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Amadou Ly, professeur de Littérature africaine: ‘’Cheikh Hamidou Kane a montré le danger de l’ouverture…’’
Publié le vendredi 28 fevrier 2020  |  Enquête Plus
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© aDakar.com par DR
Cheikh Hamidou Kane, ancien ministre, écrivain
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L’Institut français de Dakar a rendu, ce mardi, un vibrant hommage à l’écrivain Cheikh Hamidou Kane. Le professeur de littérature africaine au Département de lettres modernes de la faculté des Lettres et sciences humaines de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Amadou Ly, a fait une présentation de l’œuvre du grand homme. En marge de la rencontre, il est revenu, avec ‘’EnQuête’’, sur la réflexion du romancier sur le choc des cultures. Il a également donné son avis sur le succès de ‘’L’aventure ambiguë’’ et la méconnaissance, par beaucoup, du deuxième roman de M. Kâne, ‘’Les gardiens du temple’’.

On parle beaucoup des œuvres de Cheikh Hamidou Kane. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

‘’L’aventure ambiguë’’ a été reconnu, à la fin du XXe siècle, comme étant l’un des 10 romans les plus importants publiés en Afrique au cours de cette époque, et aussi comme étant l’une des 100 œuvres les plus importantes dans le monde publiées au XXe siècle. C’est vraiment un grand ouvrage, puisque, pour la première fois, Cheikh Hamidou Kane approfondissait ce que les autres écrivains de son temps ont posé. Mais lui, il étudiait ces questions d’un point de vue qui est surtout philosophique. Où allons-nous ? Pourquoi avons-nous vécu telle ou telle chose ? Comment nous comporter les uns vis-à-vis des autres ?

Pour ce qui est du roman ‘’Les gardiens du temple’’, le succès est peut-être moins évident, dans la mesure où ce roman n’a pas connu la diffusion qu’il aurait méritée. Mais il est très important, puisque c’est dans ce deuxième roman que Cheikh Hamidou Kane apporte des réponses claires et nettes à certaines questions qui se sont posées dans ‘’L’aventure ambiguë’’, en particulier celles qui abordent notre rapport avec l’Occident et notre avenir.

Au-delà du faible tirage, qu’est-ce qui explique l’anonymat du deuxième ouvrage de Cheikh Hamidou Kâne ?

‘’Les gardiens du temple’’ est une œuvre sortie dans des conditions un peu particulières. Si elle était sortie quand son auteur a terminé de l’écrire, elle aurait correspondu à l’attente des gens. Je répète qu’elle apportait des réponses aux questions que beaucoup se posaient à l’époque. Mais la publication est survenue trop tard. Cette œuvre est diffusée 34 ans après. Parce que Cheikh Hamidou Kane a dû renoncer à publier ce roman, dans la mesure où Aimé Césaire lui avait demandé de ne pas le sortir, puisqu’à l’époque, il y avait Mamadou Dia qui était en prison et les gens faisaient des démarches pour le faire libérer. Ce roman aurait pu indisposer le pouvoir et peut-être retarder la libération de Mamadou Dia.

Il y a aussi le fait que ‘’L’aventure ambiguë’’ a été publié en France et donc répercuté dans tous les pays de l’ex-colonisation française. Alors qu’un roman publié par les Nouvelles éditions africaines en Côte d’Ivoire ne connait pas le même retentissement, dans la mesure où il n’est pas correctement distribué dans tous les pays francophones et en dehors de l’Afrique. Et il n’y a pas beaucoup de publicité autour de cette œuvre.

Voilà pourquoi ‘’Les gardiens du temple’’, aussi important que soit ce roman, n’a pas connu les mêmes succès que ‘’L’aventure ambiguë’’.

La question du choc des cultures est toujours d’actualité. Qu’est-ce que la nouvelle génération peut ou doit retenir de ces deux œuvres de Cheikh Hamidou Kane par rapport à cette problématique ?

C’est surtout ‘’Les gardiens du temple’’ qui est intéressant. Il nous montre l’importance, pour tout être humain, de vivre sa culture authentique, d’origine. C’est ce que Senghor appelait ‘’enracinement’’, mais en même temps aussi d’accepter qu’on ne peut pas vivre en autarcie, replié sur soi. Il faut accepter les échanges, la rencontre avec l’autre. En parlant d’enracinement et d’ouverture, Cheikh et Senghor avaient un peu la même démarche. Ils parlent exactement de la même chose, mais avec des modalités et des mots différents. Ce qu’il y a d’important là, c’est que les jeunes doivent être conscients de deux choses : la nécessité de connaitre son histoire, savoir où l’on va, et la nécessité de l’unité entre peuples africains, parce que sans cette union, il ne peut pas y avoir de développement. L’Afrique doit être forte, comme le disait Cheikh Anta Diop dans certains de ses ouvrages. Elle a besoin de mettre en commun cette potentialité pour pouvoir se développer, puisque les autres l’ont fait (Etats-Unis, Brésil, Europe). C’est dans les regroupements que l’on prend la force pour pouvoir aller de l’avant. Si nous restons dans nos petits Etats, nous n’irons jamais nulle part.

