Le profond ancrage de certaines croyances religieuses ou représentations sociales au Sénégal pourrait constituer un facteur de risque de propagation du coronavirus entré dans le pays depuis lundi dernier.
Au Sénégal, comme dans la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne, où les fréquents événements religieux et sociaux drainent des foules énormes (mariage, baptême, funérailles, prières musulmanes, messes, etc…), les lieux de rencontre apparaissent comme des terreaux fertiles pour la transmission d'agents infectieux tels que celui du Covid-19 (nouveau nom du coronavirus).
Après la confirmation de quatre cas de Covid-19 au Sénégal, des tests sur d’autres suspects sont en cours à l’Institut Pasteur de Dakar (IPD). D’où le risque réel de transmission directe ou indirecte du pathogène.
Khadijatou Dieng, une fervente mouride âgée de 27 ans, compte à tout prix se rendre à Porokhane (plus de 250 kilomètres au sud de Dakar).
« Dieu est Grand. Je crois qu’on ne risque rien en allant à Porokhane. Même si le coronavirus est entré au Sénégal, nous sommes croyants et demandons au Bon Dieu de nous préserver », philosophe la jeune fille, la foi en bandoulière.
Ce haut lieu du mouridisme (confrérie soufie musulmane) accueille ce jeudi des milliers de fidèles à l’occasion de la 69è édition du « Magal » célébrant Mame Diarra Bousso, la mère de Cheikh Ahmadou Bamba, le fondateur de ladite confrérie.
De l’avis du sociologue Abdoukhadre Sanogo, « les Sénégalais sont très attachés à ce genre d’évènements. D’ailleurs, c’est ce qu’ils appellent leur jour dédié. Ils croient que ces cérémonies constituent des moments où l’on peut formuler des prières pour éviter les fléaux » comme le coronavirus.
Une journée de prières s’est tenue ce mercredi à Massalikoul Jinaan (les Itinéraires du Paradis, en arabe), la grande mosquée des Mourides en plein cœur de la capitale sénégalaise.
Pendant ce temps, le Covid-19 poursuit son tour du monde macabre. Plus de 3200 personnes ont péri. Les victimes sont majoritairement recensées en Chine continentale d’où est partie la pandémie en décembre 2019.
Une situation alarmante qui appelle des mesures draconiennes afin de stopper net la maladie. L’une d’elles est d’interdire, autant que faire se peut, les rassemblements. L’Arabie saoudite a arrêté momentanément les entrées sur son territoire pour la Omra (petit pèlerinage). Le Maroc, également atteint, a annulé la 15e édition de son Salon international de l'agriculture (Siam). La Suisse a suspendu son championnat d’élite de football. En Italie, principal foyer européen du virus, des matchs de foot sont joués à huis clos.
« Dans un pays comme le Sénégal où la distance physique entre les gens est très réduite, il y a lieu de prendre des mesures assez fortes et de sensibiliser les gens », recommande Fred Eboko, Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD, France).
Dans le même ordre d’idées, M. Eboko admet que « l’Etat pourrait être amené, après concertation avec les religieux, à annuler des rassemblements en cas de danger imminent de santé publique. Il vaut mieux souffrir du report ou de la réduction en termes de jour d’une manifestation religieuse que de courir le risque d’avoir une véritable hécatombe ».
Outre le Magal de Porokhane, la Ziara générale des Tidjanes à Tivaouone (instaurée depuis 1930), le Daaka de Médina Gounass (retraite spirituelle initiée depuis 1941), la 57è édition annuelle du Kazou Rajab (commémoration de la naissance de Serigne Fallou Mbacké, 2ème khalife général des Mourides) ou encore le 140è Appel des Layènes (depuis 1880) se profilent à l’horizon.
Les autorités sénégalaises ont donc du pain sur la planche. D’autant plus que, « dans nos croyances qui sont le socle des comportements (à risque ou non), il y a l’aspect de banalisation. On considère aussi qu’il y a un certain nombre de choses ne pouvant pas nous arriver parce que nous sommes immunisés grâce aux grands guides religieux ou aux mythes », note M. Sanogo, enseignant-formateur à l’Institut supérieur d'enseignement professionnel (Isep) de Thiès (70 km à l’est de Dakar).
« Les Sénégalais ont du mal à faire la distinction entre la propreté et l’hygiène. Ils sont très propres mais un petit pourcentage d’entre eux sont hygiéniques », analyse M. Sanogo.
Dans une publication datée du 19 février dernier, le site AfricaCheck, dont le crédo est de séparer la réalité de la fiction, a passé à la loupe un article dans lequel on soutient que « le sang africain et la peau noire » sont des facteurs de résistance au coronavirus.
Cité par ce site de fact-checking, Omolade Awodu, professeur d’Hématologie à l’école de médecine de l’Université du Bénin au Nigeria, dit n’avoir « trouvé aucune recherche confirmant » cette thèse.
En Afrique de l’ouest, Ebola a étalé les limites de moult pratiques culturelles. Au plus fort de l’épidémie, les rites funéraires ont favorisé la propagation de la maladie.
« On a beaucoup appris d’Ebola avec notamment la gestion des dépouilles mortelles que les familles approchaient et touchaient. Alors que les morts étaient toujours contagieux », rappelle Fred Eboko.
En moins de deux ans, Ebola a tué plus de 11.000 personnes en Guinée, au Liberia, en Sierra Leone, au Mali et au Nigeria. Le Sénégal a su éviter le pire lorsqu’un jeune guinéen contaminé a pénétré sur son territoire. Mis en quarantaine, le patient a finalement recouvré la santé avant de repartir dans son pays.
Toutes choses qui le poussent à affirmer que si le Covid-19 « entre à fond dans ce pays, ça va être très compliqué » de l’endiguer.