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Dr Abdourahmane Diouf, Docteur en Droit International Economique – Expert sur les échanges commerciaux internationaux: “Comment le Coronavirus va ralentir notre économie“
Publié le mercredi 11 mars 2020  |  L'Observateur
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© aDakar.com par DF
Nécrologie - Décès de Ameth Amar : La levée du corps a eu lieu à la mosquée du Point E
Dakar, le 26 juillet 2019 - La levée du corps de feu Ameth Amar a eu lieu, ce vendredi 26 juillet 2019, à la Grande mosquée du Point E. Plusieurs personnalités politiques et du milieu des affaires y ont assisté. Photo: Abdourahmane Diouf
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Dr en Droit International Economique, Abdourahmane Diouf fait dans cet entretien une analyse des possibles impacts commerciaux du Coronavirus sur l’économie mondiale et nationale. Cette situation de crise engendrée par cette épidémie doit être, pense-t-il, un excellent prétexte pour le Sénégal, de réfléchir sur de nouvelles orientations économiques.

Sur le plan économique quelles sont les leçons à tirer de cette épidémie du Coronavirus ?

Le Coronavirus est une crise sanitaire grave. Un malus absolu. Un malheur qui tombe sur l’humanité et dont on ne peut pas se réjouir. Il serait dès lors indécent de l’entrevoir en termes d’opportunités. Mais sa dimension mondiale assortie à des réalités locales palpables peut être le prétexte à une réflexion stratégique qui, à défaut d’appliquer des solutions immédiates, nous prépare à l’anticipation de solutions structurelles avant-gardistes. Il faut se remettre dans l’ambiance de la crise économique mondiale de 2008. Nos pays africains qui se ravitaillaient en riz en Asie restaient dans de bonnes dispositions financières d’acheter alors que le fournisseur habituel préférait renflouer ses stocks pour prévenir une longue crise qui l’obligerait à puiser dans ses réserves. Nous nous sommes retrouvés avec de l’argent entre les mains sans accès à la marchandise. Parce que nous avions misé sur la sécurité plutôt que la souveraineté alimentaire. C’est une crise qui devait être le prétexte à une réflexion stratégique sur nos habitudes alimentaires, sur notre politique agricole et notre stratégie commerciale. Le cas du Coronavirus se présente sous les mêmes auspices. Une crise qui arrive de façon soudaine avec une forte capacité de bousculer les habitudes commerciales sans que nous ayons des solutions de rechange à notre portée. Le problème ici, ce n’est pas la Chine. Le Coronavirus n’est pas une maladie Chinoise. C’est une maladie découverte en Chine et qui aurait pu être découverte ailleurs dans le monde. Si la crise perdure, nos exportations et nos importations pourraient se déstructurer en fonction du niveau de propagation de la maladie dans nos pays fournisseurs et dans nos pays clients. Nos besoins d’importations en bien de consommation courante sont tels que les mesures de sauvegarde sanitaires prises chez nos partenaires commerciaux auront un impact direct sur notre vie quotidienne. Nous ne nous ravitaillerons plus en fonction de nos besoins, mais en fonction du disponible et à des conditions désavantageuses. Nos besoins d’exportations feront face à un marché limité par les mêmes mesures de sauvegardes sanitaires. L’un dans l’autre, nous sommes conditionnés par des éléments d’extranéité sur lesquels nous n’avons aucune prise et qui structurent, à notre corps défendant, nos politiques économiques et commerciales. C’est sur ce terreau qui nous déstabilise et nous vulnérabilise qu’il faut trouver le prétexte de réfléchir à une réorientation stratégique de notre économie. La connexion économique au monde est une évidence à laquelle nous ne pouvons sous soustraire. C’est la loi de l’universalisme commercial. Mais des ajustement internes, national comme régional peuvent s’envisager pour adoucir l’impact local. C’est la loi du situationnisme commercial. Nous devons être universituationnistes pour tirer notre épingle du jeu.

Quelles stratégies vous préconisez ?

Partons de deux faits concrets. D’abord, la grippe aviaire. Elle a frappé le monde au milieu des années 2000. Des mesures de restrictions au commerce ont été prises par beaucoup de pays dont le Sénégal. En l’occurrence, il s’agissait de prohibitions d’importations. Ce sont des mesures en principe conjoncturelles qui se sont finalement installées dans la durée. La crise sanitaire a été un prétexte pour initier une réflexion qui a abouti à l’opportunité de la politique commerciale de protection de notre filière avicole pour des motifs de préservation d’une branche de production naissante. Le résultat est encore visible et les gains économiques très importants.
Cette année, la plus grande production arachidière de notre pays a été vendue à la Chine, au profit de nos paysans et au détriment de nos huiliers. En rétrospective, la crise sanitaire du Coronavirus aurait anéanti l’accès au marché chinois. En perspective, elle aurait profité aux huiliers, par défaut de stratégie commerciale alternative.
Le point commun entre les branches avicole et arachidière, en situation de crise, est le constat d’une absence de stratégie géocommerciale autocentrée qui amortit les chocs mondiaux sans nous plonger dans des situations de vulnérabilité chronique.
Il nous faut, dans tous les domaines, diversifier nos partenariats pour éviter d’être dans des situations de mono-clients, comme c’est le cas avec la Chine, sur la filière arachidière. Il nous faut faire la cartographie de nos importations et travailler sur deux stratégies spécifiques. La première est la substitution graduelle des importations de sorte à arriver à une dépendance moins systématique vis-à-vis de l’extérieur. Il nous faudra anticiper sur les besoins de consommation courante en situation de sous production locale et créer les conditions d’une souveraineté dans les secteurs identifiés. La seconde consiste en un changement dans nos habitudes de consommation, en recourant à des produits de substitution qui ne sont pas des produits identiques, mais des produits pouvant jouer les mêmes rôles économiques, social ou alimentaire. La crise sera dès lors une opportunité de juguler les effets néfastes possibles d’une crise similaire en perspectives. C’est de cette façon que les nations grandissent, en transformant les risques en opportunités durables.

