 seront toujours dus en 2021. Ils seront même majorés des intérêts accumulés sur la période, et la dette, l’année prochaine, sera d’autant plus insoutenable ».
C’est exact, mais nous étions face à une crise urgente. Tous les jours, il y a des gens qui meurent. Dans une phase aigüe du coronavirus, deux jours d’attente, c’est un doublement du nombre total de morts. Donc, il y a un sentiment d’urgence depuis qu’on a commencé ce travail, on travaille vraiment d’arrache-pied. Donc, il est clair qu’il s’agit d’un moratoire, mais cela nous laisse le temps de prendre des mesures plus permanentes et de traiter, le cas échéant, la question de la dette et d’avoir des restructurations là où elles sont nécessaires. Mais, comme disait quelqu’un que je connais, « l’essentiel dans la vie est quand même d’abord de ne point mourir ». Donc là, on avait vraiment une urgence absolue et le seul moyen d’y répondre n’a pas été facile - c’était vraiment une campagne intense -, c’était d’obtenir des pays créanciers qu’ils suspendent le paiement et le service de la dette.
Cette campagne intense est menée, en effet, par le Sud-africain Cyril Ramaphosa et par vous, les quatre émissaires de l’Union africaine que vous êtes. Et comme les premiers créanciers sont chinois, est-ce que vous avez fait déjà une démarche particulière auprès de Pékin ?
Clairement, la Chine est devenue, avec l’expansion de son activité en Afrique, un créancier important. Donc évidemment, nous avons un dialogue avec la Chine et les chefs d’État africains aussi ont un dialogue avec la Chine. Donc évidemment, il y a déjà eu des démarches vis-à-vis de la Chine. Ce que nous souhaitons, c’est qu’elle participe à ce mouvement. Vous observez déjà que le G7 a fait aussi un communiqué confirmant l’accord du G20, donc la Chine ne s’est pas opposée à cela. Je suis confiant que la Chine va participer à ce grand mouvement international de solidarité avec l’Afrique.