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«Le barrage éthiopien est une question de souveraineté» (expert)
Publié le vendredi 6 mars 2020  |  Agence de Presse Africaine
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Pape Ibrahima Kane, directeur du Programme de plaidoyer pour l’Union africaine du Bureau régional pour l’Afrique de la Fondation Open Society Initiative for West Africa (OSIWA) analyse pour APA la crise née de la construction en cours sur le Nil du plus grand barrage hydroélectrique en Afrique.

Pourquoi le Nil suscite tant d’intérêt pour l’Ethiopie et l’Egypte ?

Le premier aspect du barrage pour l’Ethiopie est une question de souveraineté.

L’Ethiopie a besoin d’électricité et d’eau pour irriguer beaucoup de terres parce qu’elle doit nourrir sa population surtout qu’elle est la deuxième population africaine après le Nigéria. Le pays fait une population de 110 millions d’habitants, d’après les estimations. Donc il faut la nourrir, produire de l’énergie pour créer la richesse, si l’on sait que l’Ethiopie devient maintenant une banlieue de l’industrie chinoise.

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Autrement dit, le pays a besoin de beaucoup d’électricité pour faire fonctionner les zones économiques spéciales qui ont été créées un peu partout.

En troisième lieu, il y a aussi une dimension symbolique parce que le traité sur lequel s’appuie l’Egypte pour défendre des droits sur le Nil est un traité colonial datant des années 20 qui a été adopté par la puissance coloniale d’alors. C’est l’Angleterre qui dominait à la fois le pays d’où venaient les eaux du Nil, c'est-à-dire l’Ouganda, le Soudan et l’Egypte. C’est pour dire que l’Angleterre avait un pouvoir de déterminer comment l’eau pouvait être distribuée à travers ses trois pays. A l’époque, l’Ethiopie était dirigée par un empereur qui n’était pas assez puissant mais une bonne partie des eaux du Nil blanc viennent des montagnes éthiopiennes et ne pouvaient pas servir l’économie nationale. C’est maintenant que le pays, en raison de l’augmentation de sa population, en raison de ses ambitions économiques et aussi de ses ambitions de puissance, a voulu adopter une stratégie qui comporte une maitrise de l’eau dans le but de produire de l’énergie.

Ce qui se passe, c’est quand l’Ethiopie a commencé à mettre sur la table la question de la maitrise de l’eau du Nil blanc pour que ça puisse aider son économie à décoller, les Égyptiens se sont appuyés sur ce traité et ont pris la mauvaise décision de boycotter les réunions que l’Ethiopie et les autres pays avaient convoquées. Il s’agit notamment du Soudan, du Sud Soudan, de l’Ouganda et de la Tanzanie parce qu’une bonne partie des eaux du Nil viennent du Lac Victoria et donc, cette question intéresse aussi le Kenya.

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L’Egypte n’a pas participé à ces réunions. Les autres pays se sont entendus sur une façon de distribuer la quantité d’eau produite annuellement par le Lac Victoria et les différents affluents du Nil. L’absent a toujours tort. Maintenant se rendant compte que la politique de la chaise vide n’a pas produit ses effets, l’Egypte veut revenir à la table.

Que peut-on attendre de la médiation américaine ?

Ce qui est aussi curieux de la part de l’Egypte, c’est que ces négociations ont commencé sous la présidence égyptienne de l’Union Africaine, au lieu d’utiliser les nombreux mécanismes de cette organisation pour essayer de trouver une solution à cette crise, ils sont allés demander l’intermédiation des Etats-Unis. Et puisque Washington est proche des pays du Moyen-Orient qui essaient aussi d’influencer les discussions pour imposer un peu une pax égyptienne sur la question du barrage éthiopien. Dans une moindre mesure, le Soudan refuse parce qu’il a besoin dans sa partie orientale de l’eau pour ses terres fertiles pour ne pas parler aussi de l’électricité. On sait que depuis la division du pays en deux, le Soudan n’a plus de pétrole donc il a besoin aussi d’électricité et le barrage peut vraiment lui en offrir beaucoup.

L’Egypte aurait-elle commis des erreurs de procédure dans le dossier du Nil ?

Je pense qu’en demandant qu’un arbitre puisse aider les parties à trouver un accord, l’Egypte admet maintenant que c’est la seule solution qui est possible.

Sous le régime de (l’ancien président) Hosni Moubarak, les Egyptiens sont passés à côté. Même s’ils ne devraient pas être d’accord sur le contenu de l’accord en participant à la discussion, ils auraient pu retarder la prise de décision et influencer encore les discussions. Mais en appliquant la politique de chaise, ils ont laissé les autres le soin de déterminer. Je pense qu’il est aujourd’hui difficile pour l’Egypte puisqu’elle est totalement isolée dans cette affaire non seulement parmi les pays qui partagent le Nil, mais même au niveau continental, les gens disent que la période coloniale est terminée.

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L’Egypte n’a pas encore produit le document qui prouve que le Nil va limiter son accès à l’eau. L’histoire joue des tours à ce pays-là. Quand il procédait à la construction du barrage d’Assouan, il n’avait demandé l’avis à personne et tout le monde savait que ce barrage était une manière de capter l’eau… donc l’Egypte serait mal placée pour donner des leçons aux autres.

Faudrait-il craindre une confrontation autre que diplomatique ?

La confrontation militaire est presque exclue à moins que les relations entre l’Erythrée et l’Ethiopie se dégradent parce que l’Erythrée est le seul pion qui peut vraiment dérailler ou aider l’Egypte à mener une guerre. Et puisque c’est loin du territoire égyptien d’autant plus que l’Egypte a menacé, surtout du temps de Meles Zenawi (ancien Premier ministre éthiopien), de détruire le barrage. Ce qui est maintenant impossible d’un point de vue très pratique même si l’Egypte décidait de bombarder parce que le barrage existe réellement. On a commencé à remplir le lac artificiel et personne ne peut imaginer les conséquences d’un tel désastre qui seraient sous la responsabilité de l’Egypte.

DNG/te/APA
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