L’Initiative de Lomé a été lancée, samedi, par 7 pays africains dont le Sénégal. Elle vise à criminaliser le trafic des faux médicaments à travers le continent. L’Ordre national des pharmaciens du Sénégal prend acte et attend de voir la suite, d’autant que le Sénégal abrite Keur Serigne-bi et la ville de Touba où la vente de médicaments illicites est institutionnalisée. Son président, Dr Ameth Niang, reste perplexe quant à son application au niveau national.
Les chefs d'État et ministres de la Santé de 7 pays africains (Togo, Congo-Brazzaville, Ouganda, Niger, Sénégal, Ghana, Gambie) ont signé, ce samedi au Togo, l'Initiative de Lomé. Un accord international qui vise à criminaliser le trafic de faux médicaments qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est responsable de plus de 100 000 morts par an en Afrique.
‘’C’est la première fois que nous africains, nous nous emparons de ce problème des faux médicaments et leur trafic, un fléau dont notre continent est la première victime… Il y a urgence’’, a déclaré le président togolais Faure Gnassingbé, en présence de ses homologues sénégalais et ougandais. Le président Gnassingbé de poursuivre : ‘’Aujourd’hui, nous commencerons par signer une déclaration politique qui sera suivie, dans quelques mois, de la signature d’un accord cadre et d’une feuille de route qui permettra et garantira la réalisation effective de cet engagement.’’
L’Initiative de Lomé entend renforcer et coordonner la lutte contre le trafic de faux médicaments et autres médicaments de qualité inférieure ou falsifiés. Ceci à travers l’introduction de nouvelles législations pénalisantes, la ratification de certaines conventions existantes (Medicrime, Palerme) et la mise en place de mécanismes (voir à côté). La création d’une agence africaine de médicaments est annoncée. Et une deuxième conférence, devant mobiliser davantage de pays sur la base de l’Initiative de Lomé, est envisagée dans les prochains mois.
En attendant, les dirigeants souhaitent que d’autres Etats du continent, l’Union africaine ainsi que les Nations Unies rejoignent l’Initiative de Lomé. Un Call For Action, acte symbolique du début de la riposte africaine au fléau, a été signé par les chefs d’Etat, à la fin des travaux.
Au Sénégal, le président de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal veut y croire. ‘’C’est une rencontre, dit-il, qui revêt un caractère important. C’est une manifestation d’une volonté face à un fléau qui se pose par rapport au système de santé des pays africains. Donc, si le président du Sénégal a pris l’initiative de faire partie des présidents africains qui ont signé cette convention visant à criminaliser la vente illicite de médicaments et l’exercice illégal de la pharmacie, on ne peut que l’apprécier’’. Docteur Ameth Niang souligne qu’il est ‘’important’’, à l’heure actuelle de l’évolution du secteur de la pharmacie et de la politique de la gestion des médicaments, que les autorités africaines prennent leurs responsabilités par rapport à ce fléau.
D’après ce pharmacien, on ne peut plus concevoir que les populations soient ‘’laissées à elles-mêmes’’, au point de s’exposer, de fragiliser leur santé, leur niveau de vie. Or, ceci a une répercussion négative sur toute politique de santé. ‘’En tant qu’ordre, on se félicite de cette démarche. Mais nous restons très perplexes, très vigilants par rapport au devenir qu’il faudra donner à cette initiative. Parce que le fait de signer est un acte, mais l’appliquer en est un autre. Il va falloir aller au-delà de cette volonté de signer, et faire de sorte que l’application puisse prendre le relais, pour avoir un impact réel sur la vie des populations, le secteur de la pharmacie. Ce qui aura également une répercussion sur le statut du pharmacien, qui est le seul dépositaire du médicament’’, renchérit notre interlocuteur.
Le président de l’Ordre national des pharmaciens déplore, toutefois, la non association des professionnels qu’ils sont à cette rencontre. ‘’Nous sommes des professionnels des médicaments, investis d’une mission de santé publique, à qui le législateur a confié la gestion d’un produit de qualité, destiné à répondre aux préoccupations des populations. Depuis que cette initiative est prise jusqu’à aujourd’hui, les professionnels du médicament sont exclus. Ils n’ont, nullement été impliqués aux préparatifs de cette rencontre’’, fustige Dr Niang.