Les conséquences économiques liées à cette épidémie mondiale pourront être ressenties par tous les pays ?

Le Coronavirus est une maladie qui a un impact sur l’économie globale. C’est une évidence. Notre pays ne peut pas vivre en autarcie. Si la crise persiste, nous allons faire face à des problèmes d’approvisionnement pour nos PME/PMI dont les intrants essentiels proviennent de l’extérieur. Les chaines de valeurs mondiales vont être rompues à un moment, au grand dam des pays vulnérables comme les nôtres. Notre consommation intérieure qui s’appuie principalement sur des produits importés va baisser et ralentir notre économie. Notre secteur privé, en statut de sous-traitant des grandes multinationales va subir les contrecoups de la baisse de performance de leurs donneurs d’ordre. La libre circulation des personnes et la lenteur de la délivrance des marchandises vont mettre à l’arrêt beaucoup de nos chantiers à forte composante d’éléments d’extranéité ; ce qui est une bonne opportunité de réfléchir sur la nécessité de confiner certains projets structurants au secteur privé national. Le tout aboutit à une économie mondiale grippée avec des secousses appuyées dans des pays comme le nôtre sans paravent solide.
Mais la mondialisation n’a jamais été autant globale au point de nier les besoins économiques spécifiques des nations et de ne pas aménager des flexibilités possibles. Autant notre vulnérabilité est évidente, autant il nous est nécessaire, au-delà de la dimension purement sanitaire de cette crise, de nous placer dans une logique géocommerciale audacieuse, anticipatrice, volontariste qui nous donne les outils de mise en place d’une économie certes ouverte sur le monde, mais autocentrée sur les besoins fondamentaux de base.

Le Sénégal peut-il réussir son autonomisation dans un avenir proche ?

Cela dépend de plusieurs facteurs. Le Sénégal a le potentiel pour réussir sur plusieurs tableaux. La production locale de biens de consommation, en quantité et en qualité suppose une volonté politique et des moyens logistiques. Aujourd’hui, notre balance commerciale est déficitaire et beaucoup de politiques sectorielles ne sont pas orientées dans le sens d’un traitement préférentiel pour les acteurs locaux. Cela nous rend très vulnérable et à la merci des politiques commerciales d’autres nations. Il nous faut une économie forte qui se régulerait entre trois acteurs. Un secteur privé fort qui doit tirer des gains de projets structurants de l’Etat et réinvestir les dividendes dans le pays. L’accès au marché national et le réinvestissement sont les deux éléments d’un binôme qui préserve le secteur privé national et garantit à l’Etat un bilan économique crédible. L’Etat, qui doit assurer la régulation en toute bienveillance avec son secteur privé national. Et enfin, le contribuable qui doit, par patriotisme économique, consommer prioritairement les produits qui sont fait au Sénégal. Ce faisant, il diminue les gros besoins d’importations qui font de son pays un souk permanent, sans ambition de production locale et de transformation. Tant que ces trois acteurs ne seront pas ensemble, en parfaite synergie, nous ne pourrons pas prétendre à un développement endogène qui efface certaines inégalités. Notre secteur privé n’est pas hégémonique dans son propre pays. Il n’est pas non plus parfait. Mais dans tous les domaines où il montre de la capacité et de la compétence, l’Etat doit lui donner l’opportunité de montrer ce dont il est capable.

Mais est-ce que l’Etat peut compter sur ce secteur privé pour être économiquement autonome ?

Bien sûr. Et la solution est de bâtir l’économie du Sénégal autour du secteur privé national. Et à chaque fois que ce secteur privé a des compétences et des références, l’Etat du Sénégal lui fasse confiance. Ce qui ne signifie pas qu’on vit en autarcie, ce qui ne signifie pas que nous ne sommes pas en interactions avec les autres. Ce qui ne signifie pas que nous ne tendons pas la main à tous ces investisseurs privés qui ont besoin de partenariat pour investir au Sénégal. L’Etat doit avoir un rôle de régulateur. Et quand l’Etat régule l’économie, il est en face du secteur privé national et du secteur privé international. Nous considérons que l’Etat ne peut pas et ne doit pas être neutre. Un Etat doit garantir à son secteur privé national à être dans des grands projets structurants qui lui permettent de dégager de la valeur ajoutée, de la croissance et de la richesse pour réinvestir dans son propre pays. Le secret de la réussite, c’est une articulation de grands projets structurants entre l’Etat et le secteur privé national.

AIDA COUMBA DIOP
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