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Criminalisation trafic faux médicaments: L’impossible traque
Publié le mardi 21 janvier 2020  |  Enquête Plus
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Médicaments trafiqués
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L’Initiative de Lomé a été lancée, samedi, par 7 pays africains dont le Sénégal. Elle vise à criminaliser le trafic des faux médicaments à travers le continent. L’Ordre national des pharmaciens du Sénégal prend acte et attend de voir la suite, d’autant que le Sénégal abrite Keur Serigne-bi et la ville de Touba où la vente de médicaments illicites est institutionnalisée. Son président, Dr Ameth Niang, reste perplexe quant à son application au niveau national.

Les chefs d'État et ministres de la Santé de 7 pays africains (Togo, Congo-Brazzaville, Ouganda, Niger, Sénégal, Ghana, Gambie) ont signé, ce samedi au Togo, l'Initiative de Lomé. Un accord international qui vise à criminaliser le trafic de faux médicaments qui, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est responsable de plus de 100 000 morts par an en Afrique.

‘’C’est la première fois que nous africains, nous nous emparons de ce problème des faux médicaments et leur trafic, un fléau dont notre continent est la première victime… Il y a urgence’’, a déclaré le président togolais Faure Gnassingbé, en présence de ses homologues sénégalais et ougandais. Le président Gnassingbé de poursuivre : ‘’Aujourd’hui, nous commencerons par signer une déclaration politique qui sera suivie, dans quelques mois, de la signature d’un accord cadre et d’une feuille de route qui permettra et garantira la réalisation effective de cet engagement.’’

L’Initiative de Lomé entend renforcer et coordonner la lutte contre le trafic de faux médicaments et autres médicaments de qualité inférieure ou falsifiés. Ceci à travers l’introduction de nouvelles législations pénalisantes, la ratification de certaines conventions existantes (Medicrime, Palerme) et la mise en place de mécanismes (voir à côté). La création d’une agence africaine de médicaments est annoncée. Et une deuxième conférence, devant mobiliser davantage de pays sur la base de l’Initiative de Lomé, est envisagée dans les prochains mois.

En attendant, les dirigeants souhaitent que d’autres Etats du continent, l’Union africaine ainsi que les Nations Unies rejoignent l’Initiative de Lomé. Un Call For Action, acte symbolique du début de la riposte africaine au fléau, a été signé par les chefs d’Etat, à la fin des travaux.

Au Sénégal, le président de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal veut y croire. ‘’C’est une rencontre, dit-il, qui revêt un caractère important. C’est une manifestation d’une volonté face à un fléau qui se pose par rapport au système de santé des pays africains. Donc, si le président du Sénégal a pris l’initiative de faire partie des présidents africains qui ont signé cette convention visant à criminaliser la vente illicite de médicaments et l’exercice illégal de la pharmacie, on ne peut que l’apprécier’’. Docteur Ameth Niang souligne qu’il est ‘’important’’, à l’heure actuelle de l’évolution du secteur de la pharmacie et de la politique de la gestion des médicaments, que les autorités africaines prennent leurs responsabilités par rapport à ce fléau.

D’après ce pharmacien, on ne peut plus concevoir que les populations soient ‘’laissées à elles-mêmes’’, au point de s’exposer, de fragiliser leur santé, leur niveau de vie. Or, ceci a une répercussion négative sur toute politique de santé. ‘’En tant qu’ordre, on se félicite de cette démarche. Mais nous restons très perplexes, très vigilants par rapport au devenir qu’il faudra donner à cette initiative. Parce que le fait de signer est un acte, mais l’appliquer en est un autre. Il va falloir aller au-delà de cette volonté de signer, et faire de sorte que l’application puisse prendre le relais, pour avoir un impact réel sur la vie des populations, le secteur de la pharmacie. Ce qui aura également une répercussion sur le statut du pharmacien, qui est le seul dépositaire du médicament’’, renchérit notre interlocuteur.

Le président de l’Ordre national des pharmaciens déplore, toutefois, la non association des professionnels qu’ils sont à cette rencontre. ‘’Nous sommes des professionnels des médicaments, investis d’une mission de santé publique, à qui le législateur a confié la gestion d’un produit de qualité, destiné à répondre aux préoccupations des populations. Depuis que cette initiative est prise jusqu’à aujourd’hui, les professionnels du médicament sont exclus. Ils n’ont, nullement été impliqués aux préparatifs de cette rencontre’’, fustige Dr Niang.

