Pape Diouf n’a jamais gagné de championnat de France, mais Pape Diouf savait parler. Si, depuis son départ de l’OM, il disséminait les bons mots sur les plateaux TV plutôt que dans les vestiaires, il laisse derrière lui autant de souvenirs que de verbes conjugués au subjonctif imparfait... nonobstant ses origines socio-culturelles. Habemus
En arrivant, il avait demandé un café sans sucre. Puis il s’était assis, en attendant que la salle Albert Haddad de la Maison de l’avocat se remplisse doucement. Il y avait là des badauds curieux, des trentenaires en longue robe noire, leurs pères, leurs mères, parfois même leurs femmes, assis dans un amphithéâtre surélevé au-dessus d’une fosse vide. On vient voir la bête : ce 7 novembre 2014, comme le mime Marceau, Serge Gainsbourg, Salvador Dali ou Fabrice Luchini avant lui, Pape Diouf est l’invité d’honneur de la célèbre conférence Berryer, une joute oratoire vieille de 150 ans exceptionnellement délocalisée à Marseille. Les règles du soir sont simples : deux orateurs débattent chacun leur tour d’un thème en rapport avec l’invité reconnu pour son éloquence, avant de voir leur prestation critiquée par un jury de douze avocats, appelés les « Secrétaires » , des surdoués de la raillerie, féroces, méchants, cruels. L’exercice tient du masochisme : c’est à celui du jury qui aura la meilleure saillie humoristique, qu’elle concerne le fond, la forme, le CV ou le physique, et gloire à celui qui ose se présenter seul dans l’arène, l’objectif étant davantage d’en sortir vivant plutôt que grandi.
Les sujets du soir sont les suivants : « Le Pape peut-il changer la donne ? » et « Où t’es, Pape où t’es ? » La soirée s’allonge, les orateurs déclament, les jurys descendent, et Pape, lui, reste silencieux. Il rit peu. Au bout du bout, la salle se tourne vers lui. Les plaidoiries ont duré trois heures. Il se lève, juste aux côtés de Lucas Montagnier, 29 ans à l’époque, avocat au barreau de Marseille et membre des Secrétaires, et prend la parole : « Au lieu de faire la critique des orateurs comme il est coutume de faire, il a presque retourné le concept, explique l’avocat. Il trouvait ça injuste que le jury se mette à critiquer de manière aussi acide ceux qui avaient eu le courage de débattre d'un sujet aussi farfelu. On sentait que ce qu’il voulait, c’est critiquer ceux qui formulaient des critiques. Il avait une présence incontestable. Ce soir-là, il avait marqué tout le monde. Les pères, les mères de famille de membres du jury. » Les témoins de la scène repartiront médusés, Pape Diouf renforcé de son auréole de défenseur des innocents, des audacieux, des opprimés. Le tout grâce à deux choses : son cerveau, et sa langue.
Homme du mot juste... suite de l'article sur Autre presse