Le coronavirus gagne du terrain au Sénégal. Depuis l’annonce du cas de Touba, le bilan ne cesse de s’alourdir, de jour en jour. Et malgré la vulgarisation des mesures de prévention, la plupart des citoyens, y compris les autorités, restent encore insensibles aux recommandations et mises en garde de l’OMS.
Se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon ou utiliser une solution hydro-alcoolisée, se couvrir le nez ou la bouche avec un mouchoir pour tousser ou éternuer, se couvrir le nez avec un masque, éviter le contact des mains, etc. Ces recommandations de l’Organisation internationale de la santé (OMS) pour se protéger de la Covid-19 font le tour des médias et des réseaux sociaux pour sensibiliser les populations. Beaucoup de citoyens en ont même fait des statuts WhatsApp pour que nul n’en ignore.
Cependant, la plupart des Sénégalais restent totalement insensibles au respect des normes minimes d’hygiène.
A Dakar, presque personne ne tient compte de ces recommandations, y compris les autorités. En effet, ce jeudi, à la cérémonie de rentrée fiscale de la Direction générale des impôts et des domaines (DGID), les deux ministres représentant le gouvernement, Abdoulaye Daouda Diallo et Amadou Hott, ainsi que toutes les autorités présentes à la rencontre, se sont serrés, comme à l’accoutumée, la main pour se saluer. Pire, à la fin de chaque prise de parole d’une autorité, celle-ci fait le tour du présidium pour donner des poignées de main et parfois avec des accolades, sous l’œil des caméras des journalistes.
Sans aucun souci, tous, ministres, chefs religieux et acteurs économiques qui ont pris part à la cérémonie, se serraient la main, se donnaient des accolades dans des éclats de rire, sans aucune protection. Toutes ces autorités semblent avoir rangé aux oubliettes toute la communication gouvernementale sur les mesures de prévention. Et c’est le même comportement que l’on remarque chez les citoyens lambda.
Dernièrement, seul le président de la République, par deux fois et devant les caméras, a refusé de serrer des mains, pour donner l’exemple et prêcher par l’exemple ce qu’il faut faire, dans le contexte actuel.
En effet, malgré l’explosion de nouvelles contaminations à Touba, les Sénégalais, interpellés hier, sont dans l’insouciance complète. Pire, certains citoyens ne croient même pas en l’existence de la maladie dans le pays. Ils pensent que c’est un complot politique pour faire annuler les événements religieux en vue.
Au rond-point Diamalaye, un groupe de taximen et de marchands ambulants discutent en prenant du thé près des vendeuses de repas installées à l’air libre. Plus de 5 personnes, assises sur les bancs, sirotent du thé dans deux tasses servies à tour de rôle. Ayant déjà épuisé leurs marchandises, les dames sont occupées à laver leur vaisselle. Les discussions vont bon train. On rigole, on papote et on se tape dans la main. Interpellé sur le coronavirus, le groupe réfute à l’unanimité l’idée de la gravité de la maladie. Pourtant, ils disent tous être au courant des mesures préventives, mais personne d’entre eux n’a changé de comportement. Dans l’insouciance totale, ils minimisent la gravité de l’épidémie.
Téléphone scotché à l’oreille, l’une des vendeuses lance à la cantonade. ‘’On vient d’annoncer 11 nouveaux cas à Touba’’. Et là, c’est apparemment le sujet qui fâche.
Les événements religieux, le sujet qui fâche
‘’C’est un complot politique pour interdire aux gens de célébrer le Kazu Rajab. Personnellement, je viens du Magal de Porokhane et je vais à Touba, retourner pour le Kazu Rajab. S’ils veulent annuler quelque chose, ils n’ont qu’à attendre la tenue de ces événements pour le faire’’, martèle aussitôt l’autre vendeuse. Elle se nomme Khady Mbaye. Furieuse, elle croit dur comme fer que la présence du coronavirus au Sénégal est une invention des autorités pour interdire les manifestations religieuses en vue. Comme elle, la majeure partie du groupe pense que la Covid-19 ne doit pas pousser les autorités à annuler ces événements. Que ce soit le Kazu Rajab ou l’Appel des layènes, ici, personne ne veut entendre parler de report ou d’annulation. Et chacun y va de sa diatribe.