Il estime que le chef de l’Etat sénégalais devait voyager avec l’avis des professionnels, d’une institution. Or, ils ont appris ce rendez-vous aussi crucial, concernant leur profession, à travers la presse. Ce qui ne devrait pas, d’après lui, se passer ainsi.

‘’D’ailleurs, c’est le cas pour le président togolais Faure Gnassingbé, qui abrite cette rencontre. On n’a vu nulle part les ordres impliqués et engagés, au même titre que les autres professionnels ou autres autorités politiques. Nous sommes les seuls dépositaires et garants de la gestion du médicament. Donc, notre avis compte. Il peut aussi éclairer, rassurer par rapport à n’importe quelle stratégie qui pourrait être initiée’’, insiste-t-il.

Le secrétaire général de la Coalition pour la santé et l'action sociale (Cosas) partage cet avis. ‘’Pour mener ce combat, il faut une approche inclusive associant tous les professionnels du secteur. Cela ne peut être seulement l’affaire des chefs d’Etat’’, regrette Dr Mouhamad Lamine Ly.

‘’Il y a une migration du trafic de la drogue vers celui de médicaments’’

D’après le président de l’Ordre des pharmaciens, les leaders africains doivent faire face à leurs obligations par rapport à la préservation de la santé des populations. Ce qui ne peut se faire qu’à travers des médicaments de qualité, gérés par des professionnels. Car le pharmacien signale qu’il y a ‘’une migration du trafic de la drogue vers celui de médicaments’’. ‘’Tout le monde est maintenant conscient des peines encourues concernant l’usage de la drogue. Si cela est dévolu au secteur de la pharmacie, plus particulièrement aux médicaments, le circuit sera complétement sécurisé’’, dit-il.

En effet, Dr Niang précise que pour des pays comme le Sénégal, l’esprit des textes ne permettait pas, auparavant, d’aller vers des sanctions corsées, avec des peines lourdes. Donc, pour lui, si on va vers la criminalisation, ce sera la solution idoine pour en finir définitivement. ‘’Nous avons l’obligation de jouer sur deux piliers majeurs. D’abord, il s’agit du respect des principes d’exercice de la profession pharmaceutique, le pharmacien en tant que tel. L’Etat investit beaucoup d’argent pour assurer la formation du pharmacien. Donc, il faut lui donner la latitude de se déployer et de mener sa mission correctement. L’autre levier est celui juridique’’, poursuit-il.

Donc, Dr Niang pense que les textes doivent servir à organiser une profession, le mode de vie d’une société. ‘’Mais si les textes sont là et qu’ils ne font pas l’objet d’une application, d’une certaine rigueur par rapport à ceux qui les violeraient, c’est le laisser-aller. La conséquence, c’est la banalisation d’un métier, d’une activité professionnelle où les gens l’assimilent à un simple acte de vente. Alors que le médicament est au-delà de cela’’, affirme-t-il.

Or, le président de l’ordre précise que le rôle du pharmacien n’est pas de vendre le médicament. C’est plutôt celui d’un acteur de santé qui participe à la mise à disponibilité d’un médicament de qualité qui participe dans l’observance thérapeutique, à travers sa mission de conseiller, pour orienter et aider les patients à se soigner correctement. Une mission qu’il trouve ‘’plus complexe’’ que cela.

Ce sont autant d’éléments qui méritent, pour lui, d’être singularisés pour permettre à l’Afrique d’avoir des populations saines. ‘’Cela ne peut pas se faire avec une situation désastreuse où ces dernières sont exposées avec des médicaments dont on ignore la provenance, tenus par des mains inexpertes, le trafic douteux, avec des gens qui ne sont que préoccupés par le gain facile’’, relève-t-il.

Si, pour sa part, le Dr Niang plaide pour le durcissement immédiat des peines à l’encontre des trafiquants de médicaments, le SG du Cosas, lui, pense qu’il ne faut pas ‘’sauter directement à la criminalisation’’. ‘’Il y a un déficit assez évident de sensibilisation. Les populations ne sont pas tout à fait informées des dangers des médicaments de la rue, à la limite même des notables et même des autorités, qu’elles soient coutumières, religieuses ou administratives, ne prennent pas la chose très au sérieux. Il n’y a que les médecins, les pharmaciens et les professionnels de santé qui sont conscients du danger’’, prône le Dr Ly.

