Elle brise tous les codes. Petite-fille d’almamy et de chérif, elle est styliste et costumière. Oumou Sy s’épanouit dans l’art et n’a pas sa langue dans sa poche. Elle ne sait ni lire ni écrire, mais a un bon niveau de langue. Elle est ‘’free’’, pour ne pas dire ‘’roots’’, pleine d’humour et sage à la fois. Très attachée à ses racines africaines, elle reste quand même ouverte au reste du monde, en bonne disciple de Léopold Sédar Senghor. Elle organise, le 16 janvier prochain, un grand bal dédié aux Signares et à leur histoire. Elle en parle dans cet entretien et partage une partie de sa propre histoire. Entretien.
Vous organisez un grand évènement le 16 janvier prochain. Pouvez-vous revenir sur les grandes lignes ?
Je compte organiser une soirée en l’honneur des Signares. On réalise, à cet effet, un film de 16 minutes. On a fait le tour des endroits où se trouvaient les Signares. Il s’agit de Joal, Rufisque, Saint-Louis et Gorée. On a interviewé des gens qui font partie de la lignée des Signares. A Gorée, on a interviewé Eloi Coly qui connaît bien l’histoire des Signares. On a photographié et filmé sur place des maisons anciennes que nous dévoilerons le jour du spectacle.
Pour le spectacle, la mise en scène sera faite par Jean-Pierre Leurs et la chorégraphie par Jean Tamba. Il y aura aussi un dîner, parce que quand les colons étaient là, ils avaient leurs plats préférés. Certains de ces plats seront présentés au public. Baba Maal, Harouna Moussa Dia et Amady Sy seront les invités d’honneur. Le bal verra la participation de l’artiste Carlou D, de l’animateur Dj Boubs, la chanteuse Viviane, l’équipe du Soleil levant. D’autres acteurs sont attendus. Parce qu’il y aura 64 personnes qui vont faire le bal. Les pays qui ont pris part à l’arrivée du Chevalier de Boufflers, seront représentés. Ils seront au moins au nombre de 10. Et on représentera un peu l’histoire de Toussaint Louverture qui a été massacré par Napoléon Bonaparte. Ce dernier sera dans la salle. Faidherbe sera dans la salle. Et le Chevalier de Boufflers sera là et on va reconstituer la scène. Il y aura naturellement les colons et les Mulâtres, en plus des Signares.
L’idée de jouer cette scène d’histoire vient-elle d’une nostalgie de vos souvenirs d’enfance ?
Je suis née à Podor. Le premier fort de l’Afrique a été construit à Podor. Faidherbe y habitait. Il avait une femme bambara qui s’appelait Dieocounda. Ça veut dire qu’il a été reconverti et qu’il vivait en parfaite harmonie avec la population pendant que la gouvernance était en construction à Saint-Louis. Quand le Chevalier de Boufflers arrivait, il l’a fait par Podor. Il ignorait qu’il y avait un rituel à faire en l’honneur de Penda Sarr, avant de passer. Ainsi, comme le bateau n’a pas soufflé trois fois à Walaldé, il a coulé. On a mis De Boufflers dans un bateau pour continuer le voyage jusqu’à Podor, avant qu’il n’aille s’installer à Joal. A un moment de ma carrière, je voulais vraiment arrêter. A cette époque, j’avais presque 30 ans. Puis, quelque temps plus tard, j’allume la radio et j’entends Moussa Ngom chanter ‘’Artiste du daanu’’ (Un artiste ne baisse jamais les bras).
