Votée il y a six ans, la loi dite anti-tabac relative à la réglementation de la distribution du tabac, de l’ouverture et de la fermeture de débits de tabac peine à être appliquée par les autorités sénégalaises.
La mise en œuvre de cette loi pourrait avoir un impact social et économique considérable, selon la Ligue sénégalaise contre le tabac (Listab). En mettant en application la loi, l’Etat du Sénégal gagne doublement, disent aussi les militants anti-tabac.
L’application de la loi « rendra inaccessible les produits du tabac, (et) en rendant inaccessible les produits du tabac, il n’y aura pas beaucoup de fumeurs ; et quand il n’y a pas beaucoup de fumeurs cela veut dire que les maladies liées au tabac vont diminuer. Et quand les maladies liées au tabac diminuent, la prise en charge de l’Etat par rapport à ces maladies chroniques va baisser», explique, Djibril Wélé le secrétaire exécutif de la Listab.
Pour le coordonnateur régional de l’ONG Campaign for Tobacco Free Kids (CTFK), Bamba Sagna, la non application de cette loi «est une perte pour l’Etat» du Sénégal.
L’application de ce décret peut permettre à l’Etat du Sénégal «de lutter contre la contrebande du tabac qui est généralement organisée par l’industrie du tabac», souligne Djibril Wélé. Toutefois, «on n’interdit pas le fait de fumer, on réglemente l’usage du tabac», précise Bamba Sagna.
Les deux militants anti-tabac, Wélé et Sagna, s’exprimaient le 18 février 2020 à Dakar, à l’occasion d’une conférence de presse de la Listab pour une adoption du décret portant application de la loi n°2014-14 du 28 mars 2018 sur les modalités, procédures, conditions de délivrance et de retrait de l’autorisation d’ouverture et de fermeture de débits de tabac.
La Ligue sénégalaise contre le tabac demande l’application de ce décret qui interdit l’usage du tabac dans les lieux publics, la vente aux mineurs ainsi que la vente de cigarettes dans un rayon de 200 mètres des établissements scolaires.
Selon les résultats d’enquêtes menées par le Consortium pour la recherche économique et social (Cres, un think tank basé à Dakar), en 2017-2018, le coût annuel du tabagisme au Sénégal était estimé à près de 122 milliards FCFA, dont les 74 milliards rien que pour les dépenses de soins de santé liés au tabagisme (coûts directs).
Le Cres ajoute que les ménages supportent 71 milliards FCFA des coûts par an et l’Etat dépense 51 milliards pour le traitement des patients souffrant de maladies liées à la consommation des produits du tabac.
«Le traitement des maladies non transmissibles imputables à la consommation des produits du tabac absorbe 17% du budget que le Sénégal alloue annuellement au secteur de la santé», selon une étude du Cres, intitulée : «Des solutions fiscales pour une réduction optimale du tabagisme en Afrique de l’Ouest».
Taxation du tabac…
Pour faire face au tabagisme, les chercheurs du Cres préconise la mise en place d’une taxation des produits du tabac, «le moyen le plus efficace et le moins coûteux pour lutter contre le tabagisme».
«Parmi toutes les mesures existantes, il a été prouvé que l’augmentation substantielle et régulière des taxes et des prix est le moyen le plus efficace pour réduire la consommation du tabac, notamment chez les couches les plus vulnérables de la société», indiquait au mois de juillet 2019 Lassana Sidibé, conseiller technique au ministère de la Santé et de l’action sociale.
Le 24 novembre 2017, lors de la réunion de ses ministres des Finances à Abuja (Nigeria) la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avait proposé des droits d’accises – qui régissent les impôts indirects ou le monopole de la vente de certains produits -sur les produits du tabac. Cette mesure est destinée à augmenter les revenus des Etats membres et à réduire la consommation dans la région.
«Dans les pays de l’espace Cedeao, le total des taxes hors TVA (Taxe à valeur ajoutée), ne représente que 30% du prix moyen de vente des cigarettes (contre) 62% en moyenne dans l’Union européenne, alors que la convention des 15 Etats membres de la Cedeao indique bien dans son article 6 que ce taux doit être égal, au moins, à 70%», soulignait en juillet 2019, le directeur exécutif du Cres, Abdoulaye Diagne.
Selon l’OMS, le tabac tue plus de huit millions de personnes chaque année dans le monde. Plus de sept millions d’entre-elles sont des consommateurs ou d’anciens consommateurs, et environ 1,2 million des non-fumeurs, involontairement exposés à la fumée.