L'imam ratib de Bignona, El Hadj Nfansou Bodian, a appelé, ce week-end, les hommes politiques sénégalais à négocier directement avec les combattants qui réclament l'indépendance de la Casamance, pour une paix définitive dans cette zone. Le guide religieux animait, dimanche dernier, la 4e édition de sa conférence à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).
Déclarée dans les années 80, la crise casamançaise a, à son actif, plusieurs milliers de pertes en vies humaines, tant du côté des combattants du MFDC que de l'armée sénégalaise et des populations autochtones. Jusqu'à ce jour, la paix est fragile dans le sud du pays qui est plongé, depuis l'avènement du président Macky Sall, dans une situation de ni guerre ni paix. Pour remédier à cette situation et oeuvrer pour une paix définitive en Casamance, l'imam ratib de Bignona invite la classe politique sénégalaise à renouer le contact avec les belligérants et à discuter directement avec eux pour un règlement définitif de ce conflit qui n'a que trop duré et qui plombe le développement du sud du pays.
Au cours de la 4e édition de sa conférence annuelle tenue ce week-end au sein de l'université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), El Hadj Nfansou Bodian estime que les personnes intermédiaires ne font qu'envenimer la situation. "Les gens qui se déplacent pour venir régler la crise en Casamance vont directement loger dans les hôtels avec des filles de joie. Je ne le dis pas pour ternir leur image, mais Dieu sait que ce sont des choses que nous avons vues. Ils n'ont jamais foulé les pieds dans les endroits où résident les combattants. Ils vont à Sà£o Domingos, contactent César Atoute Badiate qui vient les retrouver sur place pour des discussions. A Diakaye, ils se rendent à Mangone et ils appellent le chef de cette zone pour le rencontrer, ainsi de suite'', regrette le guide religieux.
El Hadj Nfansou Bodian souligne que ces combattants sont des personnes douées de raison. "Ils ne sont pas des bêtes, ni des djinns qui vont les tuer ou les brûler vifs. Ils doivent aller directement vers eux, les rencontrer, les écouter, échanger avec eux pour trouver des solutions. Ils doivent les sensibiliser, en leur faisant comprendre qu'en tirant sur les véhicules qui passent, ils peuvent blesser des innocents'', renchérit le guide religieux.
Malheureusement, l'imam de la grande mosquée de Bignona déplore le fait qu'il est rare de voir des gens, que ce soit des marabouts ou des hommes politiques, qui ont "le courage'' d'aller rencontrer les combattants. "Que le politicien qui ose me défier se manifeste pour dire où est-ce qu'il a une fois rencontré les rebelles. Une fois qu'ils encaissent l'argent, ils font leur séjour dans les hôtels, y passent du temps et reviennent. Mais le cardinale Théodore Adrian Sarr peut dire comment se déroulent nos missions en tant que religieux. Il venait, du temps d'Abdoulaye Wade, nous voir avec abbé Alphonse Sarr, pour négocier avec les combattants. Il faut que les gens se portent volontaires pour régler cette crise. N'essayez pas de duper les populations'', poursuit-il.
Sur ce, le religieux appelle les Casamançais à ne pas négliger leur région et leurs origines.
De son côté, l'imam de Taïba - un village de la Casamance - déplore l'indifférence des hommes politiques par rapport à leurs activités. "Je donne un carton jaune aux politiciens de la Casamance et du pays, pour cette édition. Mais, l'année prochaine, ce sera un carton rouge. Parce que, aussi bien l'opposition ou le pouvoir, personne n'est présent aujourd'hui. Et ça, nous le dénonçons. Les hommes politiques sénégalais ne se préoccupent même pas de la Casamance. Je me dis que c'est à notre image. Parce qu'aucune autorité de la Casamance n'est présente dans la salle. Or, si ce sont les autres familles religieuses qui organisent, ils vont se déplacer'', fustige l'imam Mouhamadou Moustapha Sylla.
D'après lui, l'opposition et le pouvoir sont tous pareils. "Ils ne nous approchent que par intérêt. Si on les invite à Bignona, ils déclinent en disant que c'est éloigné. Aujourd'hui, nous nous sommes déplacés jusqu'à la capitale et chacun dit qu'il a un séminaire je ne sais où, pour ne pas venir. Comment peut-on dire qu'on a de l'estime pour nous avec de tels comportements' Cependant, si tes propres fils ne te considèrent pas, n'attend pas grand-chose des autres. La Casamance est d'abord délaissée par ses propres fils'', fulmine-t-il.
L'imam de Taïba regrette également le fait que la plupart des jeunes Casamançais ne comprennent même plus leur langue maternelle. "La langue fait partie de l'identité d'une personne. C'est pourquoi je ne crois pas en la Francophonie. C'est une expression qui a été créée non pas pour les Français, mais plutôt pour berner les jeunes Africains et engloutir notre culture, notre histoire, nos valeurs et, enfin, notre langue. Il faut que nous en soyons conscients et que nous acceptions et conservions nos valeurs'', soutient l'imam Mouhamadou Moustapha Sylla.
En fait, pour cette 4e édition, le thème choisi est l'éducation islamique. A ce propos, le directeur des Opérateurs portuaires au Port autonome de Dakar (Pad), Ibrahima Badji, par ailleurs parrain de la conférence, a signalé qu'aujourd'hui, le monde en général et le Sénégal en particulier traverse une crise "profonde''. "Chacun de nous a peur de se lever tôt le matin, à certaines heures, pour aller au travail ou à la mosquée,à cause des agressions. On a peur quand nos enfants vont à l'école; on a des doutes s'ils vont rentrer sereins. Quelque part, nous sommes passés à côté du soubassement des enseignements des guides religieux comme Nfansou Bodian. Mais aussi des principes de l'islam, du Coran, de la Sunnah du Prophète (PSL)'', dit-il.