Les musiciens ne savent même pas ce qu’ils apportent à la population. Ils redonnent de l’espoir aux gens. C’est lui qui m’a redonné goût à la chose et j’ai repris les choses en main. Je suis allée voir mes cousins toucouleurs qui sont au marché. Ils m’ont offert des tissus. J’ai travaillé toute une nuit pour réaliser mon œuvre. Et quand je l’ai finie, vers 10 h, je suis allée chez Marie Madeleine pour voir Jacob. On m’a dit qu’il est à la chambre de commerce, à l’occasion des journées culturelles de Saint-Louis. Il y avait tous les ministres et des ambassadeurs dont celui de la France au Sénégal. Je suis allée là-bas pour voir ce que Jacob préparait pour l’exposition. Arrivée sur place avec ma fresque, Jacob me dit que je leur ai sauvé la vie. Je n’en étais pas certaine. Mais cela a constitué le clou du spectacle. Il m’a invitée à prendre part à ‘’Takussanu Ndar’’ prévu le même jour dans l’après-midi.
Une fois rentrée chez moi, j’ai décousu un vieux boubou à partir duquel j’ai fait une robe de Signare. C’est avec ce costume que j’ai gagné le marché du Bicentenaire. En outre, j’ai travaillé avec la France pendant toute une année. Il y avait également le spectacle Toussaint Louverture dans la baie de Ngor, auquel Jean-Pierre Leurs a participé à la mise en scène. C’est moi qui ai habillé tout le monde. Parmi eux, Doudou Ndiaye Rose, Julien Jouga et sa chorale. Plus de 300 tenues ont été confectionnées.
De là est partie votre carrière ?
Après avoir fait le ‘’Takussanu Ndar’’ avec ma seule robe de Signare, je n’étais pour autant rassurée, même si j’avais gagné le premier prix. J’ai fait part à Kalidou Sy de ma volonté d’enseigner à l’Ecole nationale des beaux-arts qu’il dirigeait. Parce que je travaillais sans même connaitre mon niveau. Et lorsque je suis arrivée à l’école, il m’a donné une classe de 4e pour enseigner. C’est là où Sembène Ousmane m’a trouvée. Il m’a dit que j’étais la plus grande costumière d’Afrique. Il était convaincu qu’il n’y avait pas mieux que moi dans ce secteur, dans le continent. Après lui, Bernard Giraudeau est arrivé et m’a dit que j’étais la meilleure au monde. Je lui ai dit : ‘’Ne me fais pas pousser des ailes. Je risque de m’envoler tout de suite.’’ Il me répondit : ‘’Tu n’es pas quelqu’un qui s’envole ; tu es quelqu’un qui a envie de faire quelque chose et je sais que tu continueras toujours de faire des choses. Si je savais que tu étais là, je t’aurais gardée toute seule pour que tu confectionnes tous les costumes.’’ Ça, c’est cet heureux compliment que Bernard m’a fait. Après cela, je suis partie en Guinée-Bissau pour le film de Flora Gomes.
Et qu’est-ce qui a fait qu’à un moment donné, vous vouliez arrêter ?
Parce que moi, ma maman est chérif. Et mon père fait partie des almamys du Fouta. Thierno Mountaga a appris le Coran chez mon père, à Diatar. Et je suis issue d’une famille de la tijanya. Si on se réfère à l’arbre généalogique, El Hadj Malick représente un père pour moi. Cela veut dire que Serigne Babacar et Serigne Abdou sont mes cousins. Et je suis descendante du chérif Younouss Boun Abdel Hahab qui arrive tout droit de La Mecque. Ses parents sont restés au Tchad où il est né. Mais ses grands-parents sont de La Mecque. Chérif Younouss Boun Abdel Hahab a collaboré avec des gens comme Boucounta. Sa première femme était Dina Mballo, fille aînée de Maba Diakhou Bâ. Cela signifie que j’ai également des racines au Nioro du Rip. C’est de là que je détiens mon sang sérère. Je suis ‘’diniyanké’’, torodo et chérif. Les gens ne m’ont jamais posé cette question parce que je travaille, alors que dans cette famille, la tradition voudrait que les filles se marient à 9 ans. Mais comme mon père adoptif était chérif et venait de Tombouctou, un éducateur, il remettait les choses à chaque fois. Ce qui a fait que je me suis finalement mariée à 16 ans et j’ai pu faire tôt mes enfants. Ma dernière fille allait au préscolaire, alors que j’avais 32 ans. Pour vous dire que je l’ai eue à 30 ans.