Il estime que le chef de l’Etat sénégalais devait voyager avec l’avis des professionnels, d’une institution. Or, ils ont appris ce rendez-vous aussi crucial, concernant leur profession, à travers la presse. Ce qui ne devrait pas, d’après lui, se passer ainsi.
‘’D’ailleurs, c’est le cas pour le président togolais Faure Gnassingbé, qui abrite cette rencontre. On n’a vu nulle part les ordres impliqués et engagés, au même titre que les autres professionnels ou autres autorités politiques. Nous sommes les seuls dépositaires et garants de la gestion du médicament. Donc, notre avis compte. Il peut aussi éclairer, rassurer par rapport à n’importe quelle stratégie qui pourrait être initiée’’, insiste-t-il.
Le secrétaire général de la Coalition pour la santé et l'action sociale (Cosas) partage cet avis. ‘’Pour mener ce combat, il faut une approche inclusive associant tous les professionnels du secteur. Cela ne peut être seulement l’affaire des chefs d’Etat’’, regrette Dr Mouhamad Lamine Ly.
‘’Il y a une migration du trafic de la drogue vers celui de médicaments’’
D’après le président de l’Ordre des pharmaciens, les leaders africains doivent faire face à leurs obligations par rapport à la préservation de la santé des populations. Ce qui ne peut se faire qu’à travers des médicaments de qualité, gérés par des professionnels. Car le pharmacien signale qu’il y a ‘’une migration du trafic de la drogue vers celui de médicaments’’. ‘’Tout le monde est maintenant conscient des peines encourues concernant l’usage de la drogue. Si cela est dévolu au secteur de la pharmacie, plus particulièrement aux médicaments, le circuit sera complétement sécurisé’’, dit-il.
En effet, Dr Niang précise que pour des pays comme le Sénégal, l’esprit des textes ne permettait pas, auparavant, d’aller vers des sanctions corsées, avec des peines lourdes. Donc, pour lui, si on va vers la criminalisation, ce sera la solution idoine pour en finir définitivement. ‘’Nous avons l’obligation de jouer sur deux piliers majeurs. D’abord, il s’agit du respect des principes d’exercice de la profession pharmaceutique, le pharmacien en tant que tel. L’Etat investit beaucoup d’argent pour assurer la formation du pharmacien. Donc, il faut lui donner la latitude de se déployer et de mener sa mission correctement. L’autre levier est celui juridique’’, poursuit-il.
Donc, Dr Niang pense que les textes doivent servir à organiser une profession, le mode de vie d’une société. ‘’Mais si les textes sont là et qu’ils ne font pas l’objet d’une application, d’une certaine rigueur par rapport à ceux qui les violeraient, c’est le laisser-aller. La conséquence, c’est la banalisation d’un métier, d’une activité professionnelle où les gens l’assimilent à un simple acte de vente. Alors que le médicament est au-delà de cela’’, affirme-t-il.
Or, le président de l’ordre précise que le rôle du pharmacien n’est pas de vendre le médicament. C’est plutôt celui d’un acteur de santé qui participe à la mise à disponibilité d’un médicament de qualité qui participe dans l’observance thérapeutique, à travers sa mission de conseiller, pour orienter et aider les patients à se soigner correctement. Une mission qu’il trouve ‘’plus complexe’’ que cela.
Ce sont autant d’éléments qui méritent, pour lui, d’être singularisés pour permettre à l’Afrique d’avoir des populations saines. ‘’Cela ne peut pas se faire avec une situation désastreuse où ces dernières sont exposées avec des médicaments dont on ignore la provenance, tenus par des mains inexpertes, le trafic douteux, avec des gens qui ne sont que préoccupés par le gain facile’’, relève-t-il.
Si, pour sa part, le Dr Niang plaide pour le durcissement immédiat des peines à l’encontre des trafiquants de médicaments, le SG du Cosas, lui, pense qu’il ne faut pas ‘’sauter directement à la criminalisation’’. ‘’Il y a un déficit assez évident de sensibilisation. Les populations ne sont pas tout à fait informées des dangers des médicaments de la rue, à la limite même des notables et même des autorités, qu’elles soient coutumières, religieuses ou administratives, ne prennent pas la chose très au sérieux. Il n’y a que les médecins, les pharmaciens et les professionnels de santé qui sont conscients du danger’’, prône le Dr Ly.