La décision du gouvernement du Sénégal de suspendre les exportations de graines d’arachide jusqu’à nouvel ordre est encore loin de résoudre les problèmes des acteurs de la filière arachidière pour cette présente campagne de commercialisation. Car, au-delà même de la question liée à la mobilisation de semences pour la prochaine année agricole qui est aujourd’hui difficile à solutionner, la plupart des acteurs de la filière pensent que l’arachide est devenue une denrée rare ou quasiment introuvable dans les greniers des producteurs, encore moins sur le marché local. Cette mesure est donc jugée tardive par la plupart des acteurs de la filière arachide. Certains huiliers la qualifient même de médecin après la mort.
KAOLACK : Une mesure encore loin de résoudre le problème de la collecte au niveau local
La décision du gouvernement de suspendre les exportations de graines d’arachide, malgré qu’elle soit saluée par les entreprises huilières, opérateurs privés, stockeurs, transporteurs et autres acteurs de la filière au plan local, est encore loin de résoudre certaines incertitudes liées à la mobilisation du reste de production arachidière de cette année. Car au-delà même de la question de mobilisation des semences pour la prochaine année agricole qui est aujourd’hui difficile à répondre, la plupart des acteurs de la filière pensent que l’arachide est devenue une denrée rare quasiment introuvable dans les greniers des producteurs encore moins sur le marché local. Un fait qui témoigne encore une fois que le chiffre de plus d’un millier de tonnes annoncé cette année pour quantifier la production arachidière n’est pas du tout exact et laisse encore des doutes dans le monde paysan et partout au sein des milieux d’acteurs de la filière. La raison ! Le marché de l’exportation n’a pas dépassé cette année le cap de 400.000 tonnes et l’on commence déjà à se lamenter à cause de la rareté des graines.
D’après certaines sources d’ailleurs, la Compagnie de production des Oléagineux (Copéol) s’est retrouvée dans l’obligation d’affecter les 2000 tonnes qu’elle gardait dans ses magasins à un contractant. Et ceci sous prétexte qu’elle ne va jamais allumer ses machines et gaspiller ses énergies pour une production aussi dérisoire qui ne va rien lui coûter. En somme, une situation qui ne donnerait aucune possibilité aux entreprises huilières d’atteindre leurs prévisions de cette année, malgré leurs récentes décisions de les réduire au dernier moment à cause des innombrables difficultés qu’elles ont traversées tout au long de ces cinq (5) dernières semaines de campagne. Chez les opérateurs, la déception est quasi générale, car la plupart d’entre eux qui étaient en contrat avec les producteurs ont perdu les semences et intrants qu’ils avaient offerts sous caution d’être privilégiés le moment venu des ventes. Les producteurs ont plutôt préféré leur tourner le dos et commercialiser leurs produits sur le marché qui proposait le prix le plus rémunéré.
Le peu de graines restant, entre les mains des gros operateurs
Pour les opérateurs de Kaolack, le fait de retrouver de nouveaux stocks d’arachide dans le monde rural ressort de l’utopie. En tout cas, pas au niveau des producteurs qui ont tout vendu. C’est dans certains cas qu’on trouve un producteur avec de l’arachide qui n’est pas souvent destiné à la spéculation, mais plutôt aux réserves de semences. C’est surtout dans les greniers des gros opérateurs qu’on parvient aujourd’hui à dénicher de l’arachide. Le peu de graines qui est présentement sur le marché provient de ces cachettes, car compte tenu de leur importance, et la forte canicule qui règne en maître dans la région, ces opérateurs ne veulent point accuser les pertes en gardant cette marchandise avec tout ce que cela recommande comme mesure de protection. Ils optent ainsi à la mettre sur le marché moyennant parfois des bénéfices considérables.
Le paiement de la facture de 60 milliards due lors de la précédente campagne réclamé
Dans le but de rectifier le tir et résoudre de manière stratégique la question de mobilisation des semences qui inquiète de plus en plus, les opérateurs privés réclament l’enveloppe de 60 Milliards représentant la facture que l’Etat leur doit la saison passée. Pas disent-ils pour leur intérêt personnel, mais pour arriver à mettre à la disposition des opérateurs les moyens nécessaires d’accroître les 40.000 tonnes de semences acquises difficilement lors de la campagne. Pour un objectif de 75.000 tonnes, c’est seulement en renforçant le pouvoir d’achat des opérateurs que l’Etat pourrait parvenir à la mobilisation de ce patrimoine national. Puisque, du côté des huiliers, on est plutôt comblé par les matières premières qu’on tarde à mobiliser, les opérateurs privés pensent que même avec une partie de cet argent, le Sénégal pourrait oublier ce débat et parvenir à ses besoins en termes de semence.
ZIGUINCHOR : «Du médecin après la mort», selon les Huiliers
La décision du gouvernement de suspendre les exportations d’arachide est perçue par les huiliers de Ziguinchor comme du « médecin après la mort ». Ces derniers estiment que c’est une décision prise très tard par les autorités qui ont laissé faire. « Aujourd’hui, toutes les bonnes graines ont été vendues aux exportateurs étrangers qui ont fait le tri des graines avant de laisser la mauvaise qualité sur place. Et ce sont ces graines à la qualité douteuse que nous allons prendre car tout a été vendu », se désolent les travailleurs de l’usine Sonacos que nous avons rencontrés.