Eu égard à vos origines religieuses, était-ce facile de faire accepter à votre famille votre choix de devenir styliste ?
Je suis rentrée dans ce métier pour être autonome. Quand mon père est décédé et qu’on m’a emmenée en Casamance et que j’ai su que je n’irai jamais à l’école, j’ai décidé de me chercher un métier. C’était mon gage d’autonomie. Je savais également qu’on ne m’inscrirait jamais quelque part pour apprendre un métier ; je m’y suis mise toute seule. Ma philosophie : en toute chose, il y a une première fois et toutes les œuvres humaines ont été réalisées par des profanes. Je voulais être de ceux qui ont fait des choses sans les avoir nécessairement apprises quelque part. J’ai gardé cela comme modèle. Mon autre modèle était Senghor. On entendait à la radio ses discours matin, midi et soir. Ainsi, tout le temps, on entendait sa voix. Je l’écoutais parler pour pouvoir, d’abord, parler français et, ensuite, dans ma tête, je me disais que je pourrais être dans son entourage pour plus tard être chef d’Etat. Il faut viser loin dans la vie et avoir des ambitions.
Chez nous les Haal Pulars, tout comme chez mes parents en Casamance, chez mes oncles chérifs, quand tu grandis à leurs côtés, ils ne te fragilisent pas. On prie pour les enfants pour qu’ils grandissent et accomplissent de grandes choses. Chez d’autres, on surprotège l’enfant. Certains parents fonctionnaires, par exemple, quand ils prennent la retraite à 55 ou 60 ans, ils n’arrivent plus à prendre en charge les études de leurs enfants. Ne s’étant pas mariés tôt, ils ont fait des enfants tardivement. Ces derniers n’ayant pas appris à se prendre en charge, se retrouvent désœuvrés. Ils passent leurs journées à l’ombre d’un arbre à faire le thé. Et quand ils en auront marre, ils affrontent l’océan pour aller en Occident. En effet, il arrivera un moment où ils ne pourront plus supporter de voir leurs parents qui les ont soutenus quand ils le pouvaient, manquer de moyens et qu’eux ne puissent pas leur assurer un retour d’ascenseur. Je veux que ces suicides dans l’océan cessent. Depuis que j’ai ouvert mes ateliers à l’âge de 13 ans, j’ai toujours formé des jeunes. Mes élèves sont partout dans le monde, parce que je veux transmettre mon savoir et mon savoir-faire. Un jour, j’ai entendu à la radio quelqu’un dire qu’en Afrique, quand une personne âgée meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Ma bibliothèque, je n’ai pas envie de la brûler. J’ai envie de la transmettre.
Vous parlez beaucoup de se marier tôt. A votre avis, quel est l’âge idéal pour se marier, pour une femme ?
Tout dépend. A chacune sa chance. Se marier est une chance, mais avoir un métier est une obligation. C’est cela qui rend la femme autonome et là elle n’a même pas besoin de mari. Aujourd’hui, il faut le dire, les hommes ne se marient pas avec n’importe qui. Ils cherchent des femmes autonomes. Comme on dit, il faut toujours chercher mieux que soi.
Vous développez un certain intérêt, de manière générale, pour l’histoire. D’où est né cet attachement ?
J’ai vu quelques-uns de mes cousins, cousines, oncles qui ont fait des études. Certains même ont été chefs d’Etat ou le sont : Abdou Diouf est mon cousin et Macky Sall est mon neveu. Mais mes parents qui ont fait des études poussées ne connaissent pas l’histoire de leur pays. C’est triste ! Ils ne l’ont pas apprise à l’école. Ils ont appris les poèmes de Victor Hugo et autres. Ils n’ont pas appris l’histoire d’Oumar El Sawa Dondé, Hampaté Yoro, etc. Ils ne les connaissent pas. Ils ne savent pas qui c’est. On n’entend pas parler des gens comme Fatoumata Baba Lobé.
