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Guy Marius Sagna, chronique d’une vie de bagnard
Publié le mardi 18 fevrier 2020  |  senenews
Arrestation
© aDakar.com par SB
Arrestation de l`activiste Guy Marius devant le palais de la République
Dakar, le 29 novembre 2019 - L`activiste Guy Marius Sagna a été interpellé, ce vendredi 29 novembre, devant les grilles du palais de la République. L`activiste et d`autres membres de la société civile manifestaient contre la hausse du prix de l`électricité.
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Figure de proue de l’activisme radical au Sénégal, Guy Marius Sagna croupit depuis 79 jours derrière les verrous au Camp pénal de Liberté 6 (Dakar), où il est en détention provisoire. «L’Obs» a enquêté sur le séjour carcéral de ce combattant infatigable, devenu au fil des combats de rue, la voix des sans voix.

Sa mine crispée traduit un désarroi, son verbe malaisé porte ses maux du moment. Une colère enfouie, née de l’arrestation et de l’emprisonnement de la figure de proue de Frapp-France Dégage. 79 jours que Guy Marius Sagna, musculeux chevalier des combats anti-système, rumine à l’ombre ses virulentes diatribes contre le régime du Président Macky Sall. Alors, quand Bentaleb Sow, chargé des recrutements et déploiements de Frapp, évoque le «bagnard» le plus médiatisé du moment, des tremolos gagnent sa voix quasi inaudible, enrouée d’un trop-plein d’amertume. Ce jour-là, dans les coursives de l’hôtel «Le Relais», sis à l’Avenue Cheikh Anta Diop de Dakar, à l’occasion du point de presse du collectif ‘’Ñoo lànk’’ qu’il co-coordonne, la nouvelle voix de Frapp-France Dégage a la rage du révolté, la «punchline» d’un déçu du système. Et le sentiment que son compagnon de lutte souffre d’un traitement singulier en taule. Bentaleb Sow : «Guy n’a toujours pas droit aux appels tous les 15 jours, au même titre que les autres détenus, c’est une violation flagrante de ses droits. Mais malgré cela, il se porte bien. Il accueille toujours les camarades qui lui rendent visite avec son sourire légendaire. Cette attitude nous requinque et nous montre que c’est seulement sa liberté de mouvement qui est restreinte et non sa liberté de pensée. De loin, Guy participe toujours à nos réunions et activités, avec des propositions et stratégies à adopter. C’est l’absent le plus présent des réunions de ‘’Ñoo lànk’’ et de Frapp».

Arrêté le 29 novembre 2019 devant les grilles du Palais présidentiel avec 8 autres manifestants, l’activiste Guy Marius Sagna, figure du mouvement anti-impérialiste populaire et panafricaine Frapp-France Dégage, croupit depuis 79 jours en prison. Mis sous mandat de dépôt et transféré du commissariat central à la prison de Rebeuss, avant d’être ventilé au Camp pénal de Liberté 6 (Dakar) avec deux de ses anciens codétenus (Ousmane Seck et Fallou Galass Seck dit Leuz def Tekk, tous les deux ayant bénéficié de liberté provisoire), le militant anti-impérialiste, qui réclame à gorge déployée la transparence dans la gestion des ressources pétrolières et gazières au Sénégal, est détenu pour les délits d’«attroupement», «troubles à l’ordre public», «participation à une manifestation non autorisée» et «rébellion». Depuis, il attend, en cellule, son procès…

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«En prison, j’ai retrouvé Guy toujours souriant avec un bon moral»

Son arrestation a soulevé un tollé général et moult réactions. Les unes plus virulentes que les autres. Les unes plus (in)sensées que les autres. Un dimanche de décembre 2019, en pleine séance plénière, l’opposant et député Ousmane Sonko avait même boudé l’hémicycle pour, dit-il, s’insurger contre l’arrestation de son ancien directeur de campagne lors des Législatives de 2017.

