Umaro Sissoco Embalo, le nouveau président élu de la Guinée-Bissau, hérite d’un pays aux institutions politiques profondément minées par les crises. Analyse.
Le nouveau président élu mercredi premier janvier en Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo est-il l’homme qui réussira enfin à mettre un terme à l’interminable série de crises politiques qui minent l’ancienne colonie portugaise depuis son indépendance en 1974?
« Cette élection est une occasion historique d’entamer un dialogue national pour dissiper l’antagonisme profond au sommet de l’Etat particulièrement entre le président et le parlement », estime Paulin Maurice Toupane, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS).
Mais , « elle ne suffira pas à elle seule à installer la Guinée Bissau dans une dynamique de stabilité si les acteurs politiques ne prennent pas conscience de la gravité dans laquelle se trouvait le pays en 2019», avertit-il.
Pour inscrire le pays dans une rupture avec les cycles de turbulence sans fin, le chercheur pense que le nouveau président dont le parti, le Madem G-15, une dissidence du traditionnel Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (Paigc), doit mettre en œuvre des réformes institutionnelles et structurelles.
La passation démocratique du pouvoir et le « déroulement satisfaisant » du processus électoral, sont- ils des signes qui annoncent que le pays est probablement entré dans une bonne dynamique pour en finir avec des décennies de guéguerre politique?.
« Ces éléments montrent que les choses commencent à bouger et on espère que le nouveau président ne fera que consolider les institutions et renforcer les règles de démocratie », plaide Pape Ibrahima Kane, Directeur du bureau du plaidoyer de l'Open Society Foundations auprès de l'Union Africaine.
Le blocage institutionnel noté ces dernières années en Guinée Bissau découle du « climat de méfiance » au sommet de l’Etat lié à la nomination du Premier ministre.
Selon la Constitution, le chef du gouvernement doit être issu du parti majoritaire à l’Assemblée nationale. Or le Paigc demeure la première force au sein de l’hémicycle avec ses 47 sièges sur 102 et le Madem G-15 du nouveau président siège dans l’opposition avec ses 27 députés.
« La défaite du Paigc aux élections présidentielles peut amener les dirigeants de ce parti à une attitude plus raisonnable en mettant en avant les intérêts supérieurs du pays », estime Kane.
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Selon lui, même s’il est prématuré à l’heure actuelle de parler de crise, le système bissau-guinéen tend vers un présidentialisme et le chef de l’Etat peut manœuvrer pour déstabiliser le parti majoritaire à l’Assemblée nationale.
Une situation que redoute Toupane. Il estime qu’Embalo va s’inscrire dans une dynamique de consensus et accepter de nommer un Premier ministre conformément à la loi fondamentale. Sinon, la Guinée Bissau risque de replonger dans un « nouveau cycle d’instabilité avec un risque majeur de blocage des institutions comme en 2018 et 2019 ».
Quant à l’ingérence de l’armée dans les affaires politiques, le directeur du plaidoyer à l’Open Society Foundations rassure que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) continue de jouer « le rôle d’arbitre » et de dissuasion à travers sa force militaire Ecomog présente dans le pays.
« La Guinée Bissau a accepté beaucoup de règles de la Cedeao qui sont contenues dans le protocole sur la bonne gouvernance où l’armée doit être républicaine c'est-à-dire soumise aux autorités politiques », souligne Kane.
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Cet autre défi d’Embalo consiste donc à mettre en œuvre la « réforme du système de sécurité » qui butait depuis 2008 sur des divergences entre l’armée et les acteurs politiques, conseille Toupane.
La relance de l’économie et la lutte contre le trafic de drogue passeront nécessairement par un « gouvernement stable et durable » et la mise en place d’une « armée républicaine » qui sera en dehors du jeu politique, martèle l’expert de l’ISS.