Des femmes courageuses qui ont réussi à faire de grandes choses, mais qui restent inconnues. Quand on dit que Christophe Colomb a découvert l’Amérique en premier, mais ce n’est pas vrai. C’est Bacary 2 qui a découvert l’Amérique en premier. Cela ne s’apprend pas à l’école. Pourtant, on devrait. Bacary 2 était un roi malien. Il s’appelait Bacary Mansah et a emmené les Incas en premier au Mali. Il a délaissé son trône pendant quatre ans et est parti à l’aventure. Il a retrouvé l’Amérique en premier. Les Indiens l’avaient bien reçu et lui avaient donné deux Incas avec qui il est rentré au Mali. Quand Christophe Colomb partait en exploration, il était avec des bandits. Quand les Indiens lui ont donné des Incas, ils ont voulu les tuer. Ainsi est né un combat.
Comment faites-vous pour connaitre toutes ces choses, alors que vous ne savez ni lire ni écrire ?
Il est vrai que je ne sais ni lire ni écrire, mais je sais m’approcher quand même des personne détentrices des traditions et qui connaissent notre histoire. Enfant, je n’avais pas d’amis. Adolescente, avec Baba Maal et d’autres, on allait au ‘’Dingiral’’. On y racontait les contes qu’on avait entendus dans nos maisons. Je discutais beaucoup avec les personnes âgées, parce que j’étais à la recherche de la connaissance. Je suis toujours assoiffée de connaissances et j’en cherche toujours.
Vous avez un projet de reconstruction de 3 000 costumes de rois et reines africains. Où en êtes-vous ?
Depuis que j’ai 13 ans, je ne travaille que sur la reconstruction. Le temps ne m’attend pas. Je ne suis pas que sur celles de rois et reines africains. Les monarques européens également sont pris en compte. Un artiste ne doit pas s’ériger des barrières. Le monde nous appartient tous. Dieu n’a pas tracé de frontières. C’est l’œuvre des hommes. Il n’y a qu’une seule terre. Je ne me dis pas : je suis sénégalaise, donc je m’arrête à la tête du lion. Je suis africaine, donc je prends la carte de l’Afrique et efface les mers et je vais chercher le reste, parce que le monde nous appartient tous.
Et ce projet de construction de musée pour montrer votre savoir-faire ?
J’ai des ateliers pour l’instant et ils sont modernes et traditionnels à la fois. On y fait des costumes et de la parure. Quand on y sort, on devient généraliste. Ceux qui sortent de ces ateliers au bout d’une formation, peuvent confectionner des bijoux, tisser ou encore faire de la tannerie, de la maroquinerie, de la peinture traditionnelle, de la vannerie, de la coupe et couture, etc. Ils n’ont pas forcément besoin d’aller voir d’autres pour acheter un panier là, des bijoux là-bas. Maintenant, quand on veut créer une industrie, on doit créer des emplois. Pour cela, ils peuvent décider de ne pas tout faire eux-mêmes. Mais ils en ont les capacités. Il y a des gens qui voient comment nous travaillons et ont envie de faire comme nous. Ils s’équipent alors, mais n’y arrivent pas, parce qu’ils ignorent qu’on ne dort pas la nuit. On est tout le temps en veille pour assurer que tout soit bien fait. Le temps ne nous attend pas. Moi, Dieu me transmet des choses que je partage avec les autres. Et il m’en donne davantage tous les jours. Je n’ai pas peur de transmettre mon savoir-faire. Ce que je fais, je ne l’ai appris nulle part.
Vous organisiez la Semaine internationale de la mode. Qu’est-elle devenue ?
L’évènement est maintenant calé à la Biennale de l’art africain contemporain. Quand je faisais cela avant au Metissacana, ce sont les sponsors qui venaient à moi. Je ne sais pas comment en chercher. Quand les gens apprenaient comment chercher de l’argent, moi j’apprenais un savoir-faire. Je ne peux pas trouver, mais je sais comment faire les choses. Je suis en train de travailler sur la sortie prochaine de mon premier livre. On pense pouvoir le terminer dans 4 mois. On travaille actuellement sur la mise en pages. On compte sortir en même temps un film de 52 minutes. Ce sera au cours de la prochaine Biennale.