‘’Le Sénégal a déjà connu la peste et cette maladie est pire que le coronavirus. Mais on était parvenu à la maîtriser, grâce aux prières de nos chefs religieux, car à l’époque, la médecine n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Le Sénégal est différent des autres pays. On a eu la chance d’avoir d’éminents chefs religieux. Notre guide Seydina Limamoulaye a repoussé la mer pour élire domicile à Yoff. Ce n’est pas donc le coronavirus qui peut nous effrayer aujourd’hui. En tout cas, à Yoff et à Cambérène, personne ne peut nous interdire de célébrer l’Appel’’, tranche, catégorique, Awa Niang, habitante de Yoff. Elle refuse toute idée d’annulation de l’Appel des layènes prévu le 25 mars prochain. Et ce, même si la décision venait des guides religieux.
Cette insensibilité à la situation n’est pas propre aux citoyens sénégalais. Même certains étrangers résidents au pays sont aussi dans le déni. Presque personne ne mesure l’ampleur du danger qui guette, avec la multiplication des cas à Touba. Hicham Ber et son ami, tous les deux marocains résidents à la cité Djily Mbaye de Yoff depuis 2014, ont le même sentiment que la plupart des nationaux rencontrés. Ils s’en fichent presque des mesures sanitaires. Ils indiquent que le Sénégal est encore à l’abri et que, de toute façon, considèrent-ils, avec le climat chaud du pays, le virus ne pourra se propager.
‘’J’essaie de respecter les mesures de prévention, mais je n’ai pas changé de comportement, car il n’y a aucun risque, pour le moment. Il y a seulement quelques cas ; la maladie n’est encore très répandue. Les gens doivent aller travailler et continuer à vivre normalement. De toute façon, la maladie ne pourra pas se développer ici, puisqu’il fait chaud. Ce sont les meilleurs médecins et spécialistes qui ont dit que la maladie ne peut se développer pas dans les pays à forte température’’, déclarent-ils en toute assurance. Ignorant que l’Iran est au bord du gouffre, à cause de la maladie.
‘’Les gens doivent se ressaisir et respecter les mesures de prévention’’
Cependant, certains citoyens essayent, tant bien que mal, de respecter les mesures sanitaires. C’est le cas de ce vieux taximan assis à l’écart du groupe de vendeurs. La soixantaine révolue, Mamadou Guèye dit lui faire tout son possible pour respecter les recommandations de l’OMS pour se protéger de la Covid-19. ‘’Je suis sorti récemment de l’hôpital où j’ai séjourné durant 6 mois. C’est pourquoi je respecte toutes les mesures de prévention, sauf les contacts avec la main. Chez moi, je peux refuser la main à ma famille, mais ici, je ne peux pas le faire avec mes collègues, car les gens n’ont pas la même compréhension. Certains peuvent se sentir vexés, quand on refuse de leur donner la main’’, indique-t-il.
Ce jeune assis à côté du vieux Guèye est aussi d’avis qu’il faut changer les comportements pour se prévenir de la maladie. Chapelet à la main, il se présente comme un élève sortant de l’école coranique. Il est venu de Louga pour passer quelques jours à Dakar et il dit respecter scrupuleusement toutes les mesures de prévention, à l’exception, lui aussi, des contacts de main. À l’instar de la plupart des interlocuteurs, il reconnaît que ce n’est pas facile de décliner une main tendue pour salutation. ‘’Je pense qu’il faut respecter les recommandations des autorités de la santé, surtout en ce qui concerne les règles d’hygiène. L’Italie est passée d’un cas à une centaine, en l’espace de quelques jours seulement.
La Chine idem. Alors que ces pays sont mille fois plus équipés en matière de santé que le Sénégal. Les gens doivent donc se ressaisir et respecter les mesures de prévention, surtout les règles d’hygiène, car la propreté est une marque de foi, c’est une recommandation divine. Les autorités aussi doivent commencer par interdire les vols provenant des pays les plus touchés. J’en suis sûr qu’ensuite, les chefs religieux vont annuler, à leur tour, les événements, parce que c’est le Prophète lui-même qui a recommandé que, dans de pareilles situations, de mettre les gens en quarantaine’’, argue-t-il.
Comme lui, cet étudiant converti en livreur est aussi d’avis qu’il faut respecter les mesures de prévention. Mais cela ne doit pas, estime-t-il, pousser les gens à la panique. ‘’Il ne faut certes pas paniquer, mais on ne doit pas aussi rester insensible face à la propension du coronavirus. C’est comme en lutte, si tu affrontes un adversaire avec souci ou crainte, il risque facilement de te terrasser. C’est la même chose avec la maladie ; si nous avons trop peur d’elle, elle peut nous abattre facilement. Il faut juste respecter les mesures de précaution et garder la conscience tranquille pour la vaincre’’, pense-t-il.