«Manifester devant les grilles d’un palais de la République, au XXIe siècle, ne doit pas être un motif pour retenir (en prison) les gens aussi longtemps. C’est un pouvoir complètement affolé, qui perd son sang-froid pour un oui ou pour un non. Je crois que nous avons un pouvoir en délitement, complètement perdu et qui s’acharne sur un groupuscule de cinq jeunes qui, de manière désarmée, sont allés manifester devant les grilles du palais. C’est symptomatique, en tout cas, du manque de sérénité de ce pouvoir», déplorait le leader de Pastef/Les Patriotes. En écho, des pontes du Pouvoir réclamaient des «sanctions exemplaires» contre Guy et Cie, coupables à leurs yeux d’un crise de lèse-majesté Sall. Depuis, l’insurgé de Frapp est en détention provisoire, loin du raout politico-médiatique dont il raffole. Un de ses proches, qui est allé le voir en prison, affirme que Guy Marius Sagna ne lui a pas fait état d’une retenue de son salaire. Donc, «sûrement, dit-il, Guy continue toujours à percevoir son dû, en sa qualité d’assistant social»…mis au placard de la fonction publique.

Pour permettre à Guy Marius Sagna de humer l’air de la liberté, ses avocats ont adressé une kyrielle de demandes de liberté provisoire au juge d’instruction du TGI de Dakar, Samba Sall, qui les a toutes refusées. Le Procureur de la République, perçu comme le «bras armé» du pouvoir par ses détracteurs, a toujours opposé son «veto». Face à ses refus répétés, ses conseils et les défenseurs des droits de l’Homme ont décidé d’internationaliser le combat pour sa libération, en saisissant la Cour de la Cedeao et les instances onusiennes. Mais en attendant, Guy Marius Sagna reste un détenu à part. Selon ses proches, il serait sous haute surveillance, dans le très sécurisé «secteur réservé aux caïds et aux condamnés». Comme un marqueur de sa prétendue dangerosité…

«Le but du pouvoir, c’est de détruire moralement Guy»

Un choix de quartier et un quotidien carcéral rigoriste infligés à Guy Marius Sagna qui ne seraient pas sans arrière-pensée, selon le directeur exécutif d’Amnesty International au Sénégal. Seydi Gassama : «Le but du pouvoir, c’est de détruire moralement Guy, le pousser à renoncer à son combat. Mais en prison, où je suis allé le voir, j’ai retrouvé un homme toujours souriant, qui a un bon moral. Le pouvoir est en train de se tromper lourdement parce que cette détention ne fera que renforcer Guy dans ses fermes convictions. Cette détention est immorale et injuste, elle cherche à persécuter un activiste. Macky Sall est en train de se livrer à la plus grande injustice que son régime n’ait jamais connue. Mais il ne faudrait pas qu’il pense pouvoir se permettre tout, sans aucune conséquence. Le fait de persécuter quelqu’un est une trahison, c’est porter atteinte à la Constitution du Sénégal qui dit qu’il faut respecter les libertés.» Le droit-de-l’hommiste au verbe (trop,) souvent corrosif, personne n’aurait pu imaginer que le Sénégal, terre proclamée de démocratie et de liberté (s), allait se rabaisser à ce niveau-là. «Même au plus fort de la crise en Casamance, Abdou Diouf n’a pas traité de cette façon les détenus du Mfdc (Mouvement des forces démocratiques de la Casamance). Le Sénégalais le plus malhonnête ne vous dira jamais que Guy Marius est violent, qu’il est rebelle. Guy est un homme pacifique, souriant. Le pouvoir est désarmé face à un tel homme, il fait tout pour le casser et empêcher qu’il puisse rallumer la flamme de ‘’Ar li nu bokk’’ parce qu’il avait été élu, quelques jours avant son arrestation, à la tête de cette plateforme. Guy est persécuté par un État allergique à la contestation et à la critique, qui veut que tout le monde se taise et le laisse dérouler son programme de mal-gouvernance», vitupère Seydi Gassama.