Le livre est-il consacré à l’écriture de vos mémoires ?
Non ! Mes mémoires, je les écrirai, mais pas maintenant. Je fais d’abord un livre sur les Signares. Après, j’ai trois autres sujets qui m’intéressent. Je ne vous dirai pas lesquels. Je ne fais pas d’échographie.
Vous faites du social. Comment vous y prenez-vous ?
Je travaille sur des produits de luxe. Donc, je ne peux pas me permettre que les gens, dans mes villages, aient faim ou soif ou n’aient pas les moyens de se soigner. Avec les locations de costumes de Mardi Gras, je gère mes dispensaires, ma famille, mes villages. J’ai deux dispensaires. Il y en a un en Casamance, à Bandière, qui couvre au moins 30 villages depuis 1998. Il y en a un autre à Diatar, dans le village de mon père. Aujourd’hui, il est sous la tutelle de l’Etat qui l’a équipé, mais on n’a pas encore de médecins. Il n’y a que ceux que je prends en charge. Mais ce n’est pas grave. C’est moi la citoyenne, c’est moi l’Etat. L’Etat ne peut pas tout faire pour nous. Nous devons nous prendre en charge. Le village de ma mère est à 25 km de la Guinée-Bissau. J’ai acheté des vélos et des téléphones portables à mes auxiliaires. Ils sillonnent tout le terroir pour soigner des malades. L’Etat croit qu’il y a des mines antipersonnel dans cette zone. Il n’y envoie personne. Mais nous, nous habitons là-bas et la mort nous trouvera où que nous soyons. Nous n’avons pas peur d’elle. Nous avons, par contre, peur de la honte.
Quand Sembène disait que vous étiez la plus grande costumière d’Afrique, il n’avait peut-être pas tort. Vous venez une fois encore d’être consacrée. Cette fois-ci au Maroc…
(Elle coupe) Il y a eu la montée des marches de Cannes. Mes films sont allés au festival de Cannes. Il y a certaines personnes qui ont ce don de transformer tous ce qu’ils touchent en de l’or. C’est Dieu qui a fait cela et j’en fais partie. Vous pensez que mon père a cessé d’aller à La Mecque pour prier pour moi et que cela reste vain ? Ce n’est pas possible. Ma famille a prié pour moi. Mon premier homonyme a été baptisé deux jours après moi. Pour vous dire que c’est ma famille qui m’a adulée en premier avant les autres. Ma troisième fois à Cannes, j’ai rencontré Bernard Giraudeau à l’aéroport. Il semblait étonné et m’a demandé ce que je faisais là-bas. Je lui ai retourné la question et il m’a alors répondu qu’il était avec Fanny Ardant et devait faire la montée des marches avec elle. J’ai répliqué à mon tour être là pour la même chose et avec Flora Gomes. ‘’Hyènes’’ est allé à Cannes.
‘’Guelewar’’ a été sélectionnée dans la catégorie Un certain regard. Alors, pour le Festival de films de femmes de Salé (Maroc), les organisateurs cherchaient une femme de famille chérifienne et almamia qui connait la charia et qui a fait certains choix. J’étais l’invitée d’honneur du festival, en l’honneur de toutes les femmes qui étaient là-bas. Seulement, je ne me catalogue pas femme. Je me vois comme une citoyenne et être humain. Une fois, on était en réunion de ‘’Akhlou bayti Rassoul’’ dont je suis la chargée de mission. Les femmes étaient assises d’un côté. Quand je suis arrivée, je me suis mise à côté des hommes. Ils m’ont demandé ce que je faisais là-bas alors que je suis une femme. Je leur demandé s’ils en étaient sûrs. Est-ce qu’un d’entre eux a déjà vu tout mon corps pour savoir si je suis un homme ou une femme ? J’ai refusé de me mettre du côté des femmes. Je leur ai fait comprendre que j’avais des choses à dire et il me fallait les sortir. Je n’allais pas me mettre à côté de femmes qui n’avaient rien à dire alors que moi j’avais des choses à dire.