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KEUR SERIGNE-BI ET TOUBA

Le paradoxe sénégalais

Si le Sénégal est à l’aune de l'Initiative de Lomé qui vise à criminaliser le trafic de faux médicaments, au plan national, il y a la réalité crue de Keur Serigne-bi et Touba. Deux endroits où la vente des médicaments illicites semble légalisée.

‘’Pour le Sénégal, signer cette initiative est paradoxal. Mais c’est un acte majeur, si on va vers une criminalisation, parce que, dans le cadre de la révision des textes, ce volet a été privilégié. Nous avions demandé que cet acte soit criminalisé, pour pouvoir dissuader et ne plus permettre que les gens puissent s’aventurer à manipuler le médicament. C’est un acte plus que criminel. Il va falloir quand même disposer de textes législatifs, réglementaires pour contraindre à ne plus s’orienter vers l’usage du médicament’’, préconise Dr Niang.

Ce dernier estime, d’ailleurs, que le Sénégal ‘’se met un peu en spectacle’’, de par l’envergure des deux marchés principaux : Keur Serigne-bi et Touba. Ce qui est désolant.

‘’A chaque fois que je participe à des missions internationales, je me désole de voir le Sénégal cité en exemple par rapport à ce marché parallèle. C’est une mauvaise image que nous donnons à notre pays et les effets que cela entraine, du point de vue du développement des maladies liées à l’usage de ces médicaments. Sur le plan économique, nul n’y gagne et c’est beaucoup plus grave sur le plan sanitaire. Sur le volet social, le préjudice ne peut pas être apprécié de manière tout à fait objective’’, regrette le président de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal.

Aujourd’hui, si le président Macky Sall prend l’initiative sur lui-même d’engager le pays vers une procédure qui consiste à criminaliser cet acte, Dr Niang espère que le droit sera dit. ‘’La gestion des médicaments ne peut plus se faire de manière sectorielle. Elle revêt d’un caractère multidimensionnel et universel. Donc, ce sont des politiques internationales. Il s’agit de la vie des gens. De ce fait, le Sénégal ne doit pas demeurer en reste’’, martèle-t-il.

Dr Ly : ‘’La criminalisation n’est pas la première option’’

De son côté, le Dr Mouhamad Lamine Ly du Cosas préconise la disponibilité des médicaments. ‘’Si les gens vont à Keur Serigne-bi ou vont acheter les médicaments moins chers, c’est parce que, dans les structures, ils n’ont pas ces médicaments. Il y a beaucoup de ruptures de stock. L’accès aux soins n’est pas garanti aux populations. Si on tarit le besoin, ce sera moins rentable pour eux et c’est aussi une manière de combattre le trafic’’, soutient-il. Pour lui, il faut que les gens soient conscients du problème. ‘’Et ensuite, ce sera beaucoup plus légitime de criminaliser la pratique. La criminalisation n’est pas la première option. Il y a beaucoup de choses à faire au préalable. Ce qui n’est pas le cas. Il faut faire le plaidoyer auprès des familles religieuses. S’ils sont bien informés des dangers du médicament, ils vont le combattre de manière très sérieuse. C’est triste de voir que des choses aussi faciles à combattre restent à ce niveau’’, ajoute-t-il.

Il faut noter que le Sénégal n’est pas le seul terreau fertile pour les circuits parallèles de vente de médicaments dans la sous-région. Le Nigeria est considéré comme la première destination des produits contrefaits en Afrique. Et, malheureusement, tant qu’il ne rejoindra pas les efforts déployés par ses voisins, la lutte contre ce fléau restera anecdotique. En effet, le tiers des 126 millions de médicaments falsifiés saisis dans 16 ports africains, lors d'une opération de l'Organisation mondiale des douanes, en septembre 2016, était destiné au géant anglophone.

Et le marché sénégalais n’est pas épargné par les médicaments falsifiés. ‘’Si le médicament est dans des circuits douteux, si le médicament est entre les mains de personnes inexpertes, personne ne peut garantir sa qualité. Avec l’approche universelle, tous les circuits de médicament doivent être maitrisés et sécurisés. C’est pourquoi l’OMS ne cesse de lancer des alertes pour que les pays puissent prendre leurs dispositions’’, conclut le président de l’Ordre des pharmaciens du Sénégal.
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