«Dès que Guy sortira de prison, il écrira quelque chose»

Malgré le «dur séjour carcéral» et l’étau qui se resserre davantage autour de lui, la figure de proue de Frapp serait toujours engagée corps et âme dans la lutte anti-impérialiste afin, soutiennent ses proches, de «défendre les intérêts nationaux au prix de la liberté». À en croire ses camarades de lutte qui sont allés le voir en prison et qui ont été interrogés par «L’Obs», Guy Marius Sagna tient le coup de la pénitence et sourit à la vie… carcérale. Isolé, il passe ses journées à se nourrir intellectuellement et physiquement. Bentaleb Sow : «Guy est resté un fervent lecteur, il lit tous les jours les journaux en prison. Nous lui envoyons souvent des livres. Le dernier qu’il a reçu en prison, est celui du journaliste Pape Alé Niang intitulé : «Scandale au cœur de la République : le dossier du Coud». Il a un mental de fer, personne ne peut suivre son rythme. En prison, il s’entraîne aussi régulièrement. Il se repose aussi et est en forme parce que dehors, il ne se repose jamais.» Ousmane Wade, délégué général de Frapp, reste, lui aussi, épaté par la résilience de son camarade embastillé mais redoute un coup fourré d’un Etat qui serait décidé à lui faire littéralement payer son «suractivisme» : «C’est sûr, jure-t-il la main sur le cœur, que si demain Guy Marius sortait de prison, il va reprendre la lutte. Le vœu de l’Etat, c’est de le virer de la Fonction publique parce qu’au delà de six mois de détention, il pourrait être radié, son salaire coupé. Dans le cadre de son travail d’agent social, Il a été d’abord affecté à Dakar dans un bâtiment qui menace ruines, puis mis au frigo plus tard. Sans jamais le faire taire. Guy ne peut pas rester sans piper mot face à l’injustice.»

Entre confidences et messes basses, il se susurre que Guy Marius Sagna, comme beaucoup d’autres prisonniers avant lui, serait en train de mijoter un brûlot qui fera de tout bois. «Dès qu’il sortira de prison, il écrira quelque chose, souffle un proche. Déjà, il observe bien ce qui se passe dedans et dehors et va sûrement déplorer les conditions de détention des détenus, comme il l’avait fait une fois sorti de Rebeuss. Et pourquoi pas sortir un livre ?» En attendant un procès et/ou une sortie dont on ne connaît pas la date, Bentaleb Sow rassure : «Sa femme est allée le voir en prison, mais vu qu’elle vit à Koungheul, elle ne peut pas venir tout le temps. Sa famille et tous ses parents ont des nouvelles de lui de manière régulière.»

Depuis son arrestation surmédiatisée, Guy Marius Sagna, qui aura gagné en notoriété voire en légitimité, accueille des soutiens d’ici et d’ailleurs. A Londres, le Président Sall a même été hué, lors d’une rencontre avec ses militants au mois de janvier 2020, par une dame qui réclamait la libération de Guy. Au plan national, le collectif ‘’Ñoo lànk’’ intensifie les manifs dans les rues et grandes artères dakaroises pour exiger la baisse du coût de l’électricité et la libération immédiate et sans condition de Guy Marius Sagna. Un élan de solidarité qui ne laisserait pas indifférent le ‘’prisonnier’’ le plus célèbre du Camp pénal. «Guy Marius est très fier de nous, du combat que nous menons et est content que les gens rallient notre cause. Il veut que nous soyons unis et ayons un seul front ‘’Ñoo lànk’’ pour porter le combat du peuple, il ne veut pas que les gens partent en rangs dispersés», explique Bentaleb Sow, la voix de Frapp. Les organisations des droits de l’homme apportent aussi leur écot au combat pour l’élargissement du chef de file de Frapp. Seydi Gassama, Directeur exécutif d’Amnesty International, section Sénégal : «Nous ne comptons plus sur le juge d’instruction pour que Guy puisse bénéficier d’une liberté provisoire. C’est pourquoi nous avons demandé aux avocats de saisir la Cour de la Cedeao et nous allons aussi avec eux saisir les instances onusiennes. Toutes les organisations de droits humains et tout Etat soucieux du respect des droits de l’homme devraient condamner cette détention arbitraire de Guy Marius Sagna.» L’irréductible insoumis isolé et réduit au silence depuis près de trois mois. Loin des siens et des ‘’marcheurs de vendredi’’.
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