Pourquoi Samba Diallo, le personnage principal de ‘’L’aventure ambiguë’’, a connu une fin tragique, si c’est lui qui est le symbole de l’ouverture aux autres cultures ?

Cheikh Hamidou Kane a montré le danger qu’il y a à trop s’ouvrir à l’autre. Le personnage Samba Diallo a fait des études de philosophie. Il connait les Pascal, Descartes, Platon et tous les grands génies de la culture occidentale. Il les connait tellement qu’il a oublié qu’il venait d’un pays où les valeurs africaines sont importantes. Il a connu un déphasage avec sa culture d’origine et donc, il ne pouvait pas continuer à être viable. Voilà pourquoi il devait mourir. Et le ‘’Fou’’ l’a tué parce que justement, il ne reconnaissait plus le Samba Diallo d’avant qui était un garçon pieux, attaché à la religion, à sa culture, à son milieu d’origine.

Donc, Samba Diallo est mort pour n’avoir pas su mettre des limites à son adhésion à la pensée occidentale.

Dans ‘’Les gardiens du temple’’, Cheikh Hamidou Kâne a évoqué l’importance du rôle des griots dans la société africaine. Est-ce qu’aujourd’hui on peut dire qu’ils jouent les mêmes rôles que ceux salués par M. Kâne ?

Les griots qu’il nous présente sont intéressants. Il s’agit de Farba et Daba Mbaye. Farba Mbarri représente le vrai griot d’autrefois, attaché à une famille, à une histoire, à une certaine aristocratie et qui ne fait pas du ‘’griotisme’’ un peu partout. Et Daba Mbaye est une jeune griotte qui fait des études et qui a modernisé le ‘’griotisme’’. Elle dit qu’elle est griotte, qu’elle s’accepte comme telle. Elle connait l’histoire d’une autre façon, à travers les études qu’elle a faites, la façon de penser qu’elle a acquise. Et donc, c’est comme ça qu’elle est devenue griotte.

En dehors du roman, les griots continuent d’exister. Mais maintenant, les gens qui exercent ce rôle ne connaissent même pas l’essence du griot. Il y a une perte de densité, de la valeur du griot. Le griot moderne doit être celui qui connait l’histoire, qui galvanise son peuple et le porte en avant, comme disait Cheikh Alioune Ndao. Il doit accepter son rôle dans la société. C’est quelqu’un qui ne s’amuse pas de son statut dans la société.

Quelle est la place que Cheikh Hamidou Kâne accorde aux femmes dans la société ?

C’est un rôle de premier plan. Aussi bien dans ‘’L’aventure ambiguë’’ que ‘’Les gardiens du temple’’, les deux grandes femmes que sont la Grande royale d’une part et Daba Mbaye d’autre part, occupent, dans le passé comme dans la modernité, une place très importante dans la société africaine. Mao Zedong disait que la femme porte la moitié du ciel, l’homme portant l’autre moitié. Il veut montrer que sans la femme, nos sociétés ne seraient pas viables. Parce qu’elles sont des bras et des cervelles. Les femmes peuvent participer au développement. Sinon, si nous laissons la femme seulement dans la cuisine, nous nous privons d’une partie de nos potentialités de développement. Cheikh accorde vraiment une place éminente à la femme dans la société.

Un troisième roman de Cheikh Hamidou Kâne est-il possible ?

Mais j’en parlais d’ailleurs hier avec lui. Il me disait qu’à 93 ans, il serait difficile d’en faire. Que ce n’est pas facile pour lui d’écrire à la main. Je lui ai suggéré de chercher une machine avec laquelle il suffit de parler et elle vous sort un texte écrit, ensuite, il faut le revoir. Nous en reparlerons. Peut-être qu’il sera motivé, mais pour le moment, ce n’est pas sûr.

DISCUSSIONS AUTOUR DE ‘’L’AVENTURE AMBIGUE’’

Pour attirer des lecteurs vers ‘’Les gardiens du temple’’

Cheikh Hamidou Kane est une plume à célébrer. Heureusement que certains l’ont bien compris et ont tenu à le faire de son vivant. Un hommage mérité lui a donc été rendu mardi dernier, à l’Institut français de Dakar.

