Ayant fait sa thèse sur la chloroquine, l’épidémiologiste Cheikh Saadibou Sokhna, né à Diourbel le 24 septembre 1962, fait partie des proches collaborateurs du directeur de l’IHU de Marseille, Didier Raoult. Pour lui, les Africains ont leur mot à dire dans le débat actuel sur la Covid-19.
Connue pour son équipe de football qui compte de nombreux supporters au Sénégal, Marseille s’est révélée, ces derniers jours, aux Sénégalais par son désormais célèbre IHU (Institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection), dirigé par le médecin atypique, Dr Didier Raoult. Ce que beaucoup ignorent encore, c’est que le savant français, en plus d’être né au Sénégal, compte parmi ses éminents collaborateurs des Sénégalais bon teint. Parmi eux, il y a le paludologue Dr Cheikh Saadibou Sokhna, Chef de l’équipe n°03 à l’IHU de Marseille.
Entre Raoult et Sokhna, c’est une longue histoire. Tout a commencé en 2008. Avec une équipe de chercheurs de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et une autre venue de Londres, l’épidémiologiste sénégalais venait de mener quelques travaux très concluants sur le paludisme. Lesquels ont porté surtout sur la chimio-prévention du paludisme saisonnier chez les enfants. Il explique : ‘’Nous avions donné des médicaments à des enfants pendant la saison où il y avait le plus de palu. Ainsi avions-nous constaté un recul net de la maladie chez ces enfants. C’est suite à la publication de ces résultats que Raoult m’avait contacté pour me recruter dans son équipe. Depuis, on travaille ensemble.’’
Très effacé, humble et disponible, le natif de Diourbel a été, dernièrement, sous les feux de la rampe, grâce à la polémique autour de la ‘’chloroquine’’. Médicament préconisé par le médecin français, né à l’hôpital Principal de Dakar, pour le traitement de la Covid-19.
Complices dans le travail, Sokhna et Raoult sont comme l’eau et le feu. L’un est si bouillant, prêt à en découdre avec ses détracteurs ; l’autre très calme, appelant sans cesse à l’esprit de dépassement. Loin de la controverse, faisant totalement confiance à son ami qu’il fréquente depuis plus d’une décennie maintenant, il témoigne : ‘’Raoult est un scientifique très rigoureux et sérieux. Une véritable bête de travail qui ne rechigne pas à la tâche. Ayant travaillé avec lui sur ces questions, je savais bien de quoi il parlait. Je savais donc que tôt ou tard, tout le monde lui donnera raison.’’
Aussi, pendant que le monde des sciences est en ébullition, le professeur se désole que l’Afrique, comme à l’accoutumée, reste à la marge. Pour lui, les chercheurs du continent ont pourtant un rôle à jouer dans ce débat mondial. D’autant plus, estime-t-il, que la chloroquine n’est pas un médicament inconnu des Africains. Il lance un appel : ‘’C’est vraiment mon combat. Il faut se battre pour participer au débat scientifique. Le problème de la chloroquine, on ne peut pas le laisser aux autres. Je me réjouis d’avoir entendu Pr. Seydi se prononcer dans ce sens. Il faut la tester sur des malades, essayer d’avoir des résultats solides et mettre en place des protocoles pour aider dans la prise en charge des malades et dans l’avancée de la science.’’
Par ses productions scientifiques énormes, Cheikh Saadibou Sokhna fait partie des chercheurs les plus prolifiques au Sénégal, voire en Afrique. Dans sa besace, il ne totalise pas moins de 200 articles indexes, 2 directions d’ouvrage et 12 chapitres d’ouvrage. Grâce à ses nombreuses publications, il est classé premier par la plateforme américaine Expertscape en termes de publications scientifiques, ces dix dernières années au Sénégal, dans le domaine biomédical.
Directeur de Recherche à l’Institut de recherches pour le développement (IRD), dans l’unité Vitrome (Vecteurs infections tropicales et méditerranéennes), responsable des Observatoires populations, santé et environnement de l’IRD au Sénégal et spécialiste des suivis de cohortes et des essais cliniques, l’enfant du Baol accorde beaucoup d’importance à la recherche. Depuis près de 30 ans, il conduit au Sénégal des travaux sur le paludisme ainsi que sur la chloroquine. Dans ce cadre, il a pu contribuer, de façon significative, aux avancées notoires dans la lutte contre le palu. Contrairement à ceux qui soutiennent que la chloroquine a été abandonnée à cause de ses effets indésirables, Cheikh Sokna signale que c’était plutôt à cause de sa perte d’efficacité. Dans la même veine, ses équipes avaient aussi effectué des recherches dans le cadre de rendre plus efficace l’usage des moustiquaires imprégnées. Docteur Sokhna et ses collaborateurs ont également beaucoup œuvré sur la compréhension du paludisme, surtout chez les femmes enceintes et les nourrissons.
Ainsi, si la létalité de cette maladie est passée de 30 à 3 %, voire 1 %, le responsable à l’IRD y a apporté sa pierre à l’édifice. Avec ses collaborateurs, Cheikh Sokhna a pu aussi diriger des travaux très bénéfiques consistant à déceler les autres causes de la fièvre chez les populations sénégalaises. Mieux, l’ami de Raoult et ses collaborateurs ont su installer, dans les villages reculés du Sénégal, de petits laboratoires au chevet du malade appelé Point Of Care, pour aider au diagnostic rapide des maladies fébriles, surtout en zone rurale.
Titulaire d’un diplôme d’HDR, Dr Sokhna a fait presque tout son cursus au Sénégal. Après ses études primaires à Diourbel, son cycle secondaire au lycée Charles de Gaulle, il a fait cap sur l’université Cheikh Anta Diop où il décrocha sa Maîtrise en science et son DEA en biomédical. Il estime que les gouvernants africains doivent fournir plus d’efforts pour booster la recherche dans le continent. ‘’C’est fondamental, pour avoir un système performant. Il faut vraiment arrêter de dormir. Les chercheurs ont également leur rôle à jouer, en développant des partenariats, puisque les moyens sont limités’’.
A l’IHU de Didier Raoult, Cheikh Sokhna encadre une dizaine de chercheurs sénégalais, sans compter d’autres spécialistes qui y effectuent des passages de temps en temps. Pour lui, Didier est un amoureux du Sénégal, qui séjourne dans le pays presque chaque année. ‘’Il raffole du yassa poulet et de la viande sénégalaise. Il aime aussi la manière de s’habiller des femmes sénégalaises. Parfois, il me taquine en me disant que je ne suis pas plus sénégalais que lui, puisqu’il est né à Dakar’’, témoigne l’épidémiologiste. Au-delà de la crise de la Covid-19, il en appelle à un renforcement des moyens pour un système sanitaire plus performant.
‘’S’il y a, dit-il, un enseignement à tirer de cette crise, c’est que dans chaque région, il nous faut au moins un hôpital de référence. Je pense que les autorités vont déployer toutes les ressources possibles pour y parvenir’’.