Vous êtes une féministe ?
Ce n’est pas une question de féministe. Je suis un être humain. Je ne suis pas là pour défendre quiconque, mais pour réaliser des choses.
Comment avez-vous passé les moments partagés avec Sembène ou encore Mambety sur les lieux de tournage ? Ils sont réputés être difficiles dans le travail.
Vous savez, les gens disent la même chose de moi. Les Sénégalais vous cataloguent quand vous êtes perfectionniste. Les gens disent que je passe tout mon temps à crier. Je le fais parce que j’ai peur de l’échec et je veux toujours que les choses se passent bien. C’est le stress qui nous fait réagir comme cela, mais les gens ne le comprennent pas toujours. Moi, ils me critiquent tout le temps et s’en prennent même à mon physique.
J’ai tellement entendu ‘’ki ak wowaayam bi’’ (maigreur) que je m’y suis habituée. Je suis de Diatar. Les gens de ce patelin ne grossissent pas. Quand quelqu’un grossit, on le convoque pour voir s’il a des soucis. Seuls ceux qui en ont mangent beaucoup. L’obésité n’est pas bonne. Je vais partager quelque chose avec vous : le tournage d’’’Hyènes’’ n’a pas été facile. Le film devait être produit par le Sénégal, la France et la Suisse. Mais il y a un autre film qui est venu récupérer les financements du Sénégal et de la France. Terminer le film a été difficile. Les acteurs qui avaient commencé le tournage ne sont pas ceux qui l’ont terminé. Ils sont tous partis faire l’autre film qui avait reçu les financements. On a dû chercher un plan B. Quand on travaille avec des gens comme Sembène, Djibril, Idrissa Ouédraogo, Bernard Giraudeau, Flora Gomes, etc., on devient cinéaste facilement. Au théâtre, j’ai travaillé avec beaucoup de gens. On est aux côtés de beaucoup de professionnels.
Vous avez la soixantaine, mais vous paraissez en avoir moins. Comment faites-vous ?
Il faut avoir l’esprit tranquille. Il ne faut pas souhaiter le malheur aux autres. Il faut leur souhaiter du bien. Quand je me lève le matin, je prie pour le monde entier. Quand tout le monde va bien, que tout va bien dans mon continent, il en sera de même pour moi. Si les choses vont mal, nous les artistes avons des problèmes. Nous n’avons pas de salaire fixe. Il nous faut de la paix et de la tranquillité pour travailler.
Comment appréciez-vous la politique de l’Etat, concernant l’artisanat d’art ?
Je ne connais pas la politique. Je ne sais pas comment les choses se passent. Je n’ai rien. Je ne reçois aucune subvention. Quand je devais tourner mon documentaire, j’ai eu toutes les autorisations demandées. Je remercie les autorités pour cela. Je ne connais pas la politique de l’Etat dans ces domaines. Pourtant, tous ceux qui sont là-bas sont mes parents. Ils ne m’ont peut-être pas encore remarquée. Je suis tellement petite aussi, qu’à la fin, l’on devient invisible.
Quand vous ne réclamez rien également, ils finissent par vous oublier…
Je ne suis pas de ceux qui savent tendre la main. Dans l’éducation que j’ai reçue, on ne m’a pas appris à demander, mais plutôt à prendre en charge mes besoins. Je suis de ceux qui donnent, mais qui ne demandent pas. Si j’ai des droits, qu’on m’appelle pour m’en faire part et je passerai. Il n’empêche que j’ai écrit à certains, mais on me dit que mon dossier est en traitement. Je n’attends pas. Pour cet évènement du 16 janvier, c’est la presse qui me soutient, mon équipe de tournage et mes amis. Des gens m’appellent pour me dire qu’ils me suivent de loin. Mais je n’ai pas besoin de cela. Je veux qu’ils soient à mes côtés et s’il y a un problème, qu’ils le règlent.