Il est de ces rencontres qu’il ne faut pas rater. ‘’Carte blanche à Cheikh Hamidou Kane’’ en fait partie. D’ailleurs, il régnait, mardi dernier, à l’Institut français de Dakar, l’ambiance des grands jours. Le lieu a refusé du monde, à l’occasion de cet évènement visant à faire connaître l’œuvre de ce monument de la littérature africaine. Cheikh Hamidou Kane y a pris part et dit avoir eu du plaisir à partager avec le public homogène venu échanger avec lui. Devant élèves, universitaires simples amoureux du livre et de la lecture, il a parlé de ses deux livres, ‘’L’aventure ambiguë’’ et ‘’Les gardiens du temple’’.

Publié en 1961, ‘’L'aventure ambiguë’’ est l’histoire d’un jeune homme du nom de Samba Diallo. Passant de l'enseignement coranique des Diallobé à l'université française, le jeune homme doit affronter l'exil et les brèches identitaires. Son apprentissage philosophique, éthique et spirituel retrace l'itinéraire d'une Afrique métissée en quête d’identité. Cependant, beaucoup ont mal interprété la fin de l’histoire de Samba Diallo, regrette Cheikh Hamidou Kâne. Des lecteurs ont pensé que par cet acte, l’auteur marquait son opposition contre une ouverture à la culture occidentale. ‘’On ne comprend pas que j’aie fait mourir Samba Diallo. Beaucoup ont pensé que cela signifiait que la synthèse entre ma culture diallobé, noire, africaine, avec celle de l’Occident n’était pas possible’’, a constaté l’auteur. Avant d’apporter une réponse précise : ‘’La mort de Samba Diallo ne signifie pas que la rencontre entre la culture occidentale et africaine n’est pas possible. Je voulais juste dire qu’il y a un risque de perdre son identité, ses valeurs.’’

Par ailleurs, pour l’écrivain, ce risque n’est pas sans recours. ‘’Si on prend le soin d’éduquer nos enfants dans notre tradition avec ses valeurs culturelles, on peut, sans risque, les envoyer à la rencontre de l’autre’’, dit-il. Selon lui, la maturité de ‘’L’aventure ambiguë’’ est telle qu’il a, en quelque sorte, occulté ‘’Les gardiens du temple’’.

Cependant, il a révélé que beaucoup de questions trouvent leurs réponses dans son deuxième ouvrage. C’est ainsi qu’il a exhorté les lecteurs de ‘’L’aventure ambiguë’’ de lire son dernier roman qui est essentiel pour la compréhension des idées véhiculées. ‘’Je vous exhorte vivement à le lire pour trouver les réponses que j’ai données’’, a-t-il conseillé.

En effet, beaucoup de personnages du premier roman ont été ressuscités dans le second livre. Samba Diallo, le philosophe, est remplacé par Salif Ba, l’ingénieur agronome. Ce dernier, tout comme Samba, est pétri de valeurs des cultures peulh, africaines. Ce livre permet de comprendre, entre autres, la rigueur du maitre de Samba ou le comportement du Fou.

Cheikh Hamidou Kane a fortement invité l’auditoire à aller découvrir ce roman. D’ailleurs, il soutient que l’une des attentes de ‘’Carte blanche à Cheikh Hamidou Kâne’’ est d’amener le lectorat de ‘’L’aventure ambiguë’’ à lire ‘’Les gardiens du temple’’. ‘’Je dois alors dire que la première publication des «Gardiens du temple» est épuisée, mais que l’Edition africaine d’Abidjan a, à nouveau, imprimé ce livre qui est en train d’être vendu dans les librairies’’, a-t-il indiqué.

Il n’a pas été question que des contenus des deux productions du Grand Prix littéraire d’Afrique noire de 1962. La personnalité de l’homme a aussi intéressé. Mariama Baldé, auteure du manuscrit ‘’Cheikh Hamidou Kane, l’inoubliable étincelle de l’être’’, un portrait philosophique, a insisté sur l’esprit d’ouverture de l’homme. ‘’Il a su accorder une lumière de la foi et celle de la raison, le respect des religions et l’esprit laïc, la modernité et la tradition, la douceur et la force de caractère, sensibilité et force d’âme. Avec l’habilité du sage, il a réussi à réunir en lui des aspects qui ont des oppositions de surface. L’ouverture d’esprit et la culture de cet homme en font un artisan de la paix qui ne transige pas avec la vérité’’.
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