Les exportations ont de fait largement pris le dessus sur la collecte locale. En atteste la faible quantité de graines collectées par la Sonacos depuis le début de la campagne. Un peu plus de 3000 tonnes seulement ont été collectées sur les objectifs de 45.000 tonnes assignées à l’usine de Ziguinchor. Des objectifs qui ont été largement revus à la baisse si l’on en croit les responsables locaux du syndicat des oléagineux qui ont toujours décrié les exportations des graines. Les Opérateurs Privés Stockeurs de Ziguinchor eux sont d’avis que cette mesure est juste prise pour soulager la Sonacos et qu’en aucun cas, elle ne peut combler le gap de quantité d’arachide perdue par les huiliers cette année .La récente visite en catimini du Directeur General de la SONACOS Modou Diagne FADA la semaine dernière, à Ziguinchor, n’a pas permis de lever les écueils de cette campagne de commercialisation arachidière que les acteurs de la filière ont fini de qualifier de pure catastrophe pour cette année.
DIOURBEL : Une mesure jugée tardive par les acteurs de cette filière
La mesure prise par le gouvernement du Sénégal de geler les exportations de l’arachide a été faiblement ressentie dans la collecte de l’arachide au niveau des huiliers. On pouvait rester toute une journée sans recevoir un camion. Aujourd’hui, 2 à 3 camions sont arrivés au niveau de l’unité industrielle de la Sonacos Sa de Diourbel. Pour les huiliers, cette mesure a été tardivement prise par l’Etat. Il y a au total un peu près de 3 000 tonnes graines d’arachide qui ont été collectées par la Sonacos Sa de Diourbel sur une prévision de 30 000 tonnes.
Par contre, les producteurs agricoles ont poussé un ouf de soulagement cette année car le Kg d’arachide de coques a atteint 275 frs à 300 frs. Babacar Ndiaye, un paysan de la localité de Thiandigue dans la commune de Toure Mbonde explique : « nous avons passé une bonne campagne de commercialisation. Nous avons été surpris car on ne croyait qu’on allait avoir une production arachidière. Mais Dieu merci, nous avons trituré, vendu nos graines moyennant 275 frs à 300 frs. Mais cela risque d’être compliqué pour nous, paysans, parce que nous aurons plus tard un besoin de semences». Les opérateurs estiment que l’Etat a mis la charrue avant les bœufs. Il fallait collecter d’abord les semences, puis les graines destinées à l’huilerie avant d’ouvrir le marché sénégalais aux exportateurs de graines. La menace de licenciement des saisonniers mais aussi des permanents plane au niveau de la Sonacos.
HABIB THIAM, PRESIDENT DU COPEGA SUR LE GEL DE L’EXPORTATION DE L’ARACHIDE : «Cela n’impactera aucunement le bon déroulement de la campagne ...»
Le gouvernement du Sénégal a décidé de suspendre les exportations de graines d’arachide afin de sécuriser la reconstitution du capital semencier du Sénégal et de faciliter l’approvisionnement des huileries locales. Selon le président du Collectif des producteurs exportateurs de graines d’arachide (Copega), Habib Thiam, cette mesure qui a été prise d’une manière consensuelle n’impactera aucunement le bon déroulement de la campagne de commercialisation qui a déjà connu un succès.
La suspension a été un consensus. C’était d’un commun accord avec le ministère de l’Agriculture. Chaque année, arrivé à un certain niveau d’exportation, on opère à une suspension pour permettre la préservation des semences. Cette année, la particularité, c’est qu’on l’a fait un peu plus tôt. Mais il y a une autre particularité, c’est de permettre aux exportateurs de finir leurs encours. On l’a suspendu mais il y a eu des dérogations pour certains exportateurs qu’on a identifiés avec leur poids. C’est pour cela que certains continuent à charger, parce qu’il y avait la congestion au port avec la grève des transporteurs mais aussi avec le manque de conteneurs. Le Ministre avec sa compréhension a décidé de donner des dérogations. Cela n’impactera aucunement le bon déroulement de la campagne qui a enregistré un succès. On n’a pas entendu cette année les producteurs se plaindre. Ils ont vendu à des prix record. Je pense que le succès d’une campagne de commercialisation repose sur la satisfaction du producteur. Les autres acteurs font partie des maillons secondaires de la filière. Le premier élément, c’est le producteur. S’il est satisfait, la campagne a réussi.
Une commercialisation obéit à un certains normes. Il y a un prix-plancher qui est fixé, le marché obéit à un autre prix. Si on veut s’activer dans une campagne de commercialisation, il faut s’aligner au prix. Les huiliers ne se sont pas alignés au prix et ils demandent qu’on ferme les exportations qui sont essentielles. Je pense qu’ils auraient dû acheter au même prix que les exportateurs. S’ils l’avaient fait quand même, ils n’auraient pas à licencier des employés qui sont temporaires. Il ne faudrait pas que les gens trouvent comme alibi le manque de graines. Puisque les graines étaient là. Il faut que les gens sachent raison garder au moins parce que ça, c’est une libéralisation. La loi la plus élémentaire en termes de business, c’est la loi de l’offre et de la demande. Les années précédentes, se sont les exportations qui ont sauvé la campagne. Et si on se trouve dans une situation de surproduction et que la capacité de de trituration des usines dépasse même pas 300 mille tonnes, qu’est-ce qu’on va faire avec le reste ? On demande juste d’organiser. Oui on doit organiser parce que les huiliers sont des maillons essentiels de la filière ».
Abdoulaye FALL, Ignace NDEYE, Adama NDIAYE, Ndeye